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23 décembre 2011 5 23 /12 /décembre /2011 10:06

Avant que ma trés chère fan-girl de Victor, à savoir Pso ne se mette à balancer des "je vous l'avais bien dit" à son entourage médusé concernant ma période midinette-Britney Spears, qui, merci mon Dieu, est terminée, sachez mon petit pannel de lecteurs que j'aime que cette petite note NE concerne PAS mes goûts musicaux, qui sont des goûts de chiottes, mais ça aussi j'assume.

 

Mais moins que ce que je vais assumer dans quelques secondes.

 

 

(On peut pas tout assumer non plus... Je refuse par exemple d'assumer le trou de la couche d'ozone ou le génocide arménien. Vous avez vu? la loi est passée... )

 

 

Non, ce que j'assume avec une verve militante qui me surprend parfois moi-même mais qui ne vous surprendra pas puisque tous, vous avez eu à supporter mes gueulantes et pas que sur papier (il paraîtrait selon mon Demi, autre moitié de mon couple, que c'est bien plus sanglant de vive voix... Calomnies!), c'est mon admiration pour un blogueur que j'ai découvert un jour au hasard du net, fustigeant les ... (Deux secondes, je cherche un terme politiquement correct.) Les... (Oh, puis non, j'assume.) Les merdes d'un certain Jack Chick qui, non content de dessiner très mal et de se faire publier, est d'une bigoterie à hurler et d'une fanatisme qui aurait pu plaire à l'Ayatollah Khomeyni si ce dernier avait été du même bord que le premier.

 

Ce Bloggeur, c'est Paul Binocle.

 

Cher monsieur Binocle, j'ignore si vous me lirez un jour (j'en doute, mais bon... L'espoir fait vivre, toussa...) Mais sachez que je vous admire profondément. N'arrêtez pas, chacun de vos articles illumine ma journée quand je les découvre et bien que je n'ai que deux choses à vous reprocher, à savoir le temps que vous mettez à publier vos chroniques ( mais souffrant du même mal, nous passerons sur ce défaut... Vite...) et le fait que j'aurais aimé avoir vos idées, je ne peux pas me passer de votre verbe et de votre verve.

 

 

Monsieur, je vous admire, mais en toute amitié, et je vous kiss la paumette, comme dirait mon écureuil québécois.

 

 

Voilà.

 

Avant de repartir dans vos préparatifs de Noel, bande de vous, je vous conseille de lire les binoclarderies en tapant sur Google PAUL BINOCLE et je vous rassure, petits lecteurs impatients, vous N'aurez PAS le chapitre 12 pour Noel. Ptet pour le premier de l'an si je suis reposée.

 

Ou pas.

 

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17 novembre 2011 4 17 /11 /novembre /2011 13:25

... N'est jamais décevant comme le dit nos amis de Nanarland, un site que je vous conseille de visiter au plus vite pour parfaire votre culture nanardesque et rigoler un coup.

 

Pourquoi cette entrée en matière? Parce que certains d'entre vous m'ont accusé d'avoir craché sur un film sans l'avoir vu.

 

Oui, je l'ai fait.

 

La preuve est là: http://toxicsanguines.over-blog.com/article-et-alexandre-dumas-se-retourna-encore-dans-sa-tombe-81069506.html

 

Donc, maintenant que vous avez lu ou relu ma descente en flammes, je vous l'annonce, par acquis de conscience, j'ai vu les Trois mousquetaires 3D et une seule remarque me vient à l'esprit en plagiant l'autre moitié de mon couple qui lui parlait de Hitman : Les noms auraient été changées, ça s'appelerait pas comme ça... Et bien ce ne serait pas si mal.

 

Ceux qui ont vu le film et lu le roman seront d'accord avec moi. Ça n'a décidément rien à voir avec l'oeuvre originale, si ce n'est les scènes importantes dont tout le monde se souvient: Le Duel de D'artagnan avec les trois autres mousquetaires, la lettre d'absolution du Cardinal dont se servent la joyeuse bande pour excuser "officiellement" leur mission... Oui, ça, ça y'est.

 

Et c'est tout.

 

Mais sinon, avouons deux choses: Le scénar est pas mal et il faut bien que les acteurs mangent, donc en fait, la réalisation et la commercialisation de ce film n'est jamais qu'une oeuvre de charité pour que Orlando Bloom puisse manger à sa faim, merci, M'sieurs-Dames.

 

 

En conclusion, un bon, un très bon nanard dont je vous conseille la vision lors de son passage sur Canal +, pas avant, mais n'achetez pas le DVD... Orlando a de quoi manger pendant les deux ans d'attente.

 

 

Merci à vous,

 

L'Auteur.

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20 octobre 2011 4 20 /10 /octobre /2011 18:46

Tout d'abords, un message à vous, mesdemoiselles et messieurs qui poussez ( oui, même vous, messieurs) des soupirs d'extase dés que j'écris ces six lettres chargées d'émotions.

 

Préparez-vous et reservez-vous une plage horaire suffisante pour couiner et gémir, car il revient! Plus sadique, plus superbe, plus monstrueux et plus beau que jamais, il revient!!

 

Fanboys et Fangirls, soyez au rendez-vous, car IL REVIENT!!

 

Victor dans le chapitre 12!!

 

A ne pas manquer!!

 

Voilà... Bon, entretenir la faim du lecteur, ça, c'est fait.

 

 

Ensuite, ne croyez pas que je ne le sais pas... J'ai passé triomphalement la page 100 et je me suis même octroyé un kebab pour féter ça, mais j'arrive à l'autre piège atroce que tout auteur qui a une certaine lectrice dans son pool de correcteurs connait, j'ai nommé:

 

LE CHAPITRE 12!

 

Pour le moment, ce bienheureux chapitre ne fait que deux pages, oui, y'a déjà Victor dedans, et non il n'a pas encore de titre... Pour cela, j'en suis encore réduite à m'arracher les cheveux devant plusieurs propositions qui sont:

 

- Le terrible Chapitre 12

- Le chapitre sans nom.

- la terreur de Khaym.

- Mais aprés tout a t'on besoin d'un titre quand on est aussi douée que Moaaaa?

- le retour de Victor qu'il est beau.

 

Mais... Je serais sensible à toutes propositions.

 

 

 

 

 

P.S. Pso... Si tu lis ceci et que tu y vois une attaque personnelle... Non, ce n'est pas de l'attaque. Mais c'est personnel.

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15 octobre 2011 6 15 /10 /octobre /2011 20:51

 

Vince s'était attendu à pas mal de choses. Tomber sur une créature de trois mètres de haut composée de fourrure noire, de griffes et de crocs... ou un repaire malodorant dans lequel un homme à demi bestial se terrerait... Un homme qui n'aurait rien de bestial sur l'instant mais une lueur de folie meurtrière au fond des yeux. En somme quelqu'un qu'il s'était préparé à haïr et à tuer. Il n'avait pas fait attention à l'immeuble, résidence étudiante banale, ni aux noms sur l'interphone, ni aux joyeux fêtards qui rentraient d'une soirée dans un bar de quartier, passablement gais et dont il avait profité de l'état pour passer avec eux dans le hall d'entrée. Il était tellement obnubilé par la traque qu'il n'avait pas imaginé un seul instant tomber sur le serveur qu'il avait sauvé deux ou trois nuits auparavant, complétement nu et embaumant le sexe et le café.

Veinard.

  •  
    • Vous?

Le jeune vampire s'autorisa malgré tout un regard dans le couloir, voir si la trace n'avait pas bifurqué avant et que dans sa colère il se soit trompé. C 'était possible après tout... La piste qu'il avait suivi une bonne partie de la nuit était coupée de partout, s'entrecroisait avec des pistes plus vieilles de prédateurs non moins dangereux, s'arrêtait, reprenait plus loin... Mais celle qui l'avait mené jusqu'ici était l'une des plus fortes, celle de l'habitude.

Mais non, C'était bien ici que ça menait. Pourtant, il n'arrivait pas à croire que le jeune serveur fan de vampires ( ce qui était déjà en soi une raison de meurtre...) fut sa si terrible proie. Sans doute parce qu'il restait planté sur le seuil, toujours nu et... oui, attentif.

Ça m'apprendra à me prendre pour un tueur à gages ou un justicier masqué...

  •  
    • Euh... Vous habitez seul?

    • Oui.

Quelques tressautements de paupières. Invisibles pour le commun des mortels. Son interlocuteur nu luttait contre quelque chose qui dépassait un peu de son masque, mais quoi? La peur sans doute et il y'avait de quoi.

  •  
    • Vous vous souvenez de moi?

    • Oui.

    • Je peux rentrer?

    • Oui...

Fichue brume de confusion! Ben ne voulait pas qu'il rentre! Mais dans les faits, oui, le cannibale pouvait rentrer: la porte était ouverte, il n'avait que deux pas à faire pour franchir le seuil. Si la question avait été « Ais-je la permission... »Ben aurait été ravi de refuser. Mais le vampire les fit, ces deux pas... Avec une certaine répugnance. Sans doute s'attendait-il à une attaque. Ben l'aurait bien fait mais avec ce sort de Fée Noire qui le paralysait...

  •  
    • Il y avait quelqu'un d'autre ici, il n'y a pas longtemps, non?

    • Oui.

    • Vous savez dire autre chose que oui?

    • Oui... Marmonna Ben en s'empourprant de honte.

D'aprés Solange, la brume aurait du être dissipée mais il s'engluait tellement bien dedans qu'elle fonctionnait comme un sérum de vérité. Le cannibale pouvait lui poser n'importe quelle question, le lycan répondrait la première chose qui lui viendrait à l'esprit... à savoir la vérité. Autant se trancher la gorge tout de suite.

De son coté, Vince, lui, se demandait vraiment ce qu'on lui jouait... Peut-être son cher Père avait-il décidé de lui jouer un tour à sa façon, de l'humilier dans sa première chasse personnelle... Oui, Il en était bien capable et si c'était vraiment lui, c'etait du grand art. Sauf que...

Une chose à porter au crédit du Victor. Il était sadique, impérieux, insupportablement sur de lui et, oui, il aimait humilier les autres. Mais pour ceux qui avaient la chance de lui plaire, cette humiliation avait un but pédagogique. Forcer son protégé à faire une erreur, à subir une cuisante défaite et à en tirer les conséquences. Si c'était le cas, quelle devait être la leçon? Tu n'es pas prêt? Non, sans doute pas. Victor ne l'aurait jamais laissé partir. Peut-être une tentative pour guérir une impulsivité, alors? Non plus. Victor aurait de loin préféré l'attraper en plein vol que de le conduire dans une impasse. En toute logique, Victor n'était pas coupable... Déjà parce qu'il n'était pas là pour jouir de la situation.

L'attitude de son hôte avait quelque chose d'effrayant. Il était toujours planté devant la porte ouverte, sa nudité exposée à qui voulait la voir et sans vraiment avoir l'air de s'inquiéter qu'un vampire déambule dans son 2 pièces d'étudiant.

  •  
    • Fermez cette porte, s'il...

Avant même qu'il eut fini la phrase, le serveur avait déjà claqué le panneau de bois et fermé les deux verrous. Et il restait derrière... Comme s'il n'avait rien de mieux à faire.

  •  
    • … Vous plait... Vous allez bien?

    • Non.

    • Ah. Malade?

    • Non.

    • Après les oui, les non... On garde une constante...

Pas de réponse. De plus en plus, Vince avait l'impression de se retrouver face à un terminal informatique. La connaissance au bout des doigts et l'esprit d'initiative d'un caillou. Pas vraiment l'homme dont il se souvenait. Et puis le doute... Ne jamais sous-estimer le monde et ses capacités à défier toute logique. Plutôt croire que tout est possible. On fera le tri plus tard.

  •  
    • Quelqu'un a fait en sorte que vous soyez dans cet état..?

    • Oui!

Vince soupira. Vince soupirait souvent. Ça énervait les autres vampires, aussi le faisait-il très souvent, mais là... Un bon gros soupir de lassitude. Nul doute que sa proie était partie et avait laissé ce traquenard. Peut-être un autre chasseur aurait foncé, tué l'humain et préférer taire sa bourde en présentant son maigre butin comme trophée. Vince ignorait totalement comment ça fonctionnait... Est-ce que les loups-garous se retransformaient en humains une fois morts ? Aucune idée.

Il s'assit sur le fauteuil devant l'ordinateur avec une fatigue intérieure et par réflexe, bougea la souris pour quitter le mode veille, même s'il ne regarda pas l'écran. Étranges ces petits gestes... Étranges comme les réflexes conditionnés vous reviennent et vous démangent le bout des doigts... Toujours le regard fixé sur la souris, il se dit qu'il était temps d'arrêter de fuir toutes ses parties de sa vie et de demander un ordinateur et une connexion internet. Qui sait ? Vu le nombre de jours blancs, il pourrait avoir des scores tout à fait acceptables en très peu de temps. Il pourrait même finir Portal 2, le jeu qu'il avait attendu avec une impatience de gamin à Noël et que sa mort avait passé dans les priorités très basses. Et il avait tellement d'autres jeux qu'il aurait voulu voir.

Un regard sur son hôte involontaire, toujours à la même place. Vince eut pitié. Vince eut vraiment pitié. Celui-là avait avalé bien assez de couleuvres sans qu'on en rajoute. Et puis... S'il était occupé... il ne verrait aucun inconvénient à ce son invité impromptu s'amuse un peu et s'instruise.

  •  
    • Allez vous doucher et mettre votre tenue de nuit, ça vous fera du bien.

Ben y alla assez mécaniquement et Vince, avec un sourire enfantin, se retourna vers l'écran. Le fond représentait une clairière illuminé par un soleil d'automne. Les icônes étaient à la place d’hypothétiques fruits. Marrant. Vince se rappelait du sien... Une image de fantasy retouchée avec les icônes en pyramide inversée. Un de ses copains de l'époque lui avait dit que le fond d'écran reflétait la personnalité de son propriétaire. Bien qu'il soit sur du contraire, il n'avait cessé de regarder les fonds d'écran de tous ceux chez qui il allait. Mais il faut croire qu'il n'était pas assez psychologue pour comprendre les motivations profondes des autres geeks de son entourage.

Il repéra les icônes de jeu... Il y avait Portal 2 et il se retint de cliquer dessus. Plus tard, plus tard... D'abords, reprendre contact... Tiens, il y avait même le MMORPG dont il avait été Game Master. Vince se mit une baffe en riant. Plus tard, ça aussi. Les mauvaises habitudes revenaient en cascade. C' en était affolant et grisant, comme si Vince se réinstallait dans sa propre peau. Il ne manquait qu'un verre de rhum, du métal en fond sonore et un repas italien qui mijotait. Pour la compagnie... Bah, son serveur aux fesses nues ferait parfaitement l'affaire le temps que le jeune vampire se trouve suffisamment bien pour reprendre la direction d'un cercle intime.

Dans le coin inférieur droit de l'écran, un correspondant par Chat s'énervait un peu. Vince savait combien c'était pénible de n'avoir aucune réponse alors il répondit rapidement:

 

« Désolé, Ben n'est pas dispo, il prend sa douche. »

 

Il avait répondu en français. Son Interlocuteur ne répondit pas. Normal, sans doute. Vince devait être l'un des rares à lier conversation avec de parfaits inconnus par le biais de l'ordinateur d'un autre. Un rire monta jusqu'à ses lèvres quand il se souvint du nombre de fois où il l'avait fait et où cela avait débouché sur une liaison plus ou moins durable. Encore une fois, ses doigts le démangèrent. Fascinant comme tout remontait et faisait sauter les barrages. Ce qui était encore il y a peu des regrets gangrénant son humeur devenait une envie impérieuse et pressante de tout reprendre à zéro. Voir du monde... S'amuser... Vivre! Enfin , recommencer à vivre...

Alors que le jeune vampire s'amusait à voir les dernières nouvelles du web, à revoir les anciens messages de ses connaissances, à pleurer, oui, à pleurer devant toute la section qui lui avait été consacré sur son jeu en ligne, où une communauté entière avait envoyé des messages de condoléances... L'inconnu du Chat, lui, reprenait avec colère... Ce n'est qu'en essuyant une larme de sang que Vince remarqua la fenêtre qui clignotait presque rageusement. Aprés tout, c'était sa nouvelle vie... Il était temps d'arrêter de se cacher, de se mentir. Il était temps de finir son deuil. Et ça commençait ce soir. Il reprit donc la conversation avec l'espoir de s'en faire au moins un ami et peut-être même un coup d'un soir.

 

« Who are you?!? »


Ah... peut-être pas. Il lui avait bien semblé que son serveur avait un accent qui n'était pas toulousain, mais il lui avait été impossible de déterminer lequel.

 

« Just a friend »

 

Pas besoin d'effrayer le chaland. Au contraire. Il restait juste à deviner son genre, ses attentes et s'amuser un peu. Un frisson lui saisit la colonne vertébrale. Sans doute un courant d'air... Mais le message suivant le perturba.

 

« Get out! Get out Now!! »

 

Au même instant, un sentiment d'oppression le prit à la gorge, réveillant tous ses sens de fauve à l'affut. Cela venait de derrière la porte, c'était furieux, agressif, c'était son loup... Enfin. Un curieux sentiment d'excitation le prit aux tripes; lui rappelant le moment où il avait saisi la gorge de Chandra et qu'il s'apprêtait à lui arracher les membres. De la jubilation... Une sensation qui le tirait au bas du ventre et qui ne le lâchait plus. Un besoin.

C'est tout sourire et tous crocs dehors qu'il alla ouvrir et découvrit sa proie alors en pleine mutation, les yeux révulsés et presque prêt à attaquer. Dommage pour lui, son adversaire l'avait déjà saisi par une oreille à moitié lupine et le trainait à l'intérieur.

 

 

 

Quand vous êtes au comble de l'angoisse, les plus petits gestes du quotidien devenaient des épreuves olympiques. Ben s'en rendait compte. Ben avait aussi pris conscience de la difficulté à ne pas être lui, à ne pas être le lycan qui savait le mieux contrôler son instinct et passer de l'apparence humaine à sa peau de loup. Il n'était pas unique, bien sur. Juste très rare. Mais là, il se sentait comme n'importe quel nouveau loup-garou de sa meute, prêt à déchirer sa peau d'humain au moindre signe de danger, prêt à mordre, à déchiqueter... Et il prenait une douche. Pourtant, il y avait un ennemi très dangereux. A force de voir des cannibales dans leurs œuvres, le lycan en concevait une terreur mêlée de fascination morbide. Et il y avait de quoi.

Il s'y reprit à trois fois avant d'arriver à ouvrir ce fichu gel douche et six fois plus temps pour le refermer. La peur commençait à gagner du terrain sur la confusion. Bon signe. C'en serait bientôt fini de réagir comme un robot.

Ce qu'il n'avait pas prévu, par contre, c'est que l'un des siens serait suffisamment stupide pour déclencher une envie de sang et à le forcer à se transformer alors qu'il était encore plein de savon. S'il avait eu toute sa raison, il se serait calmé pour se rincer et sortir de cette baignoire. Il avait déjà vu des chiens et des chats lors de toilettage et la panique résultante. Les griffes qui dérapaient sur les parois mouillées, les chutes et la peur qui s'alimentait en boucle.

De plus, il avait horreur d'avoir la fourrure mouillée.

En temps normal, quand il se contrôlait ou même quand il lâchait la pression en une seule fois, les transformations étaient douloureuses. Mais supportables. Sans contrôle, c'était particulièrement atroce. Les cordes vocales étaient les premières touchées, ce qui évitait les hurlements de souffrance, ce qui n'empêchait pas les ondes de douleur de lui vriller le cerveau et de le figer dans une parodie de cri. Quand on se contrôlait, on pouvait rediriger la douleur de façon éviter que l'inéluctable arrêt cardiaque s'éternise. Mais là... Ben s'était crispé dans son cri muet, la douleur imprimée sur son museau à moitié bestial. Les secondes s'éternisaient alors que le système sanguin et le système nerveux se reconnectaient différemment. De quoi paniquer. Les loups qui subissaient ça étaient rarement agréables dans la suite...

Ben le loup éternua. L'eau était rentrée dans ses narines. C'était très désagréable et la peur instinctive de l'eau le faisait frissonner: Les loups-garous avaient une ossature lourde et des muscles denses; ils nageaient très mal et se noyaient facilement. Même dans dix centimètres les loups n'étaient pas à l'aise. Il avait suffi de sa transformation pour le débarrasser du sort et lui faire reprendre ses esprits. Mais deux mutations et une activité sexuelle... il était mort de faim et de fatigue.

Alors qu'il avisait le rebord de la baignoire, la cloison de la salle de bains bougea dans un grand fracas, ce qui le fit sursauter et chuter au fond dans un bruit de glissement ridicule. Chez un humain, ça se traduirait par un juron de rage. Les loups sont plus sobres, ils se contentent d'oreilles baissées et d'un léger grondement d'inconfort. Ce que fit Ben, bien sur. De toute façon, vu le boucan d'à coté, il était complètement oublié. Restait le souci de sortir de cette fichue baignoire. Il était heureusement assez grand pour se caler et compter sur la gravité pour se stabiliser un peu. Il fallait juste qu'il arrive à oublier qu'un loup enragé et un vampire cannibale se mettaient la misère dans la pièce d'à coté. Il soupira en pensant à sa pauvre machine à expresso qui ne devait plus être en état de lui faire un petit café. Mais il devait sortir.

Dix minutes pour s'extirper d'une baignoire humide. Mais il était aussi fatigué que s'il venait de courir un marathon. Il se promit de mettre un tapis antidérapant pour ne pas recommencer. Et puis... ouvrir une porte quand on a quatre pattes, ça demandait un certain entrainement.

Derrière la porte, un massacre. Il lui faudrait des mois pour rembourser ce qu'il avait perdu et c'était la queue basse qu'il arpenta le champ de bataille jusqu'aux deux belligérants, immobiles. Ils étaient pitoyables. Un entremêlement de chair morte et de sang qui commençait à figer. C'était bien un autre loup qui avait attaqué, mais pris au milieu de sa mutation et juste avant le point de non retour, il ressemblait à une créature de cauchemar, dégingandé et imberbe. Le vampire, lui... était égal à lui-même, sauf les canines qui se laissaient apercevoir entre ses lèvres entrouvertes. Mais aucune trace de sang sur sa bouche: il n'avait pas mordu, contrairement à son adversaire qui avait la mâchoire toujours accroché à son cou, ses crocs s'acharnant à déchiqueter la gorge de lait. Le loup était mort, Ben le sentait. Mais l'autre... aussi, bien sur. Mais il l'était déjà depuis longtemps.

En s'asseyant, Ben réfléchit. Le vampire était venu traquer un loup-garou manifestement. Il en avait trouvé un. Il était blessé et Ben pouvait l'achever sans souci... Mais il n'aurait jamais plus l'occasion de trouver un cannibale redevable. De toute façon, il était déjà grillé auprès des siens et il ne pourrait reprendre sa place et son rang qu'avec une action éclatante. Tout doucement, il s'approcha et renifla le vampire. Mis à part le sang omniprésent et l'odeur de la cendre humaine, il ne sentait pas mauvais. En quelques inspirations, il l'avait enregistré. Ben poussa un petit gémissement interrogatif. Pas de réaction. Il passa une langue prudente sur la joue et les paupières tressautèrent avant de s'ouvrir sur un regard à la nuance de nacre, plus doux que les banquises polaires d'avant. A voir l'expression confuse de leur propriétaire, c’était la première fois depuis longtemps qu’il se réveillait. Il voulut inspirer mais seul un sifflement gargouillant lui parvint puisque le chien enragé lui avait transpercé la trachée. Vince ne put même pas baisser le regard à cause de la douleur et de l’énorme mâchoire qui le prenait jusqu’au menton. Victor et Occard avaient raison… Les loups-garous faisaient de sacrés dégâts. Il leva sa main libre et constata avec un détachement étrange qu’il y manquait trois doigts, quant à l’autre main, qu’il remua avec un peu plus d’appréhension, elle était perdu dans un amas de viande qui refroidissait.

Et un énorme chien le regardait. Quand il s’approcha, Vince essaya de bouger pour se mettre debout, mais l’énorme masse sur lui le bloquait trop pour qu’il puisse le faire en un temps raisonnable. La souffrance qui se situait dans sa jambe n’arrangeant pas l’affaire. Mais il n’était pas inquiet. Ce détachement étrange qui l’avait saisi dés son réveil l’empêchait de voir autre chose que le décor, sans pouvoir s’arrêter à l’intrigue et aux personnages. Sa propre mort l’aurait laissé indifférent. Mais il dut avouer sa surprise quand l’énorme chien saisit le museau de l’autre à l’aide de sa propre mâchoire et pousser avec les pattes antérieures pour forcer l’ouverture jusqu’à ce que l’os cède dans un claquement cartilagineux. Ca faisait atrocement mal mais Vince apprécia d’en être libéré et que le chien traine le cadavre dans la salle de bains. L'odeur du sang le dégoutait... même si au fur et à mesure qu'il refroidissait, il commençait à avoir un parfum presque agréable.

Ben le loup laissa le corps achever de se vider de son sang dans la baignoire. De toute façon, vu la quantité d'hémoglobine, il lui faudrait des heures pour tout ravoir. Inutile de faire ça maintenant. Il ferait du mauvais travail et l'homme qui se répandait en imprécations silencieuses en essayant de se lever et en se rendant compte que sa rotule n'était pas du bon coté de sa jambe. Ben en avait assez vu sur le corps pour comprendre que le vampire ne se battait comme les autres. Mais il avait passé sa main à travers les os épais et les muscles durs pour lui saisir le cœur et le faire éclater. Fatal sans doute... Mais beaucoup de travail pour ce qu'une torsion du cou aurait tout aussi bien fait. Malgré sa hargne et sa force, il n'était pas encore habitué à se battre. Étrange qu'on lui ai laissé le soin de mener une chasse tout seul. Mais sa douleur réveillait son empathie et sa compassion. Vu son statut de meute, c'était presque normal. Mais il s'étonnait toujours de pouvoir le ressentir pour des non loups. Qu'à cela ne tienne, le loup saisit le vampire par l'arrière du cou, comme il l'eut fait pour un louveteau et le déposa avec la douceur donc il était capable sur le lit. Les draps défaits sentaient encore Solange mais il fallait avoir un bon odorat pour dissocier ce parfum de vanille et de cannelle de celui du massacre d'à coté.

Ah oui... le massacre... Autre souci à gérer avant que les humains d'à coté ne commencent à farfouiller. Nul doute que quelqu'un avait déjà appelé la police pour le tapage. Heureusement que les loups-garous avaient quelques artifices pour ne pas laisser de traces et passer inaperçu. Mais il n'aurait jamais pensé devoir uriner contre sa propre porte. Le nettoyage de l'appartement allait devenir problématique, il faudrait sans doute tout faire brûler, même si c'était une solution extrême. Il consentit enfin à lâcher un jet d'urine contre le chambranle: une odeur répulsive pour la plupart des humains qui leur ferait penser que non, non... Il n'y avait rien ici. Non, rien de grave, vraiment... Ben avait rebaptisé ce sort: « Ce ne sont pas ces droïds là que vous recherchez. » Pratique, mais pénible à réaliser.

Sa forme de loup avait maintenant perdu son utilité. Il aurait bien pu dormir pelotonné contre les restes du canapé, mais le réveil de son hôte risquait de devenir bizarre et violent et il ne voulait pas que le cannibale devienne violent... Cela dit le retour à l'humain était pire que l'inverse. La seconde développait la masse musculaire, la première la comprimait. Y compris les poumons, ce qui faisait hoqueter Ben entre la douleur et le manque de souffle. Son invité d'un soir était reparti dans l'inconscience, le visage crispé dans une moue mi triste mi souffrante. Malgré son retour à l'être humain, Ben n'arrivait pas à se départir de son empathie pour le monstre. Peut-être parce que le monstre ne l'avait pas attaqué. Il tira les rideaux aprés avoir fermé les volets. Il était crevé lui aussi et de toute façon, il ne comptait pas aller en cours le lendemain. Trop de choses à gérer. Trop fatigué... Il se laissa tomber sur le coin de lit et tomba dans une torpeur peu agréable.

 

 

 

 

Pour une rare fois, Ben se réveilla dans ses draps sans la sensation d'être trempé par la chaleur. Il n'y avait qu'en hiver qu'il pouvait dormir couvert d'un drap fin sans périr de chaud. Quant à porter un pyjama, il ne fallait pas y songer et il avait horreur de dormir en sous-vêtements. Ce qui le gênait, par contre, c'était cette sensation étrange d'avoir des papillons qui lui butinaient le cou. Ou plutôt comme, des années auparavant avant qu'il ne devienne un loup et que ses relations avec les animaux domestiques ne deviennent conflictuelles, ce très jeune chiot qu'il avait recueilli et qui lui tétait le bras quand il dormait. C'était mignon... le réflexe d'un tout jeune animal en présence d'une personne rassurante. Mais au fur et à mesure que les évènements de la veille lui revenaient en mémoire, ça devenait inquiétant. Il se redressa d'un bon, apercevant un bras blanc qui glissait mollement.

Misère...

Bon, il y avait une explication logique... Les vampires aimaient la chaleur... Il … avait du le saisir pour s'en faire une couverture et...

Ben tâta son cou. Aucune morsure. Il n'avait rien mordu... dans son cou du moins... Mais avant qu'il ait pu inspecter d'autres parties de son corps, une main lui agrippa les cheveux et le tira en arrière. Vince se réinstalla au creux du cou du Lycan avec un soupir de contentement et les baisers qui reprenaient.

  •  
    • Euh... Monsieur..? Je ne suis pas à l'aise du tout, là.

    • Je ne mords pas...

Mais le vampire ouvra les yeux et s'écarta un peu.

  •  
    • Désolé... Je ne sais pas ce qui m'a pris...

Au moins, il était encore habillé, ce qui avait sans doute empêché Ben de subir les derniers outrages.

  •  
    • Sans doute un besoin de confort... Je me lève et je vais essayer de trouver un café dans... la ruine qui me sert dorénavant d'appartement.

Ô joie... Il semblait que la machine avait réussi à survivre! La moitié de ses cafés étaient répandus au sol, mais tout n'était pas perdu. Quelques rares moments de contentement dans l'enfer qui avait été cette dernière semaine.

Vince trouva étrange de ne plus sentir de douleur. Même quand il leva sa main blessée, il fut surpris de voir que les doigts avaient retrouvé leurs places, même s 'il n'y avait pas encore d'ongle dessus. Son cou et sa trachée avaient retrouvé leurs intégrités respectives. Non, la seul trace du combat sur sa personne était l'état de ses vêtements. Et celui de l'appartement.

  •  
    • Vous êtes un loup-garou.

Le vampire avait sauté les excuses, non pas par colère mais bien parce qu'il n'avait aucune idée de comment les présenter. Peut-être plus tard, ça viendrait, mais là, il se sentait assez morveux de lui avoir ruiné son logement et de s'être servi de lui comme doudou.

  •  
    • En effet.

Pure vérité. Le Lycan avait envie de jouer aussi.

  •  
    • L'autre en était un aussi. Et il vous traquait.

    • Exact. Pour les deux.

Un parfum d'arabica envahit l'appartement, couvrant temporairement l'odeur de charogne qui commençait à monter. Vince eut envie d'un bon café, mais il devait se contenter de se repaître de l'odeur.

  •  
    • Et maintenant? On fait quoi?

    • Je vous dirais bien de rentrer chez vous, Monsieur le Vampire... Mais il reste deux heures avant que le soleil se couche. Vous m'avez sauvé la vie... deux fois... Aussi j'ai quelques scrupules à vous envoyer brûler.

    • Merci, c'est gentil. Mais je doute vous avoir véritablement sauvé. Je pense que vous êtes de taille.

    • Et donc? On fait quoi?

C'était stupide. Particulièrement stupide mais toujours cette sensation de manque au bout des doigts... Toujours cette envie de redevenir à peu prés humain. Et puis, il avait dormi dans ses bras, sans qu'il lui arrive la moindre chose. C'était forcément une erreur. Mais Vince avait envie de faire cette erreur là.

  •  
    • J'ai... vu sur votre ordinateur que vous aviez Portal 2. Il est bien?

    • Excellent.

    • Bien... Je peux y jouer?

Il y avait quelque chose d'irréel dans la situation. Un jeune tueur vampirique qui lui demandait... de tester un jeu vidéo. Mais cela fit sourire Ben. Surtout la lueur d'excitation enfantine commune à bien des joueurs dés qu'il s'agissait de ça, dés qu'il s'agissait de la sortie des suites de jeux préférés, comme des adolescentes de quinze ans qui se jetaient sur le dernier album de leur star préféré. Il posa donc sa tasse et enfila un jean qui avait survécu au carnage. Farfouillant dans les tiroirs, il trouva ce qu'il cherchait, bien qu'il était persuadé qu'il n'eut pas survécu. Mais le ranger parmi ses vêtements avait réussi à lui épargner les plus gros des chocs.

Ben s'assit sur le lit en montrant à son invité sa trouvaille, un ordinateur portable qui n'avait jamais servi.

  •  
    • Vous savez qu'il y a un mode coopératif?

Après, tout, il fallait bien tuer le temps...

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3 septembre 2011 6 03 /09 /septembre /2011 22:12

 

Nouvelle lune ce soir. Mis à part les étoiles qui piquetaient la nuit, il n’y avait aucune lumière qui aurait pu rendre la forêt de Bouconne moins effrayante. Cependant, de tous les prédateurs naturels qui pouvaient hanter les frondaisons nocturnes, Ben était sans doute l’un des rares qui n’avaient presque rien à redouter. Mais il n’était pas là pour chasser, ni même pour échapper temporairement à la ville, mettant ses sens au repos ou du moins dans un environnement que sa nature reconnaissait comme sien. Il était là pour attendre qu’un tribunal d’autres loups veuille bien statuer sur son cas. Il était assis, le dos contre un pin de belle taille et le postérieur dans la mousse. S’il s’était écouté, il aurait sorti son smartphone et aurait entamé une partie de Tétris en attendant que le tribunal arrive, mais cela aurait considéré comme une insulte et Dieu savait que Ben n’avait pas besoin de plus de raisons de le détruire. Déjà, Jones avait essayé d’intervenir en sa faveur en annulant le procès, arguant de son statut d’Alpha, ce qui avait fortement refroidi les Loups des Pyrénées quant à l’idée d’avoir la moindre compassion. Le procès était maintenu et les chances de Ben d’avoir un acquittement étaient nulles. Déjà parce qu’il était coupable. Ensuite parce que Jones l’avait introduit sur un autre territoire que le sien sans en prévenir les propriétaires. Même ses chances de survie avoisinaient le zéro.

Les châtiments, chez les loups, étaient peu nombreux, sans doute parce que les Alphas devaient prévenir toute tentative de rébellion au sein de leurs meutes. Ca se réglait par quelques coups, des morsures, des griffures, de superbes bleus et surtout l’écrasante supériorité des Alphas. Rien que le regard d’un Alpha paralysait les loups sous sa responsabilité. En fait, si les humains se définissaient par les critères aussi abstraits que Beauté, Richesse, gloire et d’autres encore plus sujets à caution, les Loups ne se voyaient qu’en fonction de trois zones de domination, du plus petit au plus grand. Possessivité, qui était le plus personnel puisqu’il s’agissait de la capacité du loup à garder ce qui était à lui, ce qui couvrait un domaine assez vaste, de son sang et sa fourrure, jusqu’à sa compagne ou son compagnon en passant par ses vêtements. C’était à la fois un défaut et une qualité… dans les limites du raisonnable. On pensait à raison qu’un Loup trop possessif ne verrait pas les intérêts de la Meute et qu’à l’inverse celui qui ne l’était pas suffisamment passait pour un jean-foutre, donc on ne pouvait pas lui faire confiance. Ensuite venait la Territorialité, qui était la capacité du Loup à protéger non seulement son territoire mais celui de sa Meute et surtout la manière de traiter les intrus et les invités. Encore une fois, il fallait le juste milieu. Enfin, c’était la Supériorité. Sans doute le plus important… Sans doute celui dont on n’a jamais assez. C’était la capacité à en imposer aux autres, à leur faire baisser le regard, à les amener à suivre et à obéir sans discuter. L’Alpha des Alphas était le seul qui pouvait en imposer aux autres chefs de Meute et une hiérarchie subtile s’était mise en place, plaçant certaines meutes sous l’égide d’autres alors que les dernières étaient moins nombreuses.

Le souci venait que les nouvelles Meutes étaient difficilement acceptées… Et la Meute de Jones avait tout au plus une soixantaine d’années, depuis que Samuel Jones, simple soldat américain, avait perdu toute sa meute dans le débarquement et de ce fait, se retrouvait Alpha, alors que sa meute avait estimé qu’il lui faudrait encore plusieurs décennies avant de prétendre à ce titre. Par respect pour les défunts, Jones avait d’abords cherché une autre meute pour s’inclure puis, jugé déjà trop dominant, il en avait créé une autre avec les rebuts des autres. Les raisons ne manquaient pas pour que la Meute de Jones soit considérée comme quantité négligeable et l’Alpha faisait tout depuis vingt ans pour prouver qu’il n’en était rien. La surveillance des Canines faisait partie de ces services dont personne d’autre ne voulait mais qui était nécessaire.

Ben avait tout raté.

La seule chose qui l’avait empêché de s’enfuir et de ne pas subir son châtiment était la loyauté qu’il ressentait pour Jones. Le seul qui lui avait fait confiance et sa mort pourrait permettre à la Meute d’avoir meilleure réputation puisque l’un des leurs avait affronté sa punition, sans fuir et sans biaiser. Oui. Il resterait silencieux, ne réfuterait rien et accepterait le tout avec confiance. Du reste avoir peur ne le servirait pas et même s’il sentait les gémissements glacés de son autre qui, lui, crevait de trouille aux tréfonds de son être, il resterait droit et humble.

Cela dit en passant, il espérait que le Tribunal lui accorderait une dernière tasse de café.

Les cheveux de sa nuque se dressèrent dans un frisson assez violent. Il ne les voyait pas mais le tribunal venait de trahir volontairement sa présence. Tous ses membres avaient eu une envie de sang en même temps. Les envies de sang étaient le moyen qu’un loup-garou avait de menacer avant d’attaquer pour de bon. La dernière mise en garde… Il était assez mal vu de ne pas la faire, même si la plupart des proies ne pouvaient pas ressentir cette agression. Ce n’était pas bon pour Ben alors il adopta la seule attitude possible : il se coucha sur le flanc et laissa sa gorge exposée. Certains l’auraient achevé sur le champ mais le tribunal devait d’abords l’entendre. Ce n’était pas plus rassurant… Le fait qu’il ne puisse voir, couché au sol comme il l’était, que les pattes de plusieurs loups et les instruments de mort qu’étaient les pattes antérieures d’un loup-garou dans sa forme la plus sauvage. Pas un pied. Ils n’avaient pas vraiment prévu de l’écouter en fait, ils avaient déjà formé leur opinion et se préparaient à la mise à mort. N’eut été Jones, Ben aurait écouté sa voix intérieure qui lui murmurait de se relever et de fuir.

Mais merde ! Un loup n’a pas être un lâche. Il se redressa et se mit assis sur ses talons, l’attitude de celui qui est prêt à faire des concessions mais pas à mourir sottement. Il les regarda l’un après l’autre, sans animosité mais sans aucune soumission. L’attitude d’un Alpha. Jeu dangereux mais sur un malentendu, il pouvait espérer réduire le nombre de ses assaillants. Les grondements et les ombres qui reculaient lui donnèrent raison. Mais il en restait trop pour pouvoir espérer survivre. Un loup-garou qu’il n’avait pas vu et en forme humaine avança alors. Au vu de son attitude nonchalante et du sourcil droit levé, s’il n’était pas l’Alpha des Pyrénées, il n’en était pas loin. Au moins le second lieutenant, bien que cette place soit en général tenu par une femme. De plus, il était venu habillé, donc, il ne venait pas à la curée comme les autres. On pouvait croire qu’il s’agissait du chauffeur des autres, mais comme Ben n’avait pas entendu de camion, ni même de minibus dans les environs, il y avait plus de chances que la Meute ait sa tanière dans les environs.

  • Tu es accusé d’avoir montré ta rage, d’avoir dévoré un homme et d’avoir pénétré dans le territoire d’une autre meute sans invitation et tu te permets de nous défier ?

  • Je suis peut-être coupable, mais sans procès, je reste un loup de meute et je ne tiens pas à me comporter en chien.

Le loup-garou sous forme humaine s’avança. S’il avait eu l’air nonchalant dans l’ombre, le jaune de ses yeux le démentait fortement. Il était à deux doigts de se transformer. Fugitivement, Ben pensa que le contrôle n’était pas excellent dans les Pyrénées.

  • Le procès a déjà eu lieu.

  • Sans moi ? même si je suis accusé de manière à risquer la mort, les lois de Meute…

  • Les Lois de Meute ne s’appliquent pas à un chiot comme toi !

C’était l’Alpha de la Meute. Seul un Alpha pouvait se permettre de couper la parole à un autre loup-garou sans en connaître le rang. Ce qui laissait perplexe Ben, c’est qu’en vertu de tout ce qu’on lui avait enseigné, il aurait du s’aplatir au sol de terreur, Jones lui avait fait cet effet la première fois. Mais là… le jeune homme avait juste l’impression de regarder un roquet en laisse piquer une crise et aboyer sur le premier venu. Aucune peur. Rien. Même pas la plus petite inquiétude. Jones lui avait dit que son contrôle, son trop grand contrôle de son loup pourrait finir par poser problème. Maintenant, Ben le croyait. Il était tellement maître de lui-même que la situation, qui eut paniqué n’importe lequel de ses frères de meute, le laissait au mieux dubitatif. Un autre que Ben aurait imaginé que l’Alpha des Pyrénées était tout simplement moins dominant que lui. Le pire étant que les autres loups étaient le museau au sol, les oreilles couchées et les yeux craintifs. Si l’Alpha ne désirait pas participer à la curée avant, il y serait forcé. Personne d’autre que lui n’entamerait le carnage.

A force d’observer les vampires, Ben s’était rendu compte de la finesse et de la violence de la politique des quenottes. Cependant, la politique des garous n’avait rien à lui envier en matière de subtilité et de morts violentes. Mais dans ce cas précis, on avait abdiqué toute forme de subtilité. Il ne restait qu’une possibilité. Une possibilité peu agréable et qui pouvait lui être refusée, sachant qu’on ne le considérait plus vraiment comme un loup de meute. Mais avait-il vraiment le choix ?

  • Je te défie, Alpha.

Et Ben se leva sous le regard stupéfait de toute une meute, calme, bien plus qu’un combattant à l’orée d’un duel ou d’une embuscade, presque serein. Non pas qu’il était sur de gagner, mais bien que, quel que soit l’issue du combat, ses ennuis seraient terminés.

Ce en quoi il se trompait.

En face de lui, l’Alpha des Pyrénées avait perdu tout calme. Il arrachait ses vêtements tout en initiant sa transformation et le reste de la Meute se tassait de terreur. Ils étaient habitués à ce genre de débordement et savait qu’invariablement la moindre tête qui dépasserait serait fauchée dans la fureur qui suivrait. Dans les esprits, on espérait, on voyait la victoire de l’Alpha… Tout bas, certains n’osaient espérer le contraire, mais ce ne serait pas si mal. Ben, quant à lui, enleva ses tennis en appuyant sur les talons, tout en déboutonnant sa chemise. Pour le pantalon, il lui suffisait d’ôter les boutons de la braguette vu qu’il portait toujours ses jeans deux tailles trop grand et une ceinture, le tout partirait suffisamment bien. La peur et la colère qui lardaient sa peau d’aiguilles glacées ne l’atteignaient pas. Même s’il avait vu un certain nombre de batailles pour l’Alpha, il n’avait jamais participé. Jones le lui avait interdit, pour bien des raisons, bonnes ou mauvaises… mais la principale, c’est qu’en combat, Ben n’était pas en harmonie avec son corps de Loup. Il est vrai que la plupart des combats de dominance se passait en forme humaine, surtout pour éviter le carnage, mais certains avaient une préférence très marquée pour le combat de loups.

L’Alpha attaqua avant même que Ben ait fini sa transformation, sans doute pour se donner un avantage suite à la maladresse de l’entre-deux. Grossière erreur. C’était le moment où Ben relâchait complètement son contrôle sur sa moitié Loup pour se nourrir de sa colère et le Loup avait un instinct formidable, aiguisé par la douleur du changement, les os qui changeaient de place, la structure musculaire qui changeait et augmentait, recouvrant des os qui avaient doublé de volume. Le coup de patte, aux griffes à moitié sorties cueillit l’Alpha sur le coté gauche du museau. La truffe était déjà bien entaillée et le loup-garou noir recula. Un coup dans le nez, ça ne pardonnait pas pour un assimilé canidé. La douleur était atroce et persistante, autant qu’un coup à l’oreille pour un être humain.

Enfin, Ben fut prêt. Il ne se transformait pas souvent mais chacun s’accordait à dire que son Loup était une bête magnifique. D’une couleur tirant sur le crème avec un sous poil gris, des yeux hésitant entre l’or et le caramel et le bout des oreilles comme trempés dans un pot de peinture noire. Contrairement à pas mal de Loups dans leur forme de combat, Ben était assez fin, une musculature discrète pour une agilité exceptionnelle. D’aucuns trouvaient ce choix étrange et taxaient ces Loups de chat. Mais rien n’est plus faux. Au fil des années, les Loups plus minces avaient prouvés leur supériorité en beaucoup de domaines. Si un Loup « normal » ne pouvait passer pour autre chose qu’un croisement impossible entre un canidé et un Grizzly, les Loups minces pouvaient espérer passer pour des bâtards de chiens de traineau exceptionnellement grands. En combat, cette supériorité n’était effective que si l’adversaire ne le saisissait pas, d’où une réputation de lâcheté.

Ben prit quelques instants pour lui permettre, ainsi qu’à son Loup, d’étudier son adversaire. Le fait que celui-ci soit encore un peu sonné lui aurait peut-être donné l’occasion d’une attaque, mais rien n’était moins sur. Après tout, les feintes et les faux-semblants étaient monnaie courante dans un combat. Personne ne trouvait rien à redire, sans doute parce que l’intelligence et la stratégie étaient aussi important que la force brute. Ben savait aussi que le premier assaut serait décisif pour la suite… Alors il attaqua, crocs en avant pour laisser à ses griffes la possibilité d’un revers, au cas où…

Ce fut violent et rapide. Dire que Ben s’en tira sans dommage fut un bien grand mot puisque une morsure tâchait sa fourrure de pourpre et les griffures qui lui zébraient le dos étaient profondes. Ce qui étonna le plus les autres Loups, assistant au carnage, c’est que Ben n’avait pas émis un seul son. L’Alpha avait grogné, hurlé, gémi de douleur. Ben … on ne l’entendait pas. Il n’avait pas cherché à impressionner, ni faire peur. Il avait combattu sereinement. Comme un humain.

A tout bien considéré, ça l’étonnait lui-même. Premier combat et il avait eu la sensation que tout concourrait à le faire gagner. Il avait abordé les attaques et les défenses de son adversaire avec un curieux détachement, comme s’il savait ce qui allait se passer. Les coups qui n’avaient pas été évités… et bien, ils ne pouvaient pas l’être. Encore maintenant, il était dans une sorte de brume mentale qui pesait comme une chape de plomb sur son esprit. C’était perturbant, non parce qu’il se sentait mal, mais au contraire parce qu’il se sentait trop bien. Quand Ben tourna le regard vers le reste de la meute, il fut surpris de ne pas tous les trouver tous à terre, la gorge exposée comme c’était l’usage. Mais il était plus étonnant de les voir immobiles dans des positions peu naturelles et encore plus étonnant de voir la femme humaine qui était parmi eux et qui avait ses mains tendues de chaque coté du corps, comme si elle les maintenait par ce simple geste.

Mais c’était Solange. Son œil était encore maquillé de violet. Elle ne souriait pas et avait l’air aussi vulnérable que lorsque Ben avait fichu son ex à la porte après lui avoir cassé quelques côtes.

Sa voix résonna étrangement. Distordue, comme si elle n’était pas en phase avec le temps.

  • J’ai encore besoin de toi, Ben…

 

 

 

 

 

 

Volupté.

Joli mot, non ?

C’est dans cet état second que Victor, qui préférait maintenant qu’on l’appelle Sigur, suivait son jeune cannibale, dans un corps qui n’était pas le sien. Il fallait bien qu’il paye de sa personne pour éduquer sa meilleure arme. Normalement, il lui aurait laissé du temps pour découvrir tout ça, mais le temps, le seul ennemi dont on ne peut pas se débarrasser depuis que l’humain l’avait inventé, lui manquait cruellement. Mais Victor nageait dans un océan de volupté parce que tout se passait bien et parce que, pour faciliter la possession, il avait fait l’amour à Clara des heures durant. Pour son véritable corps, ce n’était, et en il était suffisamment frustré, qu’une façon d’assouvir une faim, mais pour celui de Clara, c’était un état de contentement qui durait… Et c’était très agréable.

Le Cannibale devant lui n’était pas en paix, par contre. Il pestait contre le levier de vitesse manuel, l’étroitesse des rues et un million d’autres choses. Mais c’était normal. Il vivait l’intrusion d’un autre prédateur sur son territoire et il ne voyait que les conséquences. Ça l’énervait. Il y avait de quoi.

Victor, non. D’une part parce que l’orgasme encore proche continuait d’électriser son corps et d’autre part parce qu’il savait qu’il était utopique de croire que les vampires étaient les seuls prédateurs supérieurs de ce monde. Cependant, il fallait bien continuer à se prétendre maitre de son territoire et faire en sorte que les autres le respectent. D’où la présence de Vince. Et puis ça lui donnerait quelques leçons, ce qui n’était pas plus mal.

Mais… Car il y a toujours un mais… Il fallait bien avouer que posséder Clara pour cette petite excursion n’était pas la meilleure des idées que Victor eut pu avoir. Certes, il ne pouvait pas bouger de l’Hôtel de Bagis parce que des émissaires d’Angleterre avaient trouvé de bon ton de présenter leurs respects au Premier Prédateur, sous l’influence d’un Oracle qui souhaitait sauver sa peau et accessoirement devenir la Voix de Sigur. C’était raté dans les deux cas, mais bon… rien n’interdit de rêver. Comme il pouvait scinder son attention en deux, il n’avait trouvé que ce moyen pour suivre Vince. Mais le jeune vampire, aux sens exceptionnellement en alerte, ne pouvait manquer de remarquer le parfum de luxure qui émanait de Clara, sa chair chaude et délicatement rosée par endroit et pire que tout, que Victor, embrasé par la volupté de sa maitresse, le considérait comme un chat considère une tasse de crème. Frustration de ne pas pouvoir en profiter et peur d’en profiter. De quoi faire devenir fou n’importe qui.

Peut-être plus tard… Victor céderait à l’envie d’enfin faire sien Vince, mais l’heure était à l’apprentissage et il devait doser entre la pédagogie et la comédie. Nul humain qui était présent sur la scène ne devait se douter que le Grand Prédateur était là, même sous l’apparence d’une petite jeune femme aussi menue. Cela les aurait inutilement inquiétés… Après tout, on apprécie peu la possibilité de perdre le contrôle de son corps au profit d’un autre. L'autre problème venait du fait que Vince allait croiser un aspect de la politique vampirique qui n'allait pas lui plaire. Normal après tout pour un humaniste. Aucun n'aimait croiser un esclave, surtout quand cet esclave allait être le vôtre.

Simon Occard était la troisième génération de sa famille à servir les vampires de Toulouse. Du moins les couchants. Son grand-père, le précédent de la lignée, avait pris sa retraite de servant de chasse à 57 ans , âge vénérable pour un servant, après avoir passé des années aussi pénibles pour lui que pour Simon à tout enseigner à son successeur. Il était relativement rare que la charge saute une génération mais Papy Occard avait eu une vision désastreuse à propos de son fils et il avait refusé de lui enseigner quoique ce soit. Vision qui s'était confirmée quand son fils, alors marié, père de trois enfants et cadre dans une entreprise agro alimentaire de la région, avait eu un coup de folie pour une jeune femme de vingt ans sa cadette et avait décidé de coller une balle dans la tête de toute sa famille. Simon , alors âgé de douze ans, s'était réveillé au premier coup de fusil qui avait emporté la mâchoire de sa mère, tous ses espoirs et sa vie. C'est en voyant son père tirer sur sa sœur sans lui laisser la moindre la chance et transformer sa joyeuse ainée en une gerbe sanglante habillé d'une chemise de nuit Garfield que Simon était intervenu pour sauver sa peau et celle de son petit frère. Il fit perdre l'équilibre de son père et ramassant le fusil , tira la balle qui restait dans son menton. L'adrénaline chuta, Simon s'aperçut enfin du carnage. A peine capable de bouger, il s'était tout de même trainé jusqu'au téléphone et avait appelé son grand-Père. Puis... il était retourné dans sa chambre qu'il partageait avec son petit frère et l'avait pris contre lui, tous deux tremblant et sanglotant.

Étant officier de police depuis de longues années, Papy Occard savait pertinemment comment finiraient ses deux petits fils. Le second oscillerait de familles d'accueil en familles d'accueil, solitaire et le premier en centre psychiatrique jusqu'à ses dix-huit ans. Aucune chance de retrouver une vie normale. Il maquilla la scène pour que ses collègues y voient ce qu'il voulait bien : la fille ainée avait fait une fugue et s'en était ensuivi une dispute entre les deux parents morts d'inquiétude. Une insulte avait fait mouche. Le père, au comble de la rage avait sorti le fusil et tiré avant de retourner l'arme contre lui, à cause de la culpabilité. Fin de l'histoire. Oh, bien sur, c'était dommage pour Lucie, dont on ne connaitrait jamais le sort et qui n'aurait droit en terme de sépulture qu'à un trou dans le jardin, mais il restait deux petits vivants et pour Papy, c'était le plus important.

On parla très peu de ce fait-divers sordide. Les trois survivants de la famille décourageaient la curiosité par le silence et même les pédopsychiatres ne purent leur faire rendre leur trop-plein de douleur. On oublia. Julien, le plus jeune fut un élève modèle et apprécié de tous. Simon... Fut plus taciturne mais ne créa de souci à personne, même quand il s'endormait en plein milieu du réfectoire, la tête à coté de son assiette. Il faut dire que Simon continua à protéger son frère de la seule manière qui lui restait. Il devint l'héritier d'une lignée d'esclaves. En parallèle du collège et plus tard du lycée, son grand-Père lui donna d'autres cours et l'entraina pour être un servant de chasse. Julien, encore maintenant, n'en savait rien, s'étonna que son frère lâche l'école après le bac pour rentrer dans la police. Mais c'était la voie qu'il s'était choisi et qu'on lui avait choisie. De ce fait, son « Maître » lui avait facilité la tâche. Le hasard des affectations le laissa toujours à Toulouse ou sa proche banlieue et le concours interne qui le fit passer inspecteur fut étonnamment facile. N'eut été ses missions, Simon aurait passé une vie tranquille. Il était marié et son fils venait d'entamer son dixième mois. La perspective de devoir en faire le prochain Occard Servant de la Cour de Toulouse le terrifiait.

Les deux raisons étaient devant ses yeux. La première était le tas de chair au bout de la ruelle, l'autre était son nouveau maître, qu'il ne connaissait pas et dont on lui avait parlé en termes rien moins qu'élogieux et que sa femme avait invité à diner, à charge à son mari de transmettre. Ca, ça le foutait en rogne, mais impossible de faire comprendre à Anna que ces patrons-là n'étaient pas des gens fréquentables même si le précédent avait été d'une exquise courtoisie. Celui-là était un inconnu. Mais il devait obéir.

  •  
    • Bonsoir, Monsieur. On se met au boulot ?

Si son nouveau propriétaire fut surpris de de sa bravade indifférente et de la main tendue, il n'en montra rien et prit la main avec un sourire timide.

  •  
    • Oui, allons-y.

Bon... Simon devait l'avouer, il ne l'imaginait absolument pas comme ça. Quelqu'un qui avait l'air plus jeune, ça oui. Qu'il soit effectivement plus jeune, ça non... Sans doute pas de beaucoup mais il avait naturellement laissé la prééminence à Simon et ça, c'était rare. Quant à la demoiselle, la maitresse du Seigneur de Toulouse à ce qu'on disait, ce qui faisait d'elle l'humaine la plus puissante du secteur, elle restait sagement à l'écart et ne soufflait mot. Oui, c'était une ère nouvelle. Les plus puissants se comportaient comme des gamins timides quand le maître n'était pas là. Ou bien était-ce la sagesse-même que de laisser Simon mener la danse vu qu'il semblait être le seul à avoir quelques compétences en la matière.

Vince avait déjà vu pire. Il avait déjà fait pire, qu'on s'en souvienne. Mais le fait de voir une victime innocente le fit tressaillir. On ne se fait jamais à la mort d'un innocent quand on croit en être un. De plus, la scène puait la peur. La peur de presque tout le monde d'ailleurs, bien que l'origine fut différente. Clara ne craignait rien, sans doute parce que Victor l'avait prévu et l'avait enfermée dans un cocon onirique au fin fond de son esprit. Victor, lui, regardait la scène avec un détachement un peu dédaigneux. Il s'en fichait. Les gens mourraient, ça arrive. Simon souffrait de la terreur retrospective des badauds qui remercient le ciel de ne pas avoir été là. Vince craignait que ce genre de carnage n'annonce le reste de sa vie. Une existence entière à voir le plus noir du monde. La victime avait vu sa mort fondre sur lui et l'assassin, le monstre, la brute, avait craint quelque chose suffisamment fort pour oublier les règles de la société et laisser sa bestialité agir à sa place. Dans un cas comme l'autre, Vince avait de la compassion. Et il avait la certitude que rien d'humain n'avait agi ici. Il se tourna vers Simon qui attendait de faire son rapport. Aussi, ne se fit-il pas prier...

  •  
    • Environ à 4h du matin, un témoin a trouvé ce merdier. Nous l'avons entendu le premier et un menteur de mon équipe à réussi à lui faire comprendre qu'il s'agissait d'un événement certes exceptionnel mais pas surnaturel. Mon menteur est très bon.

Au sourcil levé du jeune vampire, Victor, par la voix de Clara, lui glissa à l'oreille qu'un menteur était une personne, en général humaine, qui arrivait à entortiller les témoins gênants sans les tuer et à jeter une chape de plomb sur la vérité pour rendre les faits probables. C'était toujours mieux que de semer les cadavres. Simon reprit:

  •  
    • Avant de nettoyer , on a préféré vous appeler pour confirmer le caractère plus qu'exceptionnel de l'incident.

    • C'est forcément surnaturel. A moins que vous ne connaissiez un zoo qui a perdu un grizzly ou un garagiste qui monte des pares-buffles avec griffes et crocs sur ses voitures.

Bien répondu. Simon devait l'avouer.

Vince remonta l'allée bloquée par la voiture de police et reprit le chemin de l'agression, lentement... un pas après l'autre... et les yeux d'un blanc de glace. Clara sourit sous l'impulsion de la fierté de Victor. Son cannibale avait dépassé le meurtre et se mettait en chasse. Il y avait quelque chose de jouissif à voir un animal se préparer à la traque: ce moment sous-jacent ou la logique se mêlait à l'instinct dans une alchimie étrange qui rendait l'esprit acéré. Vince était dans cet état de calme avant la tempête. Celui qu'il avait entraperçu dans la douche et qui lui donnait des frissons de d'exaltation. Son fils. Le seul fils qu'il méritait. Un prédateur moral.

Cela faisait partie de ses leçons. Plus que des sens développés, les vampires ressentaient des impressions , des spectres d'émotions, des auras. Tout laissait une trace invisible pour le commun des mortels. Vince avait passé des nuits entières à regarder la cour de Toulouse et à en analyser les trajets. Au risque de passer pour un asocial. Mais ça payait. Même si la piste était froide, la terreur était encore présente. Deux terreurs qui se confrontaient et l'une avait gagné. Et c'était la terreur la plus grande.

  •  
    • A votre avis, c'est quoi? Demanda Simon, sans se soucier de ces yeux de banquise.

    • Un loup-garou...?

A force de naviguer de l'autre coté du miroir, on revoyait à la hausse son critére de possibilité. Les Vampires existaient. Les loups-garous devaient exister aussi.

  •  
    • Ça se tiendrait... Mais la Meute des Pyrénées ne vient pas en ville.

    • Euh... Je ne suis pas très au point sur la géographie française, mais les Pyrénées sont plutôt loin, non?

    • Ouais, mais c'est la meute la plus proche. J'y connais pas grand-chose, mais d'après ce qu'on m'a dit, les meutes sont très dispersées. Et on a pas vu un seul loup de meute dans la ville depuis prés de trente ans.

    • Loup de meute?

    • En gros... Comme les vampires qui font partie de la ville.

    • Donc il y a des... Parias?

    • Ça existe, oui. Mais les loups de meute aiment pas. Les Vampires se contentent de prévenir et de menacer, les loups tuent les intrus. Ils font pas dans la finesse.

Ça expliquait pas mal de choses. Particulièrement l'aura de peur.

  •  
    • Il est possible que cette meute des Pyrénées aient traqué un loup paria?

    • Oui. Tout à fait possible. Sauf sur un point.

    • Lequel?

    • Les loups ne sont pas discrets, pour nous. Ça fait partie des... évènements que l'on doit surveiller. On repère les signes.

    • Donc, pas de loups dans le coin.

    • J'ai envie de dire que j'en suis sur, mais... Il y a toujours un facteur chance que je prend en compte. Un loup qui nous a échappé, ça reste possible.

    • Ce loup-là fuyait. Il puait la trouille. On peut donc supposer qu'il fuyait quelque chose de plus gros ou plus puissant que lui, non?

Simon acquiesça, c'était parfaitement logique.

  •  
    • Sauf que les loups de meute chassent... en meute. Ça limite les pertes.

    • Y'a plus gros qu'un loup?

    • Surement, oui. Mais mes connaissances sont limités à ce niveau. On ne combat que les choses contre lesquelles on a une chance.

Le sourcil levé de Clara et de Vince appelait une réponse. Un peu gêné, Simon la donna.

  •  
    • Contre un loup-garou, shooté aux calmants, avec une patte en moins... Une équipe de vingt hommes très bien armée a une chance. Petite, mais elle existe.

Victor se retint de faire rire Clara. Mieux que personne, il savait les dégâts occasionnés par les loups-garous, même shooté aux calmants et avec patte en moins. Mais la plupart des maitres n'envoyaient pas d'humains. Question de politesse entre prédateurs. On négociait et on évitait de se croiser. Pour les plus fous, il y avait des chasses aux loups... Mais les conséquences n'étaient pas toujours agréables. Mais jamais on ne laissait les humains chasser seuls. Le meilleur moyen de perdre investissements et bons employés, sans oublier la piste.

  •  
    • J'espère que personne ne vous a envoyé contre des loups.

    • Non, Monsieur. Personne à Toulouse n'envoie qui que ce soit contre les loups. La Maitresse... Pardon... L'ancienne dirigeante de la Ville avait pour ligne de conduite de ne pas impliquer les humains dans ses guerres.

    • Attitude ô combien sage... murmura Clara.

Victor était lui aussi un partisan de ne pas impliquer les humains. Mais pas par humanisme. Les survivants, s'il en y en avait, n'arrivaient pas à s'en remettre. Soit ils se pensaient surpuissants et imaginaient leur passage comme vampire très proche, soit... Soit ils ne pouvaient arriver à dépasser l'horreur de la situation. Dans les deux cas, ils étaient foutus pour les maitres.

  •  
    • Et donc, Monsieur? On nettoie?

    • Oui... La piste est la plus forte ici à cause du sang... Mais mis à part une direction approximative... Je ne vois rien. Mais si je le revoie...

Nul autre qu'un vampire coincé dans un corps de femme n'aurait pus comprendre. Oui, Vince abandonnait la piste. Mais pas par manque d'indices. Pas pure colère. Il avait envie de s'en charger seul.

  •  
    • Merci, Monsieur Occard. Vous faites du très bon travail.

Oui... Quelqu'un qui ne connaissait pas le cannibale ne pouvait pas voir que son comportement n'était pas normal. Il se comportait comme un vampire. Victor ne savait qu'en penser. Quelque part, il était bon qu'il se dévoile à sa vraie nature... Mais c'était si peu lui. Il faudrait qu'il pense à le contenir avant qu'il ne dérape complétement.

  •  
    • De rien, Monsieur.

Vince quitta la ruelle avec une démarche plus déterminée, plus agressive. Le tigre qui commençait déjà à lancer sa traque. Clara ne le rattrapa qu'à la voiture. Elle y entra en vitesse et s'arnacha avant de regarder le profil du conducteur. Victor ne put s'empêcher d'admirer la mâchoire crispée et les muscles tendus. Une colère contenue absolument magnifique. Le tigre avait cessé de dormir. Mais c'était trop tôt.

Clara glissa sa main sur la cuisse de Vince avec un petit sourire.

  •  
    • Tu fais quoi, là?

    • Je cède à une pulsion... Comme toi.

    • Conneries, je ne cède à rien.

    • Si... A une pulsion de mort. Moi j'ai envie de toi.

    • Hors de question.

Vince chassa la main importune dans un geste qui hésitait entre le respect et la colère. Impossible de punir Victor sans blesser Clara. Fugitivement, le Grand Prédateur se demanda combien de personnes seraient capables de ne pas oublier l'un au profit de l'autre. Très peu, sans doute.

  •  
    • Pourquoi, hors de question...? Nous te plaisons tous les deux... et je peux faire en sorte qu'elle ressente tout. Je ne crois pas qu'elle dirait non.

    • C'est immoral.

    • Ben voyons... Venant de toi, c'est assez amusant. J'ai fouillé un peu ton ancienne vie... Beaucoup te regrettent et pas à cause de ton gratin de macaronis.

    • Je le ratais tout le temps... Oh, merde...

Ça y'était. La colère était retombée. La simple évocation de sa vie passée l'avait fait régresser. Le tigre s'était rendormi pour le moment.

  •  
    • C'est... lâche de me faire ça.

    • Lâche? Tu t'apprêtais à pourchasser un loup-garou tout seul... Excuses-nous de nous inquiéter pour toi.

    • « Nous »?

    • Évidement. Sitôt que nous avons quitté la scène du massacre, j'ai rendu sa conscience à Clara. Je la protège. Je ne l'emprisonne pas.

    • Venant de toi, c'est assez amusant...

    • Ah oui... Vas-y, rebelles-toi, fils. Fais-moi voir ta fureur adolescente et expliques-moi encore que le monstre millénaire que je suis ne peut pas se comporter avec dignité. Tout au plus, mes rares moments de bonté sont dus à un calcul, mais surement pas à une quelconque moralité.

    • Peut-être pas à ce point là...

    • Si. A ce point là. C'est ce que tu penses. Cela nous blesse. Tout les deux. Clara pense que tu ne lui fais pas confiance. Et moi je pense que tu ne vois qu'une façade et que tu as désormais tellement peur que tu refuses de gratter.

    • Je n'ai pas peur de toi!

    • Non... Tu as peur de toi-même. Tu ne sais pas ou tu en es. Tu veux retrouver tout ce qui faisait ta vie d'avant mais tu t'en empêches parce que ce n'est pas bien. Pourquoi? Pourquoi crois-tu que ta vie d'humain était mauvaise? Parce qu'un fichu vampire t'as trouvé et t'a tué. Tu crois que tu as mérité ce qui t'arrive. Mais en même temps, tu ne veux pas basculer dans le coté obscur. Par toutes les divinités que l'on peut invoquer sur cette terre, qu'est-ce que tu peux être compliqué...

Silence. Le laisser digérer la vérité et le fait qu'il devenait totalement transparent pour Victor. Il ne lui aurait suffi que de quelques mots pour que Vince devienne un traqueur parfait, sans émotion. Un prédateur tel que les Premiers les avaient rêvés et qui étaient devenus au fil du temps une hiérarchie complexe et inutile de gens perdus. Mais ce rêve avait un autre souci que celui d'avoir été totalement déformé. Il était utopique et se basait sur la capacités des Premiers à garder le contrôle et à ne pas décider qu'ils n'en avaient plus rien à faire. Les Premiers étaient atteints de ce mal là. Un ras le bol. Une dépression qui avait murie pendant des millénaires et qui les amenait, soit à mourir, soit à s'isoler du monde qu'ils avaient créé. Un constat d'échec. C'est en voyant Vince évoluer que Victor avait compris ça. Il lui fallait maintenant amener Vince à choisir sa propre voie. A se débarrasser de sa peau de malheurs et de son carcan de morale abjecte. De sa peur, de sa colère. Il fallait qu'il renaisse.

  •  
    • Maintenant, je voudrais que tu nous ramènes, Clara et moi. Tu as le reste de ta nuit libre. La seule contrainte est de ne pas revenir au Bagis avant 5 H du matin. Et... Évidement... Sois prudent.

    • A chaque fois que tu me dis « Sois prudent » j'ai presque envie de croire que tu le penses.

    • Vincent. Va chasser ton loup-garou. Et même si j'aimerais que tu me penses sincère, crois ce que tu veux. Conduis. Clara fatigue.

 

 

Il était étendu sur son lit, le souffle court, les yeux écarquillés et la sensation étrange de n'avoir rien compris. Il était nu, les jambes à peine couvertes d'un drap blanc. Il avait beau essayer de reprendre le fil de la soirée, il n'arrivait pas à raccrocher les wagons même si tout s'enchainait avec une précision et une logique sans faille. C'était juste que... juste qu'il n'arrivait pas à s'y inclure lui-même.

Une très légère odeur de café arabica lui chatouilla les narines et l'attira.

  •  
    • Il faut deux cuillères de café, Solange. Je le prend noir et sans sucre.

    • D'accord.

En essayant de se lever, il eut conscience qu'il s'était comporté comme un mufle. Mais il n'arrivait pas à penser normalement. Tout ça était irréel. Il avait passé la nuit avec Solange. Ils avaient fait l'amour... plus d'une fois d'ailleurs et il savait pertinemment qu'il n'avait pas éprouvé de désir ni de plaisir. Pourtant, il lui avait semblé que Solange, si. Solange qui arrivait avec deux tasses de café fumant.

  •  
    • Sol... Il s'est passé quoi? Je n'arrive pas à percuter...

    • C'est normal. Ce qui est anormal, c'est que tu t'en rendes compte.

    • Et donc, c'est quoi?

    • Une brume de confusion. Je savais que tu n'y arriverais pas sans ça.

    • Arriver à...?

    • Coucher avec moi.

Honnêtement, Ben ne savait pas quoi en penser. N'importe quel autre homme aurait pris ça très mal. Mais c'était vrai.

  •  
    • Tu m'as demandé de me rendre un service. Le dernier avant de disparaître... De te faire un enfant... Et je n'arrive toujours pas à comprendre en quoi c'est une bonne idée.

    • Brume de confusion.

    • Et si tu m'expliquais?

    • Non. Le moins tu en sais, mieux ça vaudra. Et tu as assez de problèmes comme ça.

Ben secoua la tête. Que ce soit le sort ou autre chose, il avait du mal à se concentrer. Même le goût du café n'arrivait pas à lui remettre la tête à l'endroit.

  •  
    • Je récapitule... Tu es une Fée Noire, tu as empêché une meute de faire un carnage sur ma personne. Merci encore d'ailleurs. Et tu as voulu que je te fasse un enfant. Tout en sachant pertinemment que les grossesses consécutives à un accouplement avec un loup-garou se termine neuf fois sur dix sur une fausse couche.

    • Et que les grossesses d'accouplement d'un être surnaturel avec une Fée Noire ont environ une chance sur cent de fonctionner. Oui, je sais tout ça. Et justement.

    • Alors... pourquoi?

Solange soupira et but son café jusqu'à la dernière goutte. En une seule fois... Et brûlant. Outre le fait que n'importe qui se serait déchiré la gorge avec ça, Ben était effaré que l'on puisse ne pas apprécier ce café...

  •  
    • Je brise un cycle. Merci de m'avoir aidée. Encore une fois... A ce sujet, je te dois quelque chose.

    • Parce que... quoi? Je commence à me dire que tu aurais pu t'occuper de ton ex sans moi.

    • Non, je ne pouvais pas. Cela fait partie de... ma malédiction. Une fois que j'ai admis un homme dans mon intimité, je ne peux plus lui faire de mal.

    • Charmant.

Ben se décida enfin à aller prendre sa douche, mais sa nudité le gênait. Pourtant, il savait que Solange et lui s'étaient ébattu des heures durant et que les détails de leur anatomie respective n'avait plus de secrets pour l'un et l'autre. Il s'en souvenait parfaitement. C'était le plus gênant, sans doute. Il chercha désespérément quelque chose à mettre... Un jean, un caleçon... n'importe quoi... Et il n'arrivait pas à choisir.

  •  
    • Sol... Tu peux arrêter ta brume de confusion? Je ne peux plus réfléchir.

    • Non. Pas tant que je ne suis pas partie.

    • Magnifique.

    • Comprends-moi, s'il te plait... Il faut que je me protège. De toute façon, ce qu'il vient de se passer n'aura aucune conséquence pour toi. Et je te dois encore quelque chose. Tant que tu sous la Brume, tu ne pourras pas tout assimiler, mais tu ne me poseras pas de questions.

    • Mais...?

    • Tais-toi et écoutes-moi. Dans quelques heures, quelqu'un va venir. Tu peux fuir. Je te le conseille. Sinon... Sinon, j'ignore ce qui va se passer. Adieu, Ben.

Il lui fut impossible de retenir Solange. Il savait qu'il le devait, mais il se contentait de la regarder s'habiller sans même pouvoir fermer la bouche. Elle prit ses affaires sans un mot, lui lançant de temps en temps des regards peinés, compatissants. Il avait envie de lui demander pourquoi. Pourquoi ces regards? Pourquoi elle partait? Pourquoi on venait le voir? Tout tournait si vite dans sa tête. Il lui fallait appeler Jones. Il n'arrivait pas à se convaincre à prendre le téléphone. Il lui fallait s'habiller, les vêtements restaient en tas sur le sol. Il avait faim. Impossible de se déplacer de cinq pas pour ouvrir le frigo. La Brume de confusion... Il avait déjà entendu parler de ça sans jamais l'avoir subi. Les effets étaient simples. Le sujet ne pouvait tout simplement pas prendre de décision par lui-même. Il ne réagissait qu'à des stimuli extérieurs qui lui ordonnait de bouger. En gros, dés qu'il commencerait à avoir mal aux pieds, il s'assiérait. Si son téléphone sonnait, il répondrait et pire que tout, il donnerait toutes les informations qu'on lui demanderait. Mais comme l'avait dit Solange, il résistait à sa manière. Il se souvenait de tout. Son esprit gardait un cheminement logique. Mais entre la théorie et la pratique, il n'y avait plus rien. Une connexion était coupée.

On frappa à la porte. Stimulus, réaction. Il devait aller ouvrir. Même partagé entre l'espoir que ce soit Solange et la crainte, il alla ouvrir, toujours nu.

Il fit face aux yeux polaires les plus froids qu'il eut jamais vu. Mais ces yeux se voilèrent un instant de saphir, tandis que l'intrus prenait la mesure de la situation. Un instant de doute. Puis une certitude.

  •  
    • Vous?

 

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7 août 2011 7 07 /08 /août /2011 21:37

Bonjour, bonjour!

 

Il y avait longtemps que je n'avais pas écrit ici et avant de pousser ma gueulante, je tenais à m'excuser du silence radio presque total.

 

Voilà, c'est fait.

 

Ensuite, je me mets à râler. Mais d'abords, regardez ça.

 

http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19233594&cfilm=172168.html

 

 

J'ai découvert ce... truc... au détour d'une conversation avec l'autre moitié de mon couple durant laquelle nous cherchions à nous changer les idées par le biais d'une sortie cinématographique à prévoir sous peu. Nous avons navigué de bandes annonces en bandes annonces pour enfin trouver l'objet du délit.

 

Ma première réaction fut... une totale stupéfaction... Pour quelqu'un comme moi qui avoue une passion pour Alexandre Dumas Père avec pour point culminant le Comte de Monte Christo dont j'en suis à la vingtième lecture sans me lasser, j'hésite entre l'ire et le mépris.

 

Décryptons un peu... Un scénario qui n'a strictement rien à voir avec l'oeuvre originale, même si j'admets avoir regardé un bon nombre d'adaptations plus ou moins libres. Mais là... Je crois qu'on tombe dans un abîme de non sens. Dans le désordre et pour trois cacahuétes:

 

- Anne d'Autriche et Louis XIII s'aiment à la folie et se soutiennent.

Bon... Passons sur la vérité historique et restons sur la version de Dumas... Et ben, non. Ca ne colle pas du tout. Si on part de ce postulat, on peut oublier l'affaire des ferrets de la Reine puisque si Anne d'Autriche aime trés sincérement son époux, elle ne peut pas tomber amoureuse du duc de Buckingham et lui donner ses lacets et craindre que son mari le découvre... Alors... Elle est où l'intrigue?

 

-Le Cardinal de Richelieu et Buckingham sont alliés.

Euuuuh... Dans le roman ( et dans l'histoire, aussi d'ailleurs...) la France et l'Angleterre sont en guerre. Richelieu et Buckingham se haissaient cordialement et chacun voyait l'autre comme l'obstacle majeur à la victoire. Ben là, non... Ils sont potes et vont dominer le moooooonde!!! Avec l'aide de Milady parce qu'il faut bien une méchante et, il faut bien l'admettre, Milady est une méchante parfaite... dans le roman... mais j'y reviendrais plus tard.

 

- Les bateaux volent.

Ah bah tiens... c'est vrai que dans le Roman, Dumas s'était bien lâché sur les bateaux dirigeables et sur les batailles Aero-navales...

 

...

 

Mais encore si ce n'était que ça? Ce n'est pas la première fois que nous assistons à un massacre de l'histoire originale... Mais là, en fait on tire sur un convoi de corbillard... Le comte de Rochefort et Milady qui jouent aux Ninjas... ou à Matrix, je sais plus trés bien, le Duc de Buckingham joué par Orlando Bloom qui a l'air de sortir d'une version de la Cage aux folles sous exctasy, D'artagnan qui a l'air d'avoir 15 ans... Au bout d'un moment, ça fait beaucoup. Mais ce qui m'a achevé, ça a été une vision d'horreur.

Sachez, Ô mes lecteurs que le Chateau de Versailles est pour moi mon monument préféré. Chaque année, je fais la visite soit des jardins, soit des appartements et j'ai même eu la chance d'y travailler 1 mois... Mais le voir dans un film traitant des Trois Mousquetaires... J'ai cru défaillir... Pour ceux que ça ne choque pas, sachez que sous Louis XIII, le domaine de Versailles c'était du marécage, de la forêt et un tout petit pavillon de chasse... Pas l'énorme truc qui a perdu 25% de ses batiments par la magie du Mate painting et gagné 50% de cour en plus...

Oui, mais là, non...

 

 

Je soupçonne le scénariste de s'être tapé une sacré cuite, d'avoir mis les noms dans un chapeau, de s'être fait un marathon de Resident Evil et de Matrix et d'avoir redistribué au hasard les rôles...

 

Résultat... un beau Nanard.

 

Au mieux...

 

 

Au fait? En parlant de nanard... Je vous ai parlé de Hell Driver?

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8 mai 2011 7 08 /05 /mai /2011 21:27

 

 

 

 

 

 

 

Le plus terrible était sans doute de ne pas arriver à être normal, même avec la meilleure volonté. Cela faisait bien deux trois heures qu’il zappait entre différents films pornographiques de différents genres (et tout y passait, sauf le plus gore et l’illégal, bien sur) et les seules choses qui l’empêchaient de dormir devant étaient les erreurs de montage. Pathétique. Il avait beau regarder deux femmes voluptueuses s’amuser avec une courgette, il n’y avait rien. Et ça faisait des années que ça durait. Les rares moments où il ressentait la moindre excitation étaient les seuls moments ou il devait à tout prix se contrôler. Et il avait un contrôle excellent. Il s’astreignait à se contrôler depuis le début pour ne blesser personne et pour rester à sa place. Le meilleur moyen de ne pas en mourir. Malheureusement, cela tuait en lui toute capacité à poser le masque, même pour quelques instants.

Écœuré, il coupa le film et passa dans le coin cuisine pour se préparer un café. Ça, par contre, il ne pouvait pas s’en passer. Même s’il avait été élevé dans le culte du thé et que son pays de naissance se caractérisait par une incapacité irréversible à préparer un café convenable, il ne pouvait plus se passer du café français. Ses pauvres économies passaient dans l’achat de cafés et de cafetières, toujours plus performantes. Son bébé était une machine à expressos professionnelle qui lui prenait la moitié du mur, mais il n’avait jamais regretté, ni son achat, ni d’être venu en France. Un peu de crème, un sucre roux et on touchait au paradis. Bien évidement, personne ne pouvait se douter de cette passion qui aurait pu passer pour malsaine puisque non tournée vers le sexe. C’était le problème de vivre dans un quartier étudiant, la jeunesse ne pensait, ne vivait que par le sexe et la boisson, donc il pouvait paraître suspect malgré les belles histoires d’une fiancée anglaise laissée au pays et à qui il rendait visite et qu’il comptait rester fidèle, Bla Bla Bla… Malheureusement cette belle histoire qu’il avait passé deux mois à étoffer rendait la plupart de ses voisines encore plus affolées de l’entrainer dans leurs draps. D’où le plan B, la misogynie, portée jusqu’à la muflerie. Ce qui marchait assez bien jusqu’à ce qu’une nouvelle voisine ne le démasque en quelques secondes. Il en avait été bluffé et de fil en aiguille, il l’avait mise à son niveau.

Il faut dire que le reste de sa « famille » lui manquait cruellement. Personne ne pouvait vraiment comprendre les liens qui les unissaient vu qu’ils venaient tous de milieux différents, ils étaient d’âges variés et ils ne se ressemblaient en rien. Mais quand ils étaient ensemble, tout allait bien. Tout ne pouvait qu’aller bien. Cependant, Jones l’avait envoyé ici pour, selon ses propres termes, prendre le pouls de la ville. Il n’avait rien dit. Mais il l’avait très mal vécu.

Chut, on ne pense plus. Café.

Un soupir d’aise et une fesse sur la table de la kitchenette. Le bonheur tenait à peu de choses pour Ben. Peut-être qu’une femme nue parfumée au café lui offrant un cappuccino… Peut-être que pour ça, il pourrait s’exciter un peu. Le plus dur était de trouver la femme qui accepterait de faire ça… Il retourna devant son ordinateur pour finir ses devoirs. Mais quelle idée aussi de le faire passer pour un étudiant ! Il y avait longtemps que Ben avait fini ses études et s’il s’écoutait, il ne trouverait pas de travail et se contenterait de vivre d’allocations minimum pour installer son ordinateur et sa ligne internet dans une cabane perdue au milieu des bois. A la rigueur… Un petit boulot de garde forestier et on n’en parlait plus. Depuis qu’il avait trouvé la famille, son diplôme d’ingénieur informatique spécialisé en création de logiciels de gestion pour les entreprises prenait la poussière. La seule chose qui le rattachait encore à sa vie d’avant était le MMORPG. Et les FPS pour se détendre. Le reste… Il s’ennuyait à coder et manquait tout envoyer balader. Du reste, il était incapable de garder le moindre emploi plus de deux mois, depuis la « Famille ». Encore qu’il serait injuste de leur imputer ça. Même avant, il luttait contre lui-même, mais pas de la même façon.

Une musique latino commença ses accents sensuels de l’autre coté du mur. Ben n’aimait pas le bruit mais pour Solange, il était prêt à supporter deux heures de musique quotidienne. Solange prenait des cours de salsa et son seul regret c’est de ne pas trouver un partenaire de danse. Ben s’était récusé avant même qu’elle ne lui propose. Ce n’était pas une question d’incompétence mais bien de honte. En dehors de sa verve mordante et quand il était bien remonté, paraître en public le paralysait. Un autre effet de la « Famille ». Le seul qui pouvait s’exprimer en public, c’était Jones. Mais c’était parfaitement normal.

En parlant de lui, le téléphone portable se mit à sonner avec « What a Wonderful world » de Louis Armstrong. Il décrocha aussitôt et répondit en anglais.

  • Salut, Jones ! Tu t’es levé avec les poules, dis-moi…

  • San Francisco.

  • C’est une nouvelle façon de saluer ? San Francisco à toi aussi.

  • Les mangeurs de morts ont décapité San Francisco.

La bonne humeur de Ben s’envola aussitôt. Il n’était à Toulouse que pour surveiller les attaques de vampires contre eux-mêmes et voilà qu’en fait ces idiots étaient à San Francisco. Pourtant, il était sur que les équipes d’assassinat devaient rester sur place un bon semestre pour prévenir les révoltes. Et il y avait un autre souci.

  • Jones… Ça fait deux attaques en l’espace de deux mois. Ils sont tombés sur la tête ou quoi ?

  • Aucune idée… Peut-être que nous avons mal calculé le nombre de leurs… unités spéciales. Surtout que personne n’a bougé là-bas. Et personne n’a eu de signes avant coureurs.

  • Ils sont devenus dingues, ou quoi ? Ils se massacrent tous dans la joie et la bonne humeur et nous, on compte les points ? Non mais attends…

L’illumination au dernier moment. A force de jouer les espions, Ben finissait par bien connaitre ses sujets d’étude.

  • Julia était à Toulouse au début de la semaine… D’après mes informateurs, elle devait superviser une intronisation d’ambassadeur à Paris cette semaine… la Décapitation n’est pas complète !

  • Détrompes-toi. J’ai eu Hassan qui est censé avoir un œil sur la cour parisienne. Julia est morte et Paris retient son souffle.

  • Attends… Deux équipes ? En plus de celle qui est censée se trouver ici ?

  • Si elle se trouve bien à Toulouse… Mais on peut déjà tabler sur deux équipes de tueurs, oui. L’Alpha des Alphas a mis la meute de Rodney sur les traces du Maître du Temps. On peut légitimement penser que c’est lui qui a fait la coordination.

  • Outre le fait que ça fait beaucoup de « Si », de « peut-être » et de « on peut légitimement penser », tu peux me dire pourquoi on s’intéresse à la politique vampirique ET aux tractations qu’ils ont avec les Darfs ? On ne traite pas avec les Darfs, nous. Les comtes de Fées ne nous le pardonneraient jamais…

  • L’Alpha des Alphas l’a demandé. Il semble… Et oui, c’est encore au conditionnel, qu’il soit prêt à lancer la guerre.

La possibilité de la guerre entre les vampires et les Meutes couvait depuis… bien avant que Ben soit né et même Jones. De toute façon, les deux factions n’entretenaient pas vraiment de relations cordiales. Un pacte de non-agression avec, rarement, des échanges de services ou de prisonniers. De ce fait, les meutes avaient choisis leurs alliés parmi les ennemis des alliés des vampires. Les deux seules factions qui ne se mêlaient pas de cette guerre « assuraient » la liaison. Encore que…

  • Bon… Et quels sont les ordres ?

  • Continue la surveillance. Il pense que l’on peut sans doute en retourner certains à notre avantage.

  • Des suceurs de sang ou des mangeurs de morts ?

  • Les deux. La situation actuelle semble indiquer qu’un nouveau pouvoir se lève parmi les vampires et que ce nouveau pouvoir a, au moins, l’oreille de leurs assassins. En clair, il existe la possibilité d’un coup d’état.

  • Le grand Manitou veut savoir si le changement de gouvernement va nous être hostile ou pas.

  • Exactement. Tu te sens comment pour une opération rapide et violente ?

  • Tout seul ? Je trouve que tu as une confiance délirante en moi, Jones. Et puis... Il faudrait que je sache qui prendre et qui interroger. Les pontes de la Cour de Toulouse me semblent un poil hors de ma portée... les autres n'ont pas vraiment la science infuse.

  • Tu veux que je t'envoie des renforts ?

  • C'est tentant... Mais tant que j'en sais trop peu, ce serait prématuré et dangereux pour tout le monde.

Un silence sur la ligne. Ben pouvait entendre son Alpha sourire au bout du fil. Les loups-garous sont comme ça, le moindre bruit de respiration a une signification. Quand deux loups-garous se croisaient, ils échangeaient trois mots et s'étaient donné les nouvelles de leurs familles depuis trois générations.

  • C'est ce que j'aime chez toi, Ben. Tu es le seul de la Meute à ne pas foncer tête baissée. Mes deux lieutenants te détestent à cause de ça, ils sont persuadés que tu seras le prochain Alpha que je choisirais.

  • Hors de question, je suis très bien à ma place et je n'ai aucune envie d'en changer.

  • Tu n'es pas un soumis, Benedict. Il va bien falloir que tu admettes ton rang.

  • Non, y’a pas moyen... A moins que ce soit un ordre... ?

  • Non, Ben. Te forcer sera encore pire. Rappelle-moi dés que tu as de plus amples informations.

Jones ne laissait jamais le temps à ses interlocuteurs d'en rajouter. A force, quand on le connaissait, on y faisait plus attention. Par imitation, Ben finissait par faire la même chose, au grand dam des autres. Mais l’heure n’était plus au café et il laissa la tasse dans l’évier avec les cinq autres qu’il avait prises depuis le matin. Il fallait qu’il s’organise pour continuer son espionnage et même en attraper un pour le faire parler. Il reprit ses dossiers et recommença le travail de compilation des données. Une très grande partie de la Cour de Toulouse d’avant la décapitation était là. La mention « Disparu » barrait les noms de ceux qui avaient péri. Pour les autres, les informations étaient lacunaires, comme toujours. Cependant, grâce à certains de ses informateurs, il y avait trois nouvelles entrées. Le nouveau Régent, son unique lieutenant vampirique et sa maitresse humaine. Mais mis à part les fonctions, les dossiers étaient vides. Le plus facile serait évidemment d’attaquer la fille. Elle était humaine, donc son enlèvement et son interrogatoire seraient faciles. De plus, sa disparition, même si le Régent n’allait pas du tout apprécier, passerait presque inaperçue. Le seul souci, c’est que le jeu n’en valait peut-être pas la chandelle. Les humains, surtout les esclaves sexuels des suceurs de sang, n’en savaient pas lourd.

Il songea aussi au Lieutenant, dont les rares informations qui filtraient indiquaient qu’il ne semblait pas à sa place, mais encore une fois, le jeu n’en vaudrait peut-être pas la chandelle. Pourtant, à n’en pas douter, les premières pistes se trouvaient au sein de ce trio de tête. Manque de chance, à moins d’être stupide, le Régent était intouchable.

Assis sur son fauteuil d’ordinateur, Ben pencha la tête en arrière, accablé par la situation inextricable. Plusieurs fois, il avait été tenté de rappeler Jones pour lui demander son retour et qu’il mette quelqu’un d’autre à ce poste. Et tout autant de fois, il se souvenait que Jones l’avait soutenu contre tous les autres pour cette mission et qu’il l’en savait capable. Ben restait uniquement pour ne pas décevoir Jones. A force de ressasser ça, il se savait incapable de continuer à travailler pendant quelques heures, donc il commença sa séance de zapping sur internet. Chaque Geek a ses habitudes de navigation et vérifie plus ou moins régulièrement si quelque chose a changé. Ces temps-ci, il vérifiait un message sur un forum où la communauté cherchait des informations sur un des leurs qui ne donnait plus signe de vie. En règle générale, ça n’inquiétait personne, mais pour celui-là, on avait donné l’alerte. Pour Ben, c’était triste car le disparu était l’un des rares amis, de ces amitiés virtuelles qui ont l’avantage de ne pas vous peser physiquement. Mais toujours aucune nouvelle et on indiquait que la police n’avait aucune piste. L’espoir s’amenuisait… certains songeaient même à une cagnotte pour payer une couronne à ses funérailles… si on retrouvait le corps.

  • Monde de merde…

Qu’il le veuille ou non… il devait appeler son comte de Fée personnel.

 

 

 

 

 

 

 

  • Ce n’est pas en faisant la tête que tu échapperas à cette satanée soirée. J’y vais, alors toi aussi.

Ca prenait Clara de plus en plus régulièrement de traiter Vince comme une poupée à habiller et à coiffer. De plus, comme il ne « dormait »pas le jour, cela lui laissait de longues heures à faire la petite fille sans que Victor n’en dise un mot. Ce jour-là, elle combattait son anxiété en le traitant comme un mannequin récalcitrant. Ce qu’il était puisque lui non plus ne se sentait pas particulièrement rassuré par les événements du soir. Le fait qu’il était assez proche de la lumière du soleil, puisque Clara ne souhaitait pas plus que ça s’abimer les yeux, achevait de le rendre paranoïaque.

  • De toute façon, j’ai besoin que tu me protèges… Victor sera trop occupé à faire montre de sa superbe et si on m’attaque, il ne réagira pas assez vite… Toi, on t’évite, si je reste à coté de toi, je survivrais peut-être à cette intronisation…

  • Ils sont déjà tous paralysés de trouille en sa présence, Clara… Pourquoi voudrais-tu qu’ils t’attaquent au risque de le payer très cher ?

  • Je ne sais pas… Mais je la sens pas du tout cette soirée… Il va se passer quelque chose et ça va me tomber dessus et je…

  • Aie !

Le problème de Clara quand elle était angoissée, c’est qu’elle ne contrôlait plus vraiment ses mouvements. Elle venait de faire ripper le ciseau sur la joue de Vince… et c’était la troisième fois depuis le début de la séance.

  • Bon Dieu ! Je sais que je guéris vite, mais tu peux pas faire attention ??

  • Désolée…

D’ailleurs, heureusement que Vince guérissait bien plus rapidement sinon, il se serait présenté le soir même avec de belles estafilades en guise de nouveau look. Il faisait déjà assez peur comme ça. Lors de son retour de Paris, la Cour l’avait vu revenir avec cette aura si particulière du prédateur repu et gorgé du sang de quelqu’un de vieux et de fort. Même s’il avait voulu, il n’aurait pas pu paraître aimable. Le seul à lui ouvrir les bras fut Victor et les Levants présents en avaient conçu une peur viscérale pour leur Régent. Après tout, celui-ci ne venait pas de démontrer qu’il pouvait transformer un tigre en agneau rien qu’en le serrant contre lui ? Rétrospectivement, plusieurs Levants s’étaient pris des angoisses bien naturelles à l’idée d’avoir côtoyé presque quotidiennement celui qui pouvait l’instrument de leur mort et qui était sous les ordres du type qui avait usurpé la place de la Maîtresse précédente. En effet, de quoi se terrer sous une couette en priant le ciel qu’on les y oublie.

Que Victor ait décidé de tenir son Intronisation au poste de Maître de la Ville si peu de temps après la décapitation de San Francisco et où son Couchant avait tenu un rôle non négligeable, tenait de la simple stratégie. Le message était clair : « Je suis là pour durer et j’en ai les moyens. ». C’était aussi un pied de nez aux autres villes, une forme de « attaques-moi si tu l’oses » sachant que personne ne l’oserait. Vince se savait piégé durablement au même titre que les Levants. Sans lui, Victor aurait un argument de poids en moins et Toulouse serait à nouveau à la merci de ses voisins. Encore une guerre, encore des massacres et le pire, c'était qu'en tant que Cannibale, Vince serait obligé de revenir et participer à la curée. Après s'être senti particulièrement puissant après le meurtre, il était retombé dans une dépression terrible en prenant conscience qu'il ne se sortirait jamais de cette guerre. Il n’était même pas un soldat mais juste une arme de dissuasion. On ne demande pas à une arme d’avoir la moindre pensée… Pourtant… Pourtant, Victor semblait le traiter un peu mieux qu’un outil. Un animal de compagnie, sans doute. Il enviait Clara et Victor de pouvoir compter l’un sur l’autre. Lui n’avait personne. Même Charles, qui avait eu intérêt à le côtoyer et à lui enseigner ce qu’il savait, le fuyait maintenant comme la peste. Il était tout seul, plus qu’une fonction au sein de la cour.

Lors des réunions, il restait contre le mur, menace vivante et protecteur. Il se fichait royalement de ce qu’il se disait et il comprenait pourquoi Victor ne lui avait jamais enseigné les tenants et les aboutissants de la politique Toulousaine. Inutile. Il était déjà au dessus et nul ne lui demanderai plus rien. On ne demande jamais rien au bourreau.

Il s’était demandé s’il ne valait pas mieux rejoindre la horde des cannibales, au moins parmi eux, personne ne le traiterait comme un pestiféré. Mais les voir de loin l’avait convaincu qu’il ne serait jamais comme eux. Il était allé les voir à Aix en Provence alors qu’ils se nourrissaient sur une bande de vulgates innocents, enfin presque… Un massacre. Pur et simple. Sans aucune raison sinon la fin. Vince n’aimait pas les vampires, sans doute parce qu’il ne s’aimait pas lui-même, mais la souffrance de ces pauvres diables l’avait atteint, même s’il s’était tenu loin. L’un des Cannibales l’avait remarqué. Il était parti avant de devoir s’expliquer. Moins seul, oui. Moins humain aussi.

  • Mieux vaut être seul que mal accompagné… Marmonna Clara en taillant une mèche.

  • Clara… Arrêtes de lire dans mes pensées…

Petit changement sur Clara qu’elle avait remarqué récemment. Pour peu qu’elle soit proche de quelqu’un, elle entendait des bribes de pensées. Oh pas grand-chose, mais suffisamment pour inquiéter quand elle répondait à une question qui ne lui était pas posée. Clara n’arrivait pas à faire la différence entre la voix de l’esprit et le son. Victor pensait qu’en faisant de Clara sa maitresse, il lui avait transmis une infime partie de ses capacités. Sans doute aussi les conséquences des possessions. Clara ne le vivait pas trop mal, mais elle s’inquiétait à long terme des conséquences.

  • Désolée, mon grand…

  • Pas grave.

A l’inverse, Vince vivait comme une trahison que Clara commence à se montrer moins humaine. Elle n’y était pour rien mais il ne pouvait s’empêcher de voir sa « mutation » que comme une attaque personnelle contre lui. La perte de ses lieux surs… un de plus. Plus que jamais isolé et incapable de trouver de quoi être moins seul. De plus en plus, il rêvait à sa vie d’avant. Comme il lui était impossible de mourir par ses propres moyens, il se disait qu’il pourrait au moins en profiter un peu plus voire franchement se mettre en danger pour qu’on le tue. Il avait exposé à Victor son désir de renouer avec le monde… La réponse se faisait attendre.

C’était peut-être bien ça le problème… Les vampires semblaient incapables de vivre en communauté et en même temps ils ne pouvaient se passer d’avoir des contacts avec les humains, quitte à les mettre en danger. Clara était l’un des plus beaux exemples. Qu’ils le veuillent ou non, les vampires étaient tragiquement inadaptés au monde. Certains Dents de Lait pensaient qu’en renouvelant le cheptel avec un certain nombre de nouveaux vampires tous les vingt ans, compensant ainsi les pertes des guerres de pouvoir, les plus vieux pouvaient s’adapter à l’inexorable marche du monde. Mais c’était prendre le problème à l’envers. Les vampires souffraient de leur mort, pas que les autres soient toujours en vie.

Il recommençait à broyer du noir. Mais cette fois-ci, il influençait Clara et ce n’était pas bon.

  • Dis, ma belle… Tu ne devrais pas t’habiller, toi aussi ?

  • Je sais pas quoi me mettre…

Au moins n’osait-elle pas le « Je n’ai rien à me mettre » qui aurait été d’une mauvaise foi criante. Depuis son arrivée à Toulouse, elle avait été prise d’une boulimie de fringues telle qu’elle n’était même pas aperçue que certains articles étaient en triple. Vince imagina se venger un peu et l’amena devant sa penderie. Cette fois-ci, c’était lui qui jouait à la poupée.

 

 

 

 

 

 

Se réveiller au son d’un portable à la sonnerie stridente était bien le pire moyen de commencer sa journée. Comme tout vampire qui répugnait à vivre dans le mythe, Victor passait ses journées dans une chambre sans fenêtre ou soigneusement calfeutrée, dans un lit de préférence de taille monstrueusement trop grande pour une personne seule. Pas pour le confort, puisque le « sommeil » vampirique s’apparentait plus à un coma dépassé dont les seuls signaux vitaux qui pouvaient à la rigueur apparaître étaient ceux que son instinct de survie, toujours en éveil lui par contre, lui instillait en cas de danger. D'où la stridence du réveil, d'ailleurs. Le souci était que Victor sortait de sa torpeur avec des envies de meurtre. Il interdisait son lit à quiconque quand il savait qu’il devait se réveiller avant que sa nature ne lui permette : trop de ses rencontres d’un jour avaient péri sottement parce qu’on l’avait surpris en plein jour. Très peu productif, tout ça.

Le pire étant sans doute que cette sortie du lit réveillait en lui ses pires instincts, comme de déchiqueter une proie lors d’une séance de sexe particulièrement rude. S’il ne craignait pas d’effrayer et de trahir Clara, il aurait sur le champ exigé la venue d’une sacrifiée, ces dames que certains vulgates offraient à leurs seigneurs et qu’ils prenaient dans la rue. Il aurait été seul, avec la certitude que Clara ne saurait jamais, il l’aurait fait… Mais le sang part mal et il lui aurait dit la vérité. Pas bon tout ça… Du reste, il avait cette fichue intronisation dont il se serait bien passé mais qui était hélas nécessaire et le premier pas vers le reste. Hors de question de paraître comme un homme qui vient d’assouvir ses pires fantasmes dans une cour de vampires policés et dont l’odorat les alerterait du carnage. Sans doute le meilleur moyen pour se faire abattre dans le dos, même avec Vince à ses cotés.

S’il s’était réveillé aussi tôt dans la soirée alors que le soleil déclinait lentement, c’était à la demande du Maître du Temps, titre pompeux que le meilleur des organisateurs s’était arrogé. Victor le détestait. Ils travaillaient ensemble depuis des siècles mais l’efficacité de l’un et l’autre ne les avaient jamais amenés à se considérer autrement que comme des emmerdeurs, voire pire. Ils avaient besoin l’un de l’autre, se rendaient les services appropriés mais il ne serait jamais venu à l’idée de Victor de convier le Maître du Temps à son intronisation ni même à celui-ci d’y venir. Même communiquer était difficile pour eux. Il fallait taire les blagues vaseuses, les attaques gratuites et rester dans la plus totale neutralité alors qu’ils rêvaient de s’abreuver d’insultes.

  • J’espère que c’est important…

  • Ça l’est toujours, Victor. Je ne t’appelle pas pour le plaisir.

Ça commençait bien… Très classique tout ça… Si ce n’est que la voix de Victor était pâteuse et lente, comme s’il avait bu la veille bien plus que son estomac ne pouvait en contenir. L’esprit restait conscient et trouvait que parler comme ça, c’était particulièrement atroce pour quelqu’un dont la voix était la meilleure arme…

  • Je prends toujours soin d’embaucher des cannibales qui ont vraiment les crocs… Déjà parce que ça évite qu’ils ne pètent un câble et ensuite parce qu’ils considèrent mon intervention comme une faveur que je leur fais…

  • Et qui dit faveur dit aussi rétribution en retour, merci je connais la combine…

  • Tais-toi et écoutes-moi, ça te changera… Bref. J’ai une information à te vendre.

  • Combien… ?

  • Et tu ne me demandes pas ce que c’est, comme information ? Tu me fais confiance ou quoi ?

  • La seule chose à laquelle je fais confiance à ton sujet, c’est ton avidité… Et tu sais très bien que me faire une entourloupe, c’est l’assurance de tuer sa vache à lait…

  • Parfait, tu ne verras donc pas d’inconvénient à me payer le double.

  • Ne pousse pas. Je te paye la moitié en plus et je n’irais pas au-delà…

Le rire qui lui parvint, déformé par les ondes téléphoniques, était grasseyant et lui vrilla le tympan. Victor préféra éloigner le portable de son oreille le temps que l’hilarité de son correspondant se calme.

  • Bien, je me contenterais donc de ça… Enfin, mes affamés m’ont appelé pour me faire part d’une demande assez spéciale…

  • De la part de qui et pour qui ?

  • Pour eux… une mission et l’ordre de se tenir prêt si la mission est confirmée. Et la cible, c’est toi.

Totalement dégrisé, Victor se redressa sur son lit.

  • Qui a demandé ça ?

  • C’est le genre d’informations que je peux avoir, oui… mais là, il va me falloir beaucoup plus, mon cher… Bien plus que les petites commissions dont tu m’honores. En fait, cela ne se comptabilisera même pas en argent humain. Et tu connais le prix.

Bien sur qu’il connaissait le prix. Cela faisait des années que le Maître du Temps essayait de lui extorquer et que Victor répondait par des pirouettes, par des clauses de contrat qui se révélaient au tout dernier moment pour ne pas payer ce prix-là. Le problème de devoir traiter avec des Darfs… avec des Faes tout court d’ailleurs qu’elles soient de la cour d’hiver ou de celle d’été ou éminemment rares, celles de l’équilibre, c’est que le prix à payer revient toujours sur le tapis, et au pire moment. Pas loin de trois siècles à biaiser mais là… Le Darf ne se laisserait pas dérouter aussi facilement. Cela pouvait expliquer l’heure aussi. Victor ne fonctionnait qu’à la moitié de ses capacités et il ne trouvait aucune parade.

Si, une.

  • Tu auras ton argent dans la semaine.

Et il raccrocha.

Soyons honnêtes un instant, Victor le savait, il venait de rompre l’accord tacite qui faisait du Maitre du Temps son principal agent parmi les cannibales. Il venait de se fermer une porte mais il n’avait pas eu le choix. Payer le prix aurait été encore pire et bien plus lourd de conséquences. Au pire, il pouvait toujours attendre le prochain cycle du Maitre du temps, traiter avec sa fille et faire en sorte que la lignée s’éteigne. Il n’avait pas besoin d’un ennemi sur le long terme, vu qu’ils se bousculaient déjà, même sans savoir ce qu’ils combattaient. Ca l’ennuyait parce qu’il dévoilait ses cartes bien trop vite à son goût. Le pire étant que son atout majeur avait encore besoin de maturité et qu’à force de l’utiliser, il allait le déformer pour en faire un cannibale comme les autres, puissant, sans pitié, et sans âme.

Restait le problème d’une décapitation en suspens. Preuve, s’il en fallait une que Victor avait réussi à mettre un sacré coup de pied dans la fourmilière. Des ordres de mise à disposition pour une décapitation, il y en avait souvent. Les cannibales restaient sur le qui-vive, les Hiérartes avaient des sursauts de conscience morale… bref, l’effet était celui de la dissuasion. Cependant, on estimait, à raison, que trop de décapitations en tuaient la menace. On pouvait être quitte avec les décapitations pendant quelques années après l’une d’entre elle. Deux, c’était énorme. Trois… Autant avouer qu’on était en guerre totale et que les Grands Prédateurs ne maitrisaient plus rien. C’était le but. Mais pas si tôt.

Du reste, Victor avait d’autres moyens de savoir quel Oracle avait décidé de maintenir les cannibales prés de sa gorge… Car il s’agissait forcément d’un Oracle qui, pour une fois avait décidé de jouer son rôle de manière politique. C’était interdit. Et ça signifiait pas mal de choses… Particulièrement celle selon laquelle les Oracles avaient bien fini par contrôler la politique vampirique en dépit de toutes les règles. Signal d’un changement imminent. Restait à savoir qui allait devenir Oracles. Bizarrement, Victor s’en fichait royalement. Les Oracles étaient inutiles. Néanmoins… par mesure de sécurité… il ordonnerait à Vince de rester loin de lui. Ce qui pousserait ce dernier à rester encore plus prés. Là où ces politiques d’un autre temps se trompaient, c’était dans la puissance des forces respectives. Durant des siècles, Victor s’était tenu à l’écart. Durant des siècles, il avait minimisé ses capacités en se contentant de jouer les seconds couteaux. Il en était heureux à vrai dire… Il avait fallu le regard de Clara pour que lui retrouve l’envie de se battre… Il avait fallu la présence de ce petit Lutin noir pour que Victor redevienne Sigur.

Il se mit à sourire.

Si longtemps qu’il n’avait pas pensé à ce nom qui était le sien, il y avait tant d’années et tant de changements entre temps… Des peuplades qui n’existaient plus, d’autres qui n’existaient pas encore, des mots qui ne signifiaient maintenant plus rien… Si longtemps… Sans doute pour cela qu’il avait du mal à comprendre Vince et son besoin de redevenir ce qu’il était. Lui avait enterré sa vie humaine dés son passage à la Nuit. Il n’avait eu besoin de personne pour ce changement là.

En quelques nuits, Sigur avait marqué profondément le Monde de la Nuit, puis Sigur avait éprouvé la fatigue des vieux dirigeants qui désespèrent de trouver un héritier… Sigur était devenu Victor et s’était endormi dans les tréfonds d’une conscience, repos bien mérité de celui qui avait été la terreur de l’Europe. Mais comme tous les vieux guerriers, Sigur avait senti la menace. Non pas contre sa personne mais bien contre tout ce qui faisait son monde, son enfant à l’âme massacré et sa douce jeune fille qui le reposait bien plus efficacement qu’une journée de sommeil ou un massacre. Sigur se relevait, se découvrant aussi impitoyable qu’auparavant et sa force inentamée. Une volonté aussi s’était relevée avec lui. Jusque là, elle n’avait été qu’embryonnaire, servant à merveille les ambitions de Victor, mais elle se redressait et balayait les plans subtils.

Il composa un numéro, vu qu’il n’avait jamais mis en mémoire pour une cause évidente, celle qu’il n’était pas censé le connaître, et attendit que l’on réponde. Il devinait déjà le mépris suintant de son interlocuteur avant même que la tonalité ne lui indique qu’il était en ligne. Après tout, qui était ce jeune fouteur de merde, simple régent pour déranger un Oracle, en plus celui d’Europe, celui qui avait le plus de travail et le plus de cannibales sous ses ordres ? Oui, il allait le remettre à sa place !

Mais Sigur ne le laissa même pas parler. D’une voix lente et basse, dans une langue que tous avaient oubliée mais que les Oracles devaient connaître s’ils voulaient comprendre les ordres, Sigur parla sans risque d’être interrompu. La surprise puis la crainte révérencielle lui assurait d’être entendu, mieux, d’être compris.

  • Annonce au peuple que le Premier Grand Prédateur Sigur reprend le contrôle du monde de la Nuit. Et ça commence ce soir.

Pas un mot de plus, Victor raccrocha. Il avait faim. Faim de toutes ces choses dont il s’était privé durant ces siècles de bons et loyaux services et comme tout bon prédateur, il ne s’arrêterait que quand sa faim serait comblée.

 

 

 

 

 

 

 

N’eut été la décoration, toute en blanc et champagne avec quelques touches d’or ici et là, on se serait cru dans une veillée funèbre. Le fait que les Toulousains soient tous habillés en noir et maquillés en sombre n’aidait déjà pas, le fait que les invités des autres villes affichaient une mine compassée et inquiète non plus. Seuls les humains, délicieux ornements de leurs maitres, papillonnaient d’un bout à l’autre de la salle de réception, pour charmer les présents vampires, mi pour exciter une jalousie perverse de bon aloi, mi pour se trouver un meilleur protecteur. Mais ces humains qui attendaient le passage à la Nuit étaient l’excuse de sa présence ici. Les vampires ne mangeaient pas, leurs chiens de manchon, si. Ben avait réussi à convaincre avec son Comte de Fée le traiteur de la soirée pour occuper en remplacement la place d’un serveur. En règle générale, les traiteurs vampiriques étaient tous les mêmes et se chargeaient soit de bien chapitrer leur personnel pour en faire de futurs chiens de manchon, soit… les éliminaient. Dans le cas de celui de Toulouse, il pourvoyait des esclaves et de préférence jeunes, beaux et intelligents. Comme Ben était assez joli garçon, qu’il faisait à peine vingt ans et que dans ses références il était toujours étudiant en informatique, c’était passé presque tout seul. Le seul souci était que Ben arrivait très vite dans une situation assez explosive et que n’importe qui aurait trouvé ça louche. La présence invisible d’Ysabel, Comtesse de la Ferté avait permis que ce petit désagrément soit oublié. Comme le nom et le visage de Ben après la soirée d’ailleurs… Il ne devait rester aucune trace. Le plus gênant était sans doute que pour l’immersion proprement dite, Ben serait tout seul… et tout nu, si on pouvait utiliser cette expression. En effet, les vampires auraient senti la moindre magie qu’elle soit comte de Fée ou Garou, mais Ben avait cette faculté qui était méprisée par les autres Loups de pouvoir modifier légèrement l’impression qu’il donnait et surtout qu’il laissait. Au meilleur de sa forme, il pouvait même se mettre à hurler des insanités dans une foule, sans que personne ne se retourne. Ce soir, il ne cherchait pas à se cacher, juste une part de lui-même, celle qui faisait qu’il était un prédateur d’une espèce différente perdu dans cette horde de monstres.

C’est donc vêtu d’un impeccable uniforme de serveur noir et blanc qu’il déambulait parmi les mâchoires affamées mais tenues en repos et leurs repas qui naviguaient tels des petits poissons inconscients. Tous ceux de sa liste étaient là, En noir, le visage fermé. Vraiment, on se serait cru à un enterrement si dans les yeux des Toulousains il n’y avait pas eu cette lueur malsaine de triomphe et d’attente avant la curée. Si les non-toulousains ne voyaient pas cette petite marque au combien dangereuse, c’est parce qu’il fallait être un loup pour la comprendre. Toute cette pièce était transparente pour Ben. Le moindre mouvement était une indication des pensées des occupants et Dieu qu’ils pensaient fort. Enfin… pas tous. Les Toulousains se masquaient bien… Certains autres aussi. Seules les poupées humaines ne masquaient rien, ni leur désir, ni leur peur… Ce qui devait être délicieux pour les vampires, était une torture pour Ben. Toutes ces sensations lui arrachaient des frissons involontaires et des moments d’angoisse qu’il allait cacher aux cuisines pendant quelques minutes, prétextant le ravitaillement en petits fours. Il soufflait et inspirait longuement, coincé entre le frigo et la porte.

C’est là qu’une canine trouva drôle de le coincer. Manifestement, Ben avait abaissé pas mal de barrières qui le laissaient inaperçu aux autres mais cette canine-là l’avait suivi jusque dans les cuisines et la voyant en face de lui, il fut surpris de voir que les cuisines étaient désertes. Évidement. La Canine en question n’avait pas voulu de témoins à son repas, sans doute parce que ce n’était pas vraiment permis sans l’autorisation du Maître de la Ville qui ne s’était toujours pas montré.

Elle était belle, comme toutes ses congénères, d’une beauté glaciale aussi envoutante que dangereuse. Avec sa robe noir et rouge avec des boutons d’argent qui lui courait tout le long du corps du coté droit, elle lui rappelait un peu l’amie de Solange, sans avoir cette flamme vigoureuse de la vie. On peut trouver beau un animal empaillé sans jamais se départir du dégout que sa mort inspire. C’était le cas. Il eut un mouvement de recul quand elle approcha sa main de sa joue. C’était normal pour lui, mais il se sentait piégé. Impossible de montrer ce qu’il était et il n’était pas sur que la dame, au vu de la faim qui transparaissait dans ses yeux, accepte des excuses à demi bredouillés.

  • Allons, mon lapin… pas la peine d’avoir peur, je ne vais pas te dévorer en entier…

Ce qui, il fallait bien l’avouer, augurait du pire. Oui, elle allait le mordre et non, elle n’en laisserait pas une miette. Peut-être avait-elle envisagé de cacher le corps dans l’un des frigos et laisser la macabre découverte à un autre serveur venu récupérer les tartelettes au citron. Cette idée saugrenue fit rire Ben, à la surprise de son prédateur.

  • Désolé, Madame… Mais je ne mange pas de ce pain-là.

  • En règle générale, moi non plus, mais de tous, Tu as le sang le plus chaud… J’ai besoin de chaleur. Tu feras ça pour moi, hum...?

Comme il s'en doutait, la Canine n'avait pas accepté l'excuse. Il ne pouvait pas se laisser se faire mordre sans révéler sa nature. Restait donc l'attaque. Pour éviter tout problème, il devrait faire extrêmement vite. Déchainer sa puissance en un instant, la tuer et reprendre une respiration normale... Le tout en une demi minute à peine. Heureusement que la majorité de ses pouvoirs étaient basés sur le contrôle du loup en lui. Ce serait dur, mais pas insurmontable. Ben inspira longuement, intimant à sa partie animale de se tenir prête à l'attaque. Une montée de puissance qui pouvait être très dangereuse, surtout pour lui. Mais la Canine ne se doutait de rien, prenant le silence de sa proie pour un consentement. Elle approchait sa bouche de la gorge qui n'était pas offerte, prête à saigner à blanc le loup déguisé en agneau.

Ben avait attendu que la Canine risque ses crocs à quelques millimètres de sa carotide, mais l'attaque ne vint jamais. Sans que Ben ne l'ait senti, quelqu'un avait écarté la jeune femme et l'avait plaqué d'une main contre le mur. Maintenant qu'il le voyait, Ben se demandait vraiment comment il avait fait pour ne pas le ressentir. Il sentait la cendre humaine, la glace et la colère. Ses yeux blancs étaient étincelants de fureur, même si ses traits, d'un inquiétante symétrie, étaient neutres. Encore une fois, Ben pensa à Clara, mais pas de la même manière. Sans doute une impression due à l'anneau dans le sourcil qui était à demi mâchouillé, et la tenue qui aurait pu être extravagante si elle ne venait pas de vêtements de haute gamme, transformés pour l'occasion.

  • Il a dit non. Et le Maître n'a donné aucun passe-droit.

  • Ce n'est qu'un serveur! Et je ne veux pas le tuer!

L'homme serra la gorge plus fort et répéta de sa voix grondante que le Maître n'avait donné aucun passe-droit. C'était la première fois que Ben voyait l'objet de ses investigations d'aussi prêt et aussi étrange que cela puisse paraître, il n'en avait aucune peur. Pourtant... l'odeur de cendre, la facilité avec laquelle il avait maitrisé son agresseur, jusqu'à sa capacité à taire toute menace de sa part jusqu'au dernier moment... Tout désignait le Cannibale. Il aurait du avoir peur... mais non. Les autres cannibales qu'il avait vu s'ébattre à Aix ressemblaient à des chiens enragés. Pas lui. Même pas quand il jeta la demoiselle dehors.

Il s'était attendu à le voir encore en colère quand le cannibale se retourna vers lui. Mais non. On aurait dit un père de famille absolument désolé de son insupportable bambin.

  • Ça va?

Même la voix était différente. Hésitante et... vivante. Ses yeux avaient maintenant une couleur beaucoup plus sombre, presque bleu cobalt.

  • Euh... Oui, merci. Merci de m'avoir aidé... Monsieur...?

Comme il était agréable de toujours avoir le contrôle sur soi-même, de toujours savoir comment prendre en considération les éléments pour les plier à sa volonté. Dés qu'il avait compris que son sauveur était un cannibale, Ben avait su qu'il lui fallait rester à coté pour avoir toutes les informations dont il avait besoin.

  • Mon nom n'a aucune importance... Pourriez-vous dire au reste du personnel que la soirée est terminée?

  • Mais il est à peine 23h...

  • Oui... Mais elle est terminée pour les vivants.

  • C'est un ordre du Maître...?

  • Non. C'est ma volonté. Je veux éviter les accidents.

En clair, les cannibales avaient décidé de frapper ce soir... Alors que le Maître n'était pas encore là... Le Cannibale en chef éloignait les humains en prévision du massacre, pour les protéger ou pour éviter les témoins? Les deux, peut-être? Mais Ben devait rester.

  • Monsieur...

Ben s'avança et lui prit un bras glacé.

  • Vous m'avez aidé. Je veux vous rendre la pareille.

L'homme baissa les yeux sur la prise avec un rien de surprise. Nul doute qu'il aurait pu esquiver facilement, mais il ne l'avait pas fait.

  • Écoutez... Il vaut mieux pour vous qu'on ne se revoie jamais... et même que vous revoyez le moindre vampire.

  • Et si j'en ai envie.

  • Ils ne... Nous ne sommes pas des gens bien. Si vous voulez me faire plaisir, quittez cet endroit. Et ne revenez plus...

Il se dégagea doucement avec un sourire triste. Dieu qu'il avait l'air jeune... Et vulnérable.

- Vous savez... Elle avait raison. Vous avez de la fièvre.

Pour la première fois de la soirée, Ben se sentit perdu et inquiet. Il n'avait pas fait attention à sa température... Alors que son sauveur partait sans plus un mot, le loup-garou chercha fébrilement dans sa poche le thermomètre pour enfant, simple bande de plastique qui réagissait à la chaleur et se la colla sur le front. La minute durant laquelle il devait attendre le résultat lui sembla aussi longue qu'un téléchargement de sa série préférée... Quand il la décolla du front et vit la couleur rouge qui ensanglantait le chiffre 40, il poussa un grognement, moitié de fureur et de peur. Il était en train de perdre le contrôle...

 

 

 

 

 

 

On attendait Victor. On attendait un diplomate, un négociateur, un filou. On attendait quelqu'un dont l'arme était sa voix. On attendait quelqu'un d'assez peu dangereux au final, quelqu'un qui préférait frapper dans le dos et à qui il suffisait de faire face pour éviter les coups. On attendait ce vampire de passage qui était devenu Régent et qui, par une combine savante, avait réussi à se faire couronner Maître de Ville tout en réduisant au silence celle qui l'avait propulsé jusque là et qui était un frein à sa carrière. On attendait quelqu'un qui avait eu de la chance jusque là.

Personne n'attendait le guerrier qui entra et qui s'assit sur le fauteuil de l'estrade sans un mot ni un regard pour quiconque. Les Toulousains qui jusque là avaient paru en deuil s'étaient parés d'un nouvel éclat. Celui de la victoire incontestable. Ceux qui avaient crié au scandale quand les « Repas » avaient été foutus dehors par le Lieutenant de Victor n'avaient plus fait un bruit. Ils avaient compris que le choix était simple. La soumission ou la mort. Alors ils se turent et se préparèrent à faire serment d'allégeance.

Mais on ne leur demanda rien.

L'homme qui avait le visage de Victor, ses yeux, ses cheveux, même ses vêtements... fit un seul geste.

Heureusement que l'Hôtel de Bagis était bien isolé...

Heureusement...

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24 février 2011 4 24 /02 /février /2011 18:40

 

Il n’y a pas de plaisir sans gêne, parait-il. C’était ô combien vrai… Vince convenait de cette vérité alors qu’il atteignait une sorte d’orgasme, les yeux dans le vague et les bras ballants. Malgré sa honte, il en gémissait, à chaque fois que la moindre parcelle de chaleur se ravivait, embrasant les autres dans un ballet de couleurs et de délice. Le prix cependant était lourd et, sans doute, la seule raison qu’il ne se perdait pas tout à fait dans son plaisir. Ce qui était encore pire et lui arrachait des frissons de dégout au milieu de son extase.

Ce qui lui gâchait le plaisir encore plus, il fallait bien l’admettre. L’embryon de culpabilité qu’il ressentait à présent allait grandir, enfler et devenir insupportable. Surtout quand l’éphémère moment de joie serait passé. C’était à ce moment là que Vince mourrait d’envie de se jeter de la plus haute fenêtre qu’il puisse trouver et que Victor lui faisait visiter les merveilles de monuments en sous-sol. C’était aussi le moment qui précédait la lacération, les cris, les larmes et, dans un moment d’intense fatigue, l’oubli. Les vampires ne dorment pas, on le sait. Ils meurent une fois par jour pour renaitre entre chien et loup, à l’heure ou les humains deviennent proies et où les abandonnés du jour deviennent les prédateurs de la Nuit. Mais Vince se reposait encore moins que les autres. Incapable de supporter la violence du soleil, il restait des heures à ressasser au milieu de sa chambre aux murs nus, sans aucun mobilier alors que tous avaient la bénédiction d’échapper quelques heures au monde. C’est lui qui avait voulu que son antre soit si pauvre de tout, pour ne rien avoir à briser. Victor y avait consenti, dans un soupir, mais il était visible qu’il n’appréciait pas du tout.

Cette nuit-là, Vince était seul. Sans chaperon, sans même de quoi recevoir un rappel à l’ordre. Une marque de confiance de la part du vieux Lion qui estimait qu’il allait mieux. Pour le jeune vampire, c’était juste qu’il cachait mieux son mal-être, sans doute pour que Clara arrête de le materner. Il était seul avec sa proie désignée, un vampire qui devait mourir ce soir-là, tout en haut d’une tour parisienne. Une chaleur plus forte le fit tordre son corps et crier de cette émotion mal contenue qui lui vrillait les sens. La première fois, il n’avait rien ressenti, si ce n’est l’apaisement d’enfin faire taire son bourreau et la satisfaction d’avoir sauvé quelqu’un. Mais pour des inconnus… Le plaisir était venu crescendo, en même temps que la culpabilité. D’abord, une sensation de faim apaisée ou de soif étanchée, puis de plus en plus fort, jusqu’à ce soir… Ce soir où son corps criait de délice comme après une nuit déchainée.

L’orgasme balaie tout sur son passage. Mais pas longtemps. Le plaisir enfui, il ne restait que gerbes écarlates qui, déjà, viraient au noir, les meubles élégants d’un bureau parisien réduits en miettes par le passage d’un vampire affamé, une vague silhouette imprécise de ce qui avait été un être humain quelques siècles auparavant et le meurtrier face à son crime. Le meurtrier repu et repentant de se sentir si bien après une telle atrocité.

Légèrement chancelant, Vince se leva pour regarder au dehors la ville qui clignotait, indolente et sourde aux monstruosités qu’elle couvait. Elle n’y pouvait rien. Personne n’y pouvait rien. C’était comme ça. Mais qu’on le veuille ou non, en regardant la ville d’assez haut, on ne pouvait qu’être touché par sa beauté nocturne. La Nuit recouvre les crimes et le sang, et il ne restait qu’un camaïeu de couleurs sombres piqueté d’étoiles halogènes et les ombres pas si effrayantes d’immeubles.

Le front appuyé contre la vitre, Vince semblait fasciné par le sol, des dizaines d’étages plus bas. Combien de fois, en esprit, s’était-il jeté par la fenêtre pour imaginer la sensation étrange et libératrice de ces quelques secondes en plein vol ? Et comme toujours cela finissait par le bruit répugnant d’un corps assouvi par la gravité et la terreur viscérale qui le réveillait à ce moment précis. Cette fois encore, il s’imagina traverser la vitre et tomber les yeux grands ouverts avant de s’écarter brutalement de la baie vitrée.

Victor avait raison. Son instinct de survie le forcerait toujours à reculer, comme une ombre qui le tirait en arrière en criant qu’il était fou.

Du reste… Il n’avait pas fini sa mission. Comme un condamné à mort, il se dirigea vers les restes du bureau.

 

 

 

 

 

Deux jours avant.

 

 

Le plus décadent pour un vampire était de passer pour vivant et surtout fabuleusement riche, tout en instillant dans la société un vague malaise à l’origine inconnu. Diner dans un restaurant huppé était sans doute ce qu’on pouvait faire de mieux, même si ce genre de petit jeu ne se jouait qu’avec des égaux.

La première dissonance dans ce petit jeu était que Julia croyait qu’elle était supérieure à Victor, et Victor savait que le contraire était la vérité, mais… qu’il valait mieux le cacher. Ce qui ne l’empêchait pas de s’amuser follement à faire semblant d’être un jeune loup aux dents longues, parfaitement à l’aise dans cet antre de l’argent, du bon goût et de la bonne chère. Julia adoptait le même regard, hautain et amusé, tout deux attablés à une place centrale et devant une collection de mets et de vins invraisemblables et coûteux. Même les riches têtes blanches permanentés regardaient avec envie le Centre de Toute Chose. Contrairement aux jeunes cependant, ce n’était pas l’argent qui semblait naître à chaque demi-sourire du jeune homme et à chaque battement de cil de la jeune femme, c’était l’impression de jeunesse arrogante alliée avec la certitude de rester en place, comme seules les vieilles têtes couronnées peuvent l’éprouver. Deux maîtres du monde installés à quelques mètres, il y avait de quoi être perturbés.

Les deux vampires levèrent leurs verres de vin en même temps en un toast muet, en attendant que l’on débarrasse l’incroyable gâchis de leurs entrées chaudes. De quoi provoquer le suicide du chef et de ses commis. Les serveurs aussi discrets et agiles que des papillons noirs emportèrent le tout en un seul mouvement. Julia reposa son verre après y avoir trempé les lèvres et humé le bordeaux qui se désolait dans son verre. Elle darda son regard bleu sur Victor qui flirtait du regard avec une héritière au vu de ses vêtements, à moins que ce ne soit la nouvelle épouse d’un riche homme. Dans les deux cas, la conquête n’était pas flatteuse.

  • Elle ne vous mérite pas…

  • Elle a au moins eu le mérite de vous amener à me gronder, Julia.

La jeune femme éclata d’un rire atténué pour à la fois attirer les regards et ne pas inquiéter la populace. Tout l’exercice était là. Se contenir pour maintenir l’illusion tout en laissant échapper de petits indices qui auraient pu faire croire que… et que les dineurs mettaient sur le compte de l’alcool. Le moins éméché remportait la timbale et si les joueurs le repéraient, il servait de diner. Les vieux vampires, qui ne jouaient à ce jeu qu’entre égaux, l’appelaient le fruit défendu. Julia avait consenti à y jouer pour un soir, mais juste parce qu’elle manquait cruellement d’adversaires à sa hauteur. Même son Maitre de Ville n’avait pas à la fois ce panache et cette fourberie qui caractérisait si bien Victor. Mais à présent, elle comprenait le danger de mettre un tel homme en position de pouvoir. Elle le regretterait quand elle devrait le tuer… sans pour autant suspendre l’exécution.

  • Alors, ma chère… Que nous vaut le plaisir de votre visite ? la vraie raison, j’entends.

C’était à se demander comment Victor pouvait passer tant de choses par sa voix. Certains pouvaient moduler tout un dialogue en une phrase, tel le violoniste qui joue de son instrument, mais Victor aurait pu faire passer une symphonie en un mot. En cette simple phrase, Victor venait successivement de se hausser au niveau de Julia, ce qui équivalait à une insulte pour une couchante, de lui signifier qu’elle n’était pas si bienvenue que ça et que la raison de sa visite n’abusait personne. Sans oublier que Victor insinuait connaitre la vraie raison mais la mettait au défi de lui dire pour le plaisir de s’entendre dire qu’il avait raison. Si elle avait pu, elle lui aurait tranché la gorge pour pouvoir le voler ce pouvoir suggestif. Dommage que les choses ne se passent pas ainsi.

  • Mais voir les progrès de mon invention, Vittorio. Et voir si mon investissement est toujours rentable.

  • Il l’est. Ou du moins, il le sera à nouveau d’ici quelques nuits.

  • Des ennuis de comptabilité ?

  • Plutôt d’O.P.A. hostile. Mais je sais maitriser mes actifs et renverser les autres.

  • Je vous avais dit que ce serait difficile…

  • Et c’est pour ça que vous m’avez mis à ce poste. Parce que je suis capable de solutionner tout ça.

  • Mais pas sans contrôle de ma part.

  • Cela va de soi…

Oui, il était doué. Une simple acceptation de la situation pouvait passer pour une autre insulte : « Je n’ai accepté que contraint et forcé, mais je saurais un jour vous le faire payer. »

  • Julia… Si vous me disiez ce qui nécessite votre contrôle… Nous avancerions plus vite qu’avec une confession de mes petites magouilles sans intérêt.

  • Vos couchants.

  • Encore ? Oh, Julia…

Il avait l’air sincèrement ennuyé, mais il ne put reprendre avant que les deux serveurs n’aient soulevé les cloches et laissé les fumets d’un repas exquis s’évaporer autour d’eux.

  • Je vais finir par vous croire jalouse… Que vous importe un tout jeune vampire et une humaine ?

  • Il m’importe qu’ils soient vos vitrines… Passe encore pour la fille… Vous ne seriez pas le premier Maitre à vous amuser avec une dominatrice, même humaine…

  • Allons bon…

  • Mais votre couchant à dents longues… Vous l’éduquez comment ?

  • Manifestement mal, si me posez la question.

  • On m’a appris que vous le laissez à la dérive…

  • Ce qui est faux. Il faudra bien que vous compreniez que je ne peux pas l’éduquer comme un couchant… Il est de passage, comme moi.

  • Vous pourriez lui offrir mieux…

  • Plutôt que je pourrais offrir mieux au prochain maitre de Toulouse… Mais il est à moi. Je ne le laisserais à personne.

  • Même pas à moi… ?

  • Surtout pas à vous, Julia. Vous me le rendriez en miettes.

Moments de chipotage dans l’assiette, étalage des sauces et des jus dans une foule d’arabesques qui suivaient celles de la porcelaine. Victor était persuadé que ses deux enfants le regarderaient avec horreur gâcher de la nourriture si chère… Gâcher de la nourriture, tout court, en fait… Il imagina un instant Clara finir les assiettes et Vince demander qu’on lui donne ses restes dont il régalerait un SDF. La vision lui arracha un sourire et il se promit de ne jamais leur faire le jeu du fruit défendu.

  • Comme vous y allez, mon cher… Je ne casse les jouets des autres uniquement quand ces autres m’ont déplu.

  • Or, il est évident que je vous ai déplu.

  • Non, Vittorio… Pas encore. Mais comprenez que les intérêts que je défends ont besoin de garanties.

  • Vous êtes les intérêts que vous défendez…

  • Peut-être. Mais je veux un otage. Votre Couchant.

  • Non.

Elle pencha la tête sur le coté dans une attitude boudeuse qui cachait sa colère.

  • Il faudra bien, Vittorio… Si vous l’aimez tant que ça, je promets que je le traiterais bien… tant que vous vous comporterez bien.

  • Sauf que c’est impossible. Je ne peux pas vous le donner, même pour un jour, même pour une heure.

  • Que vous le vouliez ou non, il sera mon otage…

  • Vous vous souvenez, Julia ? Quand la première fois vous m’avez parlé de Toulouse, vous m’avez conseillé de me mettre en cheville avec les Cannibales.

  • Oui, et ?

  • Alors, maintenant, vous savez que je ne peux pas vous le donner…

Julia prit son verre de vin pour se donner contenance.

  • Qu’est-ce qu’il est ?

  • Caution de moralité…

Si les Cannibales étaient rares, par nécessité, leurs enfants l’étaient encore plus. Et les enfants survivants atteignaient un niveau de rareté jamais égalé. Par siècle, on comptait entre un et deux de ces infortunés et on estimait que c’était un jour faste quand trois se rencontraient au détour d’une ruelle. La faute à deux facteurs. Le premier étant que les Cannibales n’éprouvaient aucun besoin de se socialiser en faisant partager leur don obscur. S’il était vraiment nécessaire de partager quoique ce soit, ils se réunissaient entre eux. Rarement, il fallait bien l’avouer, en dehors des expéditions punitives, cela allait de soi. L’autre facteur était qu’un Cannibale avait une impossibilité quasi insurmontable d’éduquer son enfant des ténèbres sans voir en lui un repas. Ils les confiaient donc à d’autres pour les voir de loin en loin et leur assurer un avenir. On les appelait les Cautions de Moralité. Chaque vampire de la Hiérarte savait le pouvoir que représentait ces laissés pour compte : La chance d’avoir un ascendant quelconque sur un Cannibale. Tous étaient prêts à donner un bras pour en approcher un.

  • Vous… avez réussi à récupérer une Caution de moralité ? murmura Julia admirative.

  • Il m’a plutôt été laissé en poste restante. Charge m’a été confié de le tenir à distance de l’avidité de pouvoir de mes congénères… en échange, les Cannibales n’organisent pas d’orgie dans ma ville… Ils se déplacent à Aix pour ça.

  • Alors que vous importe de me le laisser en otage ?

  • Vous n’avez pas entendu ? Ou votre avidité vous a rendue sourde ?

  • J’ai très bien entendu, Vittorio. Et ce n’est pas mon avidité qui parle, c’est ma position par rapport à la vôtre. Maintenant, j’ai la certitude qu’avec cet otage-là… Vous serez un agent remarquable. Nous nous sommes compris, je crois ?

  • Vous ne me demandez pas un otage… Vous me demandez de placer ma vie entre vos mains.

  • En réalité, il serait plus exact de dire que votre vie est entre vos mains, ainsi qu’elle l’a toujours été. J’ai juste le pouvoir de vous la rendre très difficile.

La bonne humeur de Victor avait disparue et il ne se donnait même plus contenance à triturer sa nourriture.

  • Je suppose que je n’ai pas le choix… ?

  • Oui et non. Tout le monde a le droit inaliénable de mettre fin à ses jours… Oh et… Apportez-le-moi bien habillé.

  • Je ne peux pas quitter Toulouse.

  • Mais vous pouvez le mettre dans un avion pour Paris. Je dois y rester encore deux semaines… Une petite mission à superviser. Je le traiterais bien, Vittorio. Peut-être même mieux que vous ne l’auriez jamais fait.

  • Et qu’en savez-vous ?

  • J’en sais que vous n’êtes pas un habitué des jouets… Restez donc sur votre humaine à l’allure si particulière et donnez-moi le Dent de Lait.

On aurait pu entendre Victor grincer des dents si le brouhaha du restaurant ne les avait pas recouverts. Le jeu était terminé et par souci de discrétion, ils s’étaient fondus impeccablement dans la foule. Mais Victor avait perdu. Il le savait. Il se leva lentement et reboutonna son veston. Ce n’est que contraint et forcé qu’il lâcha avant de partir :

  • Je vous l’enverrais sous peu.

Julia sourit et resta en représentation, recommençant le jeu du fruit interdit pour son seul bénéfice. Ce fut sans doute la raison pour laquelle, elle ne vit pas la lueur de pure jubilation malsaine qui traversa le regard de Victor au moment même où il se retournait.

 

 

 

Un jour avant.

 

 

 

  • Non, non, non et NON ! Je ne veux pas partir, je ne veux pas y aller, je veux qu’on me laisse pourrir dans mon coin !

Le claquement de la porte, tout en assourdissant les témoins de cet affligeant spectacle de mauvaise humeur juvénile, souleva l’air et perturba très légèrement l’ordonnance parfaite des cheveux de Victor. Enfoncée dans un large fauteuil, Clara assistait impuissante à l’une des rares rebuffades de Vince. D’un coté, elle se disait qu’en s’en affirmant, il irait peut-être mieux. Mais ce que cachaient ses colères était encore plus abominable que ses silences.

Elle commençait à croire Ben… Et ça ne lui plaisait pas.

Victor, étrangement, avait renoncé à l’attitude de Celui-Qui-Doit-Etre-Obéi pour quelque chose de plus paternel et presque plus compatissant. Il appuyait la main sur le panneau de bois, tout en parlant, comme quelqu’un qui s’excuse et qui souffre d’avoir fait souffrir l’autre. Pour quelqu’un d’extérieur, le masque était parfait. Mais Clara savait que ce n’était qu’un masque. Pas par manipulation, pas totalement du moins, mais elle savait que Victor jouait parce qu’il ne pouvait pas éprouver de la compassion. Au mieux, c’était nouveau pour lui.

  • Vincent…

Encore une nouveauté. Le Vieux Lion n’avait jamais appelé son jeune vampire par son vrai nom. Peut-être une tentative pour mieux le toucher.

  • Vincent, si j’avais eu le choix, j’aurais fait autrement parce que je sais que tu n’es pas en état d’être encore transplanté. Mais… Je suis pieds et poings liés et si je n’obéis pas, tu en pâtiras, ainsi que Clara.

La veille, c’est un Victor furieux qu’elle avait accueilli. Il lui avait expliqué dans les grandes lignes ce que voulait Julia et… Clara avait compris ce que Victor ne lui disait pas, elle avait aussi compris qu’il lui fallait tenir sa langue. Mais au lieu de partager sa fureur avec Vince, Victor s’était fait mouché en plein vol par la détresse visible de l’autre. Il ne savait pas réagir à ça donc il réservait sa rage à d’autres.

  • Donc tu m’abandonnes…

  • Je te protège. Si je ne te donne pas à elle, elle viendra te prendre et il n’y aura pas de retour possible. Je ne suis pas même pas sur qu’elle n’osera pas se venger sur toi du mal qu’elle va se donner pour te récupérer.

  • Pourquoi tu ne lui as pas dit ce que j’étais ?

  • Parce que c’aurait été encore pire, Vince… Si elle avait su que tu étais un cannibale, elle aurait tout fait pour te garder… A sa botte !

  • Comme ce que tu fais…

  • Non… moi j’essaye de te protéger. Tu crois que les autres cannibales sont comme toi ? Tu te trompes… Vous êtes une infime minorité à préférer l’humanité au sang. Et ceux qu’on m’a envoyés ici ne sont pas des enfants de chœur. Plutôt l’inverse.

Sans crier gare, Victor abattit la main sur la porte, faisant sursauter tout le monde. Mais il était clair que c’était calculé. Sa force lui aurait fait traverser le bois sinon.

  • Mais réfléchis un peu, bon sang ! Si tu me trouves monstrueux, je ne donne pas cher de ta peau avec ces affamés qui se servent de la Loi comme immunité !

Un silence. Le calme revenu à peine atténué par la respiration de Clara. Victor se tourna avec son regard qui quêtait l’approbation et elle lui répondit avec le sourire désabusé qu’elle lui réservait dans ces occasions.

  • Pourquoi tu me gardes, alors… ? reprit Vince un ton plus bas et d’une voix lasse. Sans le savoir, il s’était déjà rendu.

  • Tu veux la vérité, je suppose… ?

Victor soupira. Pour la première fois depuis des années, il s’apprêtait à dire la vérité.

  • J’ai besoin de toi, Vince. Pas toujours au sens où tu le voudrais… Pas comme un ami… Mais il y a deux choses que je veux faire dans ce monde. La première est de changer la géopolitique vampirique… très profondément. Seul un cannibale parfaitement au courant peut le faire. La seconde chose, c’est de protéger Clara. Et ça… seul un cannibale humaniste accepterait.

Encore une fois le silence. On ne prête jamais suffisamment attention à ces longueurs dans la vie qui ne sont au final que l’expression muette d’une tempête intérieure de questionnements, de remises en question et finalement d’acceptation. La porte s’entrebâilla lentement, laissant juste la vision d’un œil tout blanc et d’une pupille en tête d’épingle. En règle générale, cela signifiait que Vince était au-delà de la colère. Mais il n’y avait pas les autres signes, pas de respiration, car Vince ne respirait que pour parler ou quand la rage le submergeait. Le visage était serein, presque sans expression. La main qu’on apercevait plus bas n’était pas crispée, mais très détendue. Mis à part la couleur de l’œil, Vince allait bien.

  • Il t’a fallu tout ce temps pour l’avouer ?

Victor sourit et pour la première fois que Clara le connaissait, elle sentait que ce sourire était vrai.

  • Je n’ai pas l’habitude d’avoir une famille, Vincent. Et tu avoueras que tu es un fils difficile à cerner.

  • Arrête ton char, Papa… Qu’est-ce que tu veux de moi, vraiment ?

 

 

 

 

Six heures avant.

 

 

 

L’avantage de vivre à Toulouse est que pour aller à Paris, c’est très rapide. Encore plus rapide quand on n’a pas de bagages et quand on est envoyé par le Maître de Toulouse pour la Secrétaire du Diable. Les hôtesses avaient eu pour consignes de foutre une paix royale à ce passager-là et de ne mettre personne à coté de lui. Pour devant et derrière, prière de ne pas mettre de familles avec gamin braillard, de types pendus au téléphone et de femmes hystériques. La consigne était d’une clarté limpide : ne l’approchez pas.

Et inutile de lui proposer repas, boissons ou tout autre chose, respectez son silence et sa solitude.

De ce fait, l’imagination de ces demoiselles et de ce monsieur, car il y avait un steward, allait bon train. Comme ce passager portait un costume Armani noir rayé bleu nuit, que son cou s’ornait d’un tatouage étrange qui devait continuer dans le dos, qu’il portait des lunettes de soleil, alors que le jour s’était couché depuis une bonne heure et qu’il n’avait aucun bagage à main, on l’imagina Star incognito ( mais impossible de reconnaitre la dite star), en assassin de la Mafia, en acteur appelé d’urgence sur un tournage, en mannequin, en gigolo, en agent de la CIA. (Ce que semblait corroborer son accent américain.)

Morale de l’histoire : ne laissez pas un groupe de personnes en proie au doute, c’est comme ça que naissent les rumeurs les plus folles.

Malgré son masque d’ennui, il fallait bien avouer que tout cela amusait Vince qui les entendait malgré le ronronnement de l’appareil et les conversations alentour. Il se découvrait aussi affamé d’attentions que pouvait l’être Victor, mais il préférait ne pas s’attarder sur les raisons de ce besoin, si ce n’est, à la rigueur, un reliquat de sa vie d’avant. Il envisagea même de commencer à draguer une hôtesse, pour se prouver qu’il n’avait pas perdu la main et que la Mort ne lui avait pas tout pris, pas plus que Chandra. Mais une heure et demie, c’était bien court comme délai pour intéresser, séduire et en profiter.

De toute façon, il n’avait jamais aimé faire l’amour dans des toilettes.

Vince se contentait donc de regarder par le hublot l’immensité noire et les quelques nuages qui défilaient, en espérant que tout cela se termine bien vite et qu’on lui accorderait quelques nuits de solitude. Même s’il commençait à avoir des envies incontrôlables de rire, de voir du monde, de vivre à nouveau comme le jeune homme qu’il avait été avant. Il avait envie de retrouver ses anciennes fréquentations, de jouir de l’existence qui lui avait été donné. Il avait envie de revoir ses enfants… mais ça, il ne pouvait pas.

Il eut surtout envie de s’énerver un grand coup, de tout casser pour s’empêcher de penser à tout ça, de balancer son pied dans la tête de son voisin de devant, comme ça, juste pour le plaisir. Qu’il le veuille ou non, son ancienne vie était du passé et il devait faire avec… ou y mettre un terme une bonne fois pour toutes. Qu’il ne soit pas accompagné et/ou surveillé lui en laissait enfin l’occasion. Personne ne serait en mesure de l’arrêter cette fois. Il n’empêche… Il se demanda s’il devait malgré tout accomplir sa mission. Après tout, il serait mort et nul ne lui en tiendrait rigueur. A moins que l’univers ait vraiment changé, on ne torture pas un tas de cendres. Mais Clara risquait d’en souffrir et il ne pouvait pas l’admettre. Et Victor aurait des problèmes… Et il ne voulait pas admettre qu’il ne pouvait pas l’admettre…

Un juron à mi-voix. Ça aussi, il ne voulait pas y penser.

Il préféra se concentrer sur l’attention qu’il suscitait, activité bien plus intéressante que le ciel qui défilait.

Vince s’attendait à ce qu’on l’accueille à Orly, mais il ne s’attendait pas à cet accueil là. Trois humains, il pouvait sentir l’odeur de leurs sueurs et leur souffle s’exhaler de leurs bouches, dont une petite femme rousse aux taches de rousseur adorables et qui parlait un anglais parfait alors qu’elle était française. Il l’apprit plus tard, mais elle était aussi parfaitement à l’aise en allemand, en espagnol et en chinois. Les deux autres avaient la mine de l’emploi, l’un chauffeur de maître, l’autre garde du corps. Vince se renfrogna. Cet étalage de puissance n’avait qu’un seul but : essayer de le noyer dans le luxe pour que jamais il ne reparte. Ce qui lui coutait à admettre, c’est que Victor l’avait prévenu. La limousine noire qui les attendait à la sortie de l’aéroport parachevait l’ensemble. Vince eut des envies de meurtre. La charmante assistante lui parla tout le trajet de tout et de rien. Son rôle était bien évidement de meubler le silence et il trouvait lamentable qu’une personne aussi intelligente en fut réduite à faire la potiche. Mais il devait garder le masque de l’agneau à sacrifier, histoire que son charmant cicérone n’aille pas répéter qu’il semblait dangereux. Même un peu. Il fit semblant de s’intéresser à la ville qui défilait sous ses yeux. D’après son chaperon, ils n’avaient pas pris l’itinéraire le plus rapide pour le faire profiter des monuments de la ville. Le Luxembourg, Le Pont Neuf et l’ile de la Cité, on oblique vers le Louvre et les Tuileries avant de déboucher vers les Champs Elysées. Vince espérait produire suffisamment de Waouh admiratifs pour qu’on lui fiche la paix, tout en reconnaissant intérieurement qu’à un autre moment, il aurait été ravi de voir tout ça. Sans doute en plein jour.

Sa propre dérision le fit sourire alors qu’ils tournaient sur la place de l'Étoile avant de rejoindre leur destination.

Le quartier de la Défense est pour tout un chacun quelque chose d’incongru. On quittait Paris et les boulevards du XIXème siècle, ainsi que l’architecture qui semblait trouver difficile de se mettre à la mode pour tomber sur un quartier d’affaires à la new-yorkaise. Mais contrairement aux États-Unis où de tels changements sont possibles et visibles, on ne sautait pas d’un état à un autre, mais à peine de quelques rues. Vince, qui avait aimé le charme parisien désuet et plus encore la faune et la flore toulousaine, considérait l’ensemble de gratte-ciels avec un curieux mélange de surprise et de dégout. Bien sur ces immeubles-là n’auraient pas déparé les grandes villes américaines, mais les savoir si prés de la vie parisienne… et si loin des États-Unis les rendaient laides et mal à propos. Même si Vince se trouvait un peu injuste de ressentir tout ça, il prenait déjà en grippe cet étalage de pierre blanche.

Sa charmante guide rousse l’abandonna dans un immeuble devant l’ascenseur après avoir appuyé sur l’étage. La manière dont elle lui souhaita une bonne nuit lui laissa penser qu’on l’avait présenté comme une friandise. De ça aussi, Victor l’avait prévenu. Et sans doute était-ce l’image qu’il devait donner au premier regard, celle d’un bon moment à passer. Un loisir. En se regardant dans l’énorme glace, il se trouva… trop propre, trop net. Il ouvrit la veste, sortit la chemise de son pantalon pour que les pans lui battent les hanches, il desserra la cravate et passa une main dans ses cheveux noirs pour en déranger le strict ordonnancement. Voilà. C’était plus lui, tel qu’il se voyait maintenant. Quelqu’un qui se fichait de toute cette politique inepte et qui finirait par le faire savoir. Qui sait ? Le moment était peut-être arrivé ?

Comme il n’avait jamais rencontré Julia, il fut bien obligé d’admettre qu’elle était superbe. Mais comme tous les autres vampires… Une volonté de parfaire la race vampirique semblait avoir donné à la Hiérarte une perfection physique ou quelque chose qui s’en approchait. En regardant la Hiérarte de Toulouse, Vince s’était dit qu’il fallait, pour être accepté avoir un certain charme en plus d’une grande utilité. Même Charles obéissait à ce standard. Julia avait un corps de déesse et dans les yeux quelque chose de totalement dépourvu de compassion. Il la détesta d’emblée… Et il eut faim. Faim d’elle. Ça devait transparaitre dans ses yeux et dans son attitude puisque la demoiselle sourit d’un air de prédateur… Il se retint juste à temps de lui sauter dessus pour l’égorger.

  • Madame…

Et il s’inclina.

La consigne était simple, tenir le masque de lapin jusqu’au moment ou il craquerait, ou jusqu’au moment ou l’ordre serait donné. Victor lui avait donné cette mission pour qu’il voie par lui-même son degré de contrôle. Vince avait envie de tenir le plus longtemps possible. Du reste, il devait rester parfaitement lucide car Julia n’était après tout qu’une simple étape à la suite de laquelle, Victor l’autoriserait enfin à mener sa propre vie… Ou sa propre mort. Le dernier regard du vieux Lion l’avait frappé en plein cœur. Il savait qu’il songeait à mourir. Et cette fois-ci, il ne l’empêcherait pas.

Il ne l’écoutait pas vraiment pendant qu’elle « expliquait » la situation à sa manière. Il n’avait pas envie de l’entendre salir Victor et encore une fois, il se maudit de commencer à éprouver pour son mentor autre chose qu’un vague mépris. Il devait bien avouer qu’il traitait bien Clara. Peut-être même mieux qu’il n’aurait pu le faire. L’une des raisons qui avait motivé son envie de mourir, personne n’aurait plus jamais besoin de lui. Même Charles se passerait très bien de lui pour ses magouilles. Alors il faisait semblant d’écouter une jolie femme lui prouver que son mentor était certes compétent mais qu’il était sacrifiable, Il faisait semblant de l’écouter vilipender le penchant de Victor pour son humaine, dans un monde où de toute façon, l’humanité ne serait plus que du bétail ou les pions de jeux à grande échelle et il s’aperçut qu’il l’entendait bien mieux qu’il ne l’aurait voulu. Il songea fugitivement à l’attaquer, mais… c’aurait été admettre qu’il n’avait aucun contrôle sur ses pulsions.

  • Madame, je vous en prie… Je sens bien que vous essayez de me faire comprendre des choses importantes… Mais je vous avoue que je n’ai pas envie de les entendre.

  • Et pourquoi donc ?

  • Parce qu’il me semble que nous avons mieux à faire ce soir que de refaire la Nuit. Je viens d’arriver, je suis un gamin de quelques mois… J’ai encore du mal avec… (Geste évasif de la main) tout ça…

Durant toute sa vie humaine, Vince pouvait se vanter d’avoir été le plus honnête possible. A sa mort, il découvrait qu’il pouvait mentir aussi bien que les autres. Tout ça n’était qu’un rôle, un rôle sanglant… le dernier.

Mais la belle mordait à l’hameçon. Comme toutes les femmes d’un certain âge, elle avait tendance à apprécier sa candeur apparente. Une candeur qui était révolue mais dont il conservait le masque. Celui d’un beau fruit à mordre. Personne n’y résistait longtemps, elle, moins que les autres. Comme bien d’autres avant elle, elle laissa sa main errer sur sa mâchoire et son cou, petit geste qui éprouvait l’humeur de sa proie. Si Vince avait eu une once d’arrogance, elle l’aurait rejeté sans pitié. Sa tirade sur Victor n’était que ça, une mise en garde contre quiconque se dresserait contre son autorité. Vince avait l’habitude… Dans ses relations, il alternait facilement entre la soumission et la domination, même s’il souhaitait tout bas que quelqu’un l’enchaîne durablement. Mais comme tous ceux qui se croient le parangon de leur état et qui en abusent, Julia ne pouvait pas l’enchaîner. Elle en était incapable. Pire, plus elle usait de ces artifices, plus l’autre affamé qui se tapissait dans l’ombre du jeune homme la détestait et la… Et lui enlevait tout ce qui faisait d’elle un vampire. Secrètement, l’autre s’amusait de ce petit jeu de la proie et de l’ombre auquel se livrait Vince. Pour la première fois depuis que le monstre et le jeune vampire étaient forcés de cohabiter sous la même peau, ils s’entendaient sur la même chose. Il fallait qu’elle meure, mais quitte à la tuer, autant éprouver sa force.

Il jouait les timides et regrettait de ne plus pouvoir rougir sur commande, mais le reste des expressions était là. Un peu de gêne, un soupçon de pudeur, la peur de ne pas être à la hauteur, cocktail des parades amoureuses qui cachait parfaitement une haine implacable et un mépris souverain. Vaguement, il se demanda si on pouvait coucher avec quelqu’un que l’on hait à ce point … Il se rappela Chandra… Et décida que si c’avait le seul moyen pour le tuer, il l’aurait fait. Même si pour Julia il y avait d’autres moyens, il le ferait. Non pas parce que c’était plus facile, mais bien pour se prouver que son ancienne vie était loin derrière. Il céda facilement à ses avances et se retrouvera vite entièrement nu.

Les préliminaires sont toujours un moment délicieux pour qui sait les apprécier, même quand on en dessous. Julia était douée, des années d'expérience à profiter de jeunes hommes innocents pour les vider de leur sang, lors de leur dernière extase ou même avant. Elle embrassait la poitrine et le ventre plat sans oublier de regarder son amant d'un soir pour suivre le chemin de son plaisir. Et il feignait bien. Les yeux mi-clos pour cacher la couleur de ses yeux, le blanc presque total signe de sa colère, les mains au dessus de la tête pour laisser la demoiselle œuvrer à sa guise. Tant qu'elle en était aux baisers et aux légers mordillements, tout alla bien. Il appréciait même les attouchements jusqu'à gémir. Mais la morsure infligée à sa cuisse gauche le réveilla d'un coup et il se redressa, prêt à l'attaquer. Sa vision de la bouche devenue vermeille de sang et la traînée sur sa joue réveillèrent tous ses plus bas instincts. Il la renversa en grondant, découvrant les crocs. Dans les premiers temps, Julia se montra ravie de la vigueur de son amant mais voyant qu'elle était incapable de renverser la situation, elle siffla de colère.

  • Qu'est-ce que... Lâches-moi, misérable !

Vince se pencha sur son visage, les yeux de glace et le visage beaucoup plus calme que quelques secondes auparavant, plus posé et plus inquiétant dans la perfection des traits qui avaient l’aspect du marbre. Jusque là, Vince ne s’était pas rendu compte à quel point il était affamé, mais en trouvant la peau de Julia suffisamment chaude pour lui arracher des frissons de bien-être, il avait compris que le moment était venu et que Victor l’avait gentiment guidé vers son repas. Elle était belle, elle était cruelle, elle était mauvaise… Elle était parfaite pour lui.

  • Très chère Dame… (et c’est à peine s’il reconnut sa propre voix, rauque et sensuelle) Contrairement à ce que vous semblez croire, ce n’est pas moi qui a été amené à vous, mais vous qui m’est offerte. Grand merci de vous être prêté à ce jeu… mais on ne me mord pas un cannibale.

Les yeux de Julia s’agrandirent de terreur.

  • Non, c’est impossible…

  • Vous pensez qu’on vous aurait mis au courant pour votre propre décapitation ? Allons, un peu de sérieux… Les seuls qui seront sauvés sont ceux qui le méritent. Enfin… Si je le décide…

  • Tu n’es pas un cannibale… Tu n’es pas dans mes registres…

  • Ne t’en fais pas, Belle Dame. Tu n’auras plus besoin de t’inquiéter de tes erreurs.

Et sans autre forme de procès, il lui planta les crocs dans la gorge, la déchiquetant à moitié. Vaguement, il songea qu’il serait à jamais incapable de manger proprement. Il faut dire qu’au vu des repas, il lui était presque conseillé de manger aussi salement, sans aucun respect pour sa nourriture. Malgré ses cris et ses tentatives désespérées, Julia était incapable de se défaire de cette poigne de fer et de la mâchoire qui lui pulvérisait le cou. Elle songea fugitivement qu’elle n’avait rien vu venir. Aucun signe ne l’avait prévenu de ce moment et elle avait été une Couchante exemplaire, protégeant son maître en attendant de prendre sa place, administrant San Francisco pendant de longues années sans faillir et sans erreurs. Alors que le sang quittait son corps, elle réfléchissait à toute allure. Quelle avait été son erreur, où se trouvait la faute ? La Décapitation avait due être décidée très rapidement et l’envoi d’un cannibale là où elle se trouvait alors qu’une escadre de traqueurs devaient déjà être en place à San Francisco, prêts à fondre sur leurs proies. Une telle organisation, sans aucune fuite ? Car elle était sure que si elle n’était pas la première à mourir ce soir, nul doute que les autres devaient suivre très vite sans que personne ne puisse contacter les autorités.

Mais qui avait-elle énervé à ce point ? Car, bien évidemment, le Maître, lui, était incapable de bouger. Elle y veillait à chaque fois qu’elle devait quitter le territoire. Donc, c’était elle, fatalement. A toute vitesse, elle repassait dans sa tête les affaires qu’elle avait menées depuis une bonne dizaine d’années, mais rien. Julia était légaliste jusqu’au bout des ongles sauf quand elle était sure de ne pas se faire avoir. Mais rien, elle était parfaite, rien ! On ne pouvait rien lui reprocher…

A moins que…

Victor. Fatalement.

Elle le connaissait depuis assez longtemps. Pas depuis sa propre naissance au monde de la Nuit où elle avait été sauvée de la prostitution organisée par le Vieux Continent vers les colonies. Elle qui avait eu le malheur de déplaire à son vieux mari en lui préférant un jeune portefaix auquel elle se donnait au détour d’une ruelle. Elle se souvenait de ces étreintes fugitives, brutales et passionnées. Elle en souriait. Vince lui mordait le cou avec la même ardeur que son amant. Et puis il y avait eu la traversée de l’Atlantique. N’eut été la rage qui la tenait, elle aurait succombé au mal de mer et au scorbut. C’est dans un état pitoyable qu’elle était arrivée à la Nouvelle York, dans un état pitoyable qu’on l’avait abandonnée dans une maison de tolérance et qu’elle avait entamé sa lente et inexorable ascension vers le pouvoir. Un autre vampire avait été séduit par sa tournure, elle était arrivée à le forcer à en faire l’une des leurs. De là…

Mais pour Victor, la relation était différente.Le vampire en marge des cours établis qui rendait de bons offices à tous avec une efficacité que beaucoup lui enviaient. Déjà, à cette époque, il avait un réseau de connaissances étendu et varié. Il obtenait ce qu’on voulait par échange de faveurs. Pas étonnant qu’il fut devenu courtier en finances, il faisait ça depuis des décennies, mais avec les petits services de la Société de la Nuit. Elle l’avait toujours vu comme un subalterne agréable malgré les regards au ciel qu’il lançait pour maudire Dieu de ne pas avoir donné plus de plomb dans la cervelle de ses clients. Le fait qu’il se croit plus intelligent que les membres de la Cour l’avait interpellée, elle. Depuis, elle n’avait eu de cesse de le rabaisser en le maintenant dans le rôle de pourvoyeur, de second couteau et jamais d’acteur principal. Manifestement, cela avait été la fois de trop. Comme elle regrettait de ne pas avoir vu sous le costume d’homme à tout faire… Car ce n’était qu’un masque pour avoir la mainmise sur un cannibale… Mais…

Trop tard. La non-vie de Julia était partie.

D’ailleurs, il valait mieux. Elle n’aurait pas apprécié de voir la colère du cannibale la déchiqueter en tout sens et répandre ses morceaux à travers toute la pièce. Elle n’aurait pas apprécié cette débauche de violence, même si dans sa grande mansuétude elle aurait pardonnée à Vince. Le pauvre n’y pouvait rien, c’était sa nature. Mais tout de même…

Ainsi partit dans un camaïeu de rouge projeté sur la tapisserie Girolama Assevi, veuve De Bellefoix que la Nuit avait baptisée Julia. Au final, elle était contente de partir comme ça. Elle était contente de périr de ses actes et non de son inaction. Elle était contente d’avoir été reconnue dangereuse, suffisamment pour qu’on l’élimine et pas de la manière la plus commune. Si elle n’avait pas vu Vince dans ses registres, c’est tout simplement parce qu’il avait été créé spécialement pour elle. C’était flatteur. Encore plus flatteur qu’ils aient choisi sa tournure pour lui tendre un piège.

C’était une belle nuit pour tirer sa révérence.

 

 

 

 

Maintenant.

 

 

La Nuit avait déjà grignoté les derniers éclats de soleil sur San Francisco mais il régnait toujours une chaleur démentielle. Il faudrait attendre une heure du matin pour obtenir un soupçon de fraicheur, mais vu qu’il était assis devant son ordinateur et qu’il n’était que 22H, il cuisait, même en puisant régulièrement un coca dans le seau de glace à coté de lui et il avait beau passer la canette humide sur son front et son cou, l’amélioration n’était que de courte durée. Il faut dire qu’il était devant son PC depuis que le soleil s’était couché sur Paris, même s’il savait pertinemment que rien ne bougerait avant quelques heures.

Il faut dire qu’Internet avait beaucoup changé les choses. Avant les télécommunications modernes, il était impossible de coordonner une attaque précisément. Il fallait tenir compte du décalage horaire, des fêtes religieuses, d’un nombre incalculable de facteurs… Sa plus belle réussite avait été le massacre des templiers, même si pas mal en avaient réchappé. D’ailleurs la date était restée dans les mémoires et tout le monde craignait le vendredi 13 sans savoir ce qu’il en était réellement. Il en était fier.

Maintenant, il fallait bien avouer que les attaques pouvaient être coordonnées à la minute prés. Cette fois-ci, cependant, les Autres avaient tenu à un certain flottement. Si ça les amusait… Mais lui, ça le mettait en retard et il détestait ça. Mais quelle idée aussi de confier l’attaque initiale à un petit jeune qui n’avait même jamais vu les autres boustifailleurs de chair morte ? C’était bien Victor, ça. Aucun respect pour les règles établies à moins que ça l’arrange. Il n’avait pas changé en quelques siècles. Ou si peu. Enfin… Bientôt, ce ne serait plus son problème et pour une trentaine d’années. Sa fille/Mère était en âge de procréer et il avait dans l’idée de s’octroyer un peu de vacances. Il espérait juste qu’elle lui trouverait un géniteur acceptable pas comme cet alcoolique du dernier cycle qui l’avait forcé, alors qu’il allait sur ses quinze ans à lui planter un couteau de cuisine dans la gorge. Ca nuisait à son efficacité de devoir en plus de l’inévitable gestion des cannibales, gérer sa propre famille. Pour la punir, il avait laissé sa fille/mère à demi-morte. Elle avait compris. De toute façon, elle avait intérêt à comprendre. Elle n’était pas unique, mais lui, oui. Il était le premier, elle n’était qu’une façon d’assurer la continuité.

A force de recharger la page Wikipédia qui servait de message, il vit enfin le changement tant attendu. Pour la première fois depuis bien longtemps, on pouvait lire que Marie-Antoinette était morte guillotinée avantson époux, Louis XVI. Une erreur qui servait de signal. Il la corrigea dans le même temps pour bien faire comprendre que le message était passé et prit son téléphone. Une seule sonnerie. Son interlocuteur devait avoir si faim qu’il était pendu à son portable en espérant l’ordre tant attendu. Il ne le déçut pas.

- A la curée, les gars ! La reine est morte et sa cour doit suivre !

Pas un merci, pas une parole… Inutile. La meute était partie en chasse.

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25 janvier 2011 2 25 /01 /janvier /2011 14:28

A croire que ça nous amuse...

 

Je ne sais pas, mais depuis quelques temps, j'ai la net impression que notre joli pays de la France qu'on y est bien ( Ironie, quand tu nous tiens...) recule dans le temps.

 

Notre trés cher gouvernement qu'on aime et qu'on papouille* semble prendre un malin plaisir à nous faire regresser au niveau de la société. Rien qu'aujourd'hui, deux projets de loi plus ou moins avancés qui me font bondir et pas dans le sens du progrés.

 

Phase 1: la naissance sous X.

 

Ni plus ni moins, abandonnons cette pratique qui avait le mérite de mettre un sérieux frein aux tricoteuses et aux abandons sauvages dans un sac poubelle.  Et bien non, ce sera bientôt fini! Comme dirait l'autre, il va y avoir un boum de consommation des congélateurs...

 

Phase 2: L'Euthanasie.

 

Ca aussi c'est fini...

Mesdames, messieurs, mourez dans la douleur et dans l'indignité, vous n'aurez plus la possibilité de demander , comme les chiens et les chats, de demander un mort  à l'américaine (entendez la piquouze, hein... Il parait que la pendaison, c'est pas terrible et la chaise electrique, c'est encore pire.), vous allez crever comme des merdes, perfusés de partout, incapables de vous débrouiller pour aller aux toilettes...

 

C'est beau la France.

 

De la naissance à la mort, on vous demandera de faire ça à l'ancienne, sans oublier entre les deux le systéme de taxes qui ressemble à la dîme et comme toujours , c'est pour la pomme des mêmes.

 

Je ne suis pas communiste... Mais j'espère grandement en la révolution.

 

 

L'auteur.

 

 

* Avez-vous remarqué avec quel brio je me débarasse des chinois du FBI? On devrait tous caliner le gouvernement dans le sens du poil, ne serait-ce que pour ne pas recevoir de nouvelles de notre cousine Hadopi.

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14 janvier 2011 5 14 /01 /janvier /2011 16:59

Première perte du territoire de Toulouse: Montpellier. Parfaitement prévisible vu l’avidité du Maitre de Marseille. Il était cependant tout à fait étonnant qu’il se fut attaqué à un sous-fief de cette ampleur. Montpellier avait toujours été sur la frontière, un siècle, marseillaise, l’autre toulousaine. De manière générale, le ballottage entre les deux fiefs se passait dans un calme teinté de non-dits peu amicaux, mais la guerre n’avait jamais été déclarée pour Montpellier. C’était plutôt le cadeau que l’on se donnait pour apaiser les tensions et que l’on rendait un peu plus tard pour les mêmes raisons. Mais depuis la révolution française, Montpellier était Toulousaine et confié à un couchant voire un levant extrêmement compétent et diplomate. Un gage d’équilibre en somme.

Sauf que le gage d’équilibre venait d’être brisé. Il s’appelait Charles. Deux bons siècles d’existence vampirique pour un mètre soixante- et l’apparence juvénile d’un gamin de quinze ans. Mais contrairement aux adolescents d’aujourd’hui qui semblait mal concilier le passage de l’enfance à l’adolescence, lui en était la quintessence. Et décidément, celui-là n’avait pas eu une vie facile. Il avait vécu la révolution Française de plein fouet, en avait souffert et ce ne fut qu’au terme de cinq ans de cavale que la Maitresse de Toulouse lui donna sa pitié et son sang. Il était Missi Dominici de Montpellier depuis prés de soixante ans et c’était à fendre le cœur de le voir agenouillé devant Victor, répandant ses excuses et des larmes de rage dans les yeux.

Fort heureusement, on possédait peu de cœur dans les cours vampiriques.

Vince détestait ces moments où Victor le forçait à rester à ses cotés pour assister à une mercuriale en bonne et due forme. Il était évident que le petit n’y était pour rien. C’était la politique, c’est tout. Plusieurs fois, Vince fut tenté de prendre la défense de Charles mais la poigne ferme qu’il sentait sur son épaule le paralysait. Il aurait aimé que Clara soit là. Il aurait aimé avoir un peu de chaleur humaine pour s’y blottir… Mais Victor avait décidé de le couper temporairement de ses lieux surs.

Une semaine qu’ils étaient arrivés. Une semaine que Victor faisait la main de fer face à parterre de vampires aigris et perdus. Une semaine de tension permanente pendant laquelle Victor se sentait comme un poisson dans l’eau. Une semaine aussi où Victor avait multiplié les regards sur son cannibale et où il ne s’était rien passé. Depuis, Vince ressentait une peur panique à chaque fois que le maître le faisait appeler. La plupart du temps pour lui faire un cours de politique sans aucun intérêt. Partagé entre la terreur et l’impatience, Vince rongeait son frein.

Dieu qu’il avait l’air jeune ce petit vampire, furieux d’être une nouvelle fois privé de son trône. Vince se força à se soustraire de la main de Victor et à le suivre dans le couloir. Il semblait vouloir trouver un coin sombre pour pleurer tout son saoul, comme un enfant furieux contre lui-même d’avoir provoqué la mort de son animal de compagnie, ou d’avoir eu une mauvaise note malgré des heures de révision. Il n'avait pas entendu Vince le suivre, sans doute perdu dans sa fureur et sans doute parce que Vince, quand il ne faisait pas attention à paraître humain, ne faisait aucun bruit. Aussi fut-il surpris et prêt à l'attaque quand Vince lui tapota sur l'épaule. Mais la surprise passé, le vampire adolescent hésita entre la colère et la soumission. Après tout, c’était un Couchant.

-          Vous désirez, Monsieur ?

A force d’être traité comme un objet, à force de ne compter pour rien et d’être humilié plus qu’il ne le méritait, Le jeune vampire se sentit obligé de regarder par-dessus son épaule pour voir si c’était bien à lui qu’on s’adressait. Mais Charles le regardait bien, lui, avec un regard piteux.

- Euh… C’était juste… Pour vous dire que… enfin… Victor ne pense pas vraiment ce qu’il dit… C’est juste pour les autres, histoire qu’ils n’en rajoutent pas

C’était lamentable. De plus, Vince était quasi sur que Victor avait pensé chaque mot qui était tombé comme une pierre sur le dos du Missi Dominici. Mais Vince ne voulait pas oublier sa compassion, quitte à l’éprouver pour une de ses proies.

Oh mon Dieu… Je l’ai pensé, ça…

-          Merci, Monsieur… Mais j’ai mérité chaque mot et chaque réprimande. La Décapitation n’est pas une bonne raison de se relâcher.

-          Et donc c’est nécessaire de se faire crier dessus comme un chien ?

-          Je suis un Levant, Monsieur. J’ai fauté, je le mérite.

Vince se dit que ça allait poser problème, tout ça… Pas plus que l’humain normal, le jeune cannibale n’aimait se prendre ses réprimandes mais il prenait ses responsabilités, comme tout un chacun. Mais là, c’était trop. On tombait un peu dans le masochisme.

-          Personne ne mérite de se faire traiter comme ça.

-          Par le Maître de Ville, si. Ca se voit que vous êtes tout jeune. Il a pouvoir de vie ou de mort sur nous tous.

-          Jusqu’à la Décapitation.

Charles baissa le regard. Pour lui, la Décapitation avait été bien plus lourde de conséquences que pour tous les autres. Justement parce qu’elle adorait Charles comme sa plus belle création, la Maitresse de Toulouse ne l’avait jamais placé parmi les couchants. Au cas où… Et comme elle avait eu raison. Mais Charles avait perdu pour la seconde fois sa mère. Il n’était pas sur d’avoir eu envie de survivre.

-          Désolé… Marmonna Vince.

-          Non… non… Vous ne pouviez pas savoir ce que c’est. Et je ne vous le souhaite pas.

Victor lui avait répété un bon nombre de fois que sa vraie nature devait être cachée… Oh bien sur, ce mélange de puissance et de naïveté due à son age laisserait une impression de doute dans l’esprit de tous ceux qui le croiseraient. Mais on songerait d’avantage à un vampire qui joue un rôle qu’à un cannibale qui n’en joue pas. Vince s’était demandé si laisser entendre qu’il était le dessus de la chaine alimentaire était dangereux pour lui. Ils pourraient tous se coaliser pour le détruire en prévention… Mais non, avait insisté Victor, cela ne fera que modifier leur vision et faire perdre le peu de crédit que tu pourrais avoir.

-          Si vous n’avez pas d’ordres à me donner, Monsieur… Je vais me retirer.

-          Pourquoi je vous donnerais des ordres ?

Un blanc.

Non, mais que ce vampire aux yeux blancs soit jeune, plus jeune que lui, Louis-Charles de Bourbon, après tout c’était possible, voire assez répandu. Certaines cours du Nouveau Monde estimaient que la place était à la jeunesse, bien que d’un point de vue humain, une cinquantaine d’années n’était pas gage de l’enfance. Mais qu’il soit particulièrement ignorant de sa place et de son rang… N’eut été la terreur qu’inspirait Victor, Charles aurait bien pris ce jeune fou à son compte pour en faire la base d’une sédition en règle. L’humiliation de se voir dirigé par un vampire de Passage avait été largement compensée par le fait que ce fut celui-là… Il l’avait connu encore enfant, c’est dire si Victor laissait de grandes impressions. Charles l’avait détesté dés le premier jour, reliquat d’une enfance protégée qui se braquait contre l’intrusion d’un prédateur. Il n’avait que peu changé… Lors des représentations à Versailles, il portait le costume classique d’un courtisan bien né et fortuné et même si ici en ce temps du premier quart du vingt-et-unième siècle, il avait abandonné dorures et froufrous de dentelles, il restait aussi imperturbable qu’une statue et aussi inquiétant qu’un cerbère. Au vu des événements qu’il avait traversé, Charles aurait du laisser aux oubliettes le souvenir d’un tel homme. Mais nul ne lui avait à la fois inspiré tant de terreur et d’admiration d’un seul regard.

Ce qui ne réglait pas le problème de Vince. Si Victor ne voulait pas l’éduquer, il allait avoir un énorme souci d’ici peu. Mais comme il n’était que régent, peut-être estimait-il que ce n’était pas nécessaire et que bientôt il reprendrait la route avec cette étrange créature qui inspirait autant de compassion que de crainte. Peut-être… Mais ce n’était pas une bonne raison.

-          Monsieur… Vous savez que vous êtes un couchant… donc, d’un rang supérieur au mien ?

-          Oh…

-          Oui… Donc, vous êtes tout à fait habilité à me donner des ordres, à la réserve qu’ils doivent être en accord avec ceux du Maître.

-          Il ne vaudrait mieux pas laisser à Victor le soin d’ordonner et de me laisser le soin de ne pas m’en mêler ?

Charles soupira… Sûrement un de ces vulgates tirés du ruisseau pour un temps afin de faire de la figuration… Mais son expérience du monde lui avait appris qu’il ne fallait jamais négliger le bas peuple, surtout quand il se montrait aussi malléable. D’autres en usaient à leur profit alors que vous n’y songiez plus.

-          Bon… Je ne suis pas censé faire ça, mais pour le bien de mon royaume et pour éviter qu’un massacre ne recommence, il va falloir que vous appreniez certaines règles. Et sauf le respect que je vous dois, comme le chantait Brassens, vous en avez bien besoin…

-          Euh… mais… Je ne vois pas comment moi tout seul je peux couler cette ville…

-          Vous êtes le seul couchant… Victor est, par définition et par sa nature, inaccessible… Dans les prochaines nuits, vous allez être la cible de toutes les requêtes de cette ville et de ses environs. Même Marseille va venir vous voir pour négocier.

-          Négocier quoi ? Et me demander quoi ?

-          Des tas de choses ! Un plus grand pouvoir, une audience, voire des choses que vous ne pouvez pas imaginer encore… Quant à Marseille… Sans doute la mort ou tout du moins la mise au rencart du Maître.

On devrait toujours se méfier de ceux qui ont l’air totalement inoffensifs… Vince entrevoyait dans cet adolescent éternel des envies, des manigances qui ne lui plaisaient que très moyennement. Victor l’avait prévenu. Mettre un vampire à l’aune des humains, c’était s’attirer de furieuses déconvenues ou d’heureuses surprises. Mais jamais ce à quoi on s’attendait.

-          Dites-moi… Vous ne seriez pas en train de prêcher pour votre propre chapelle ?

-          Pas autant que vous le croyez. Je ne nie pas que j’espère de votre part un peu de reconnaissance, mais… Mais je pense surtout à la ville où j’ai passé toute ma vie de vampire,  la ville de ma Maîtresse… Je tiens à ce qu’elle reste grande et belle… Malgré vous.

Charles se couvrit la bouche avec sa main. Il en avait trop dit et il n’avait pas caché le reliquat de mépris qu’il éprouvait pour ses nouveaux dirigeants.

-          Je suis désolé ! Je ne voulais pas dire ça…

-          Si. Mais je le comprends. Nous sommes des arrivistes.

-          Non, pas vraiment…

-          Si, si… Franchement, rien ne me préparait à être ce que je suis aujourd’hui. Mais vraiment rien ! Un jour, si j’en ai la possibilité, je vous raconterais. D’ici là, je ferais de mon mieux pour ne pas avoir l’air d’un pequenaud et j’aimerais bien avoir votre aide.

Au moins, on pouvait porter au crédit de ce petit vampire propulsé à la seconde place qu’il avait conscience de sa situation et qu’il était loin d’être idiot. Tout ce que savait Charles, c’est qu’il ne voulait pas laisser Toulouse au Maître de Marseille, fut-il obligé de ramper devant Victor et de faire ramper les autres pour y parvenir. Il se le promettait, comme il l’avait promis à sa seconde Mère.

-          Marché conclu ? Questionna Vince avec une main tendue.

-          Marché conclu. Reprit Charles en la serrant.

Et puis bon… L’appui d’un couchant, même inexpérimenté était précieux.

 

 

 

Clara n’avait jamais été pro française, non par snobisme ou manque de culture mais plus par totale indifférence et incapacité financière de mener une action en faveur de telle ou telle way of life. Cela dit, comme toute américaine bon teint, elle ne connaissait de la France que Paris, la démesure, la mode, le vin (dont elle n’avait jamais bu une goutte, mais il paraitrait que boire un vin français, c’est le must alors bon…) et la langue. Pour la dernière, elle l’avait appris, on s’en rappelle, par correspondance. Son accent était donc tout scolaire et le coté chantant de l’accent toulousain lui échappait complètement. Pour l’instant. En tant que caméléon social, nul doute qu’encore un mois de cassoulet et elle pourrait passer pour une native de la région.

Toulouse l’avait guérie de la plupart de ses préjugés. Les Français ne parlaient pas la bouche en cul de poule de choses que le commun des mortels ne comprenait pas ou trouvait totalement décadentes. Ils étaient le commun des mortels, ni pires ni meilleurs que le reste du monde. A porter au crédit de Toulouse, ces Français-là semblaient vouloir croquer la vie à pleines dents. De la bonne nourriture, des bons alcools, des endroits pour faire la fête aussi géniaux qu’ils semblaient à portée de tous. Toulouse ne cloisonnait personne dans un archétype, Toulouse invitait à s’amuser, point final.

Clara, hédoniste en diable, était tombée amoureuse de Toulouse. De ce fait, elle commençait aussi à nourrir quelques préjugés envers Paris car, comme l’avait dit une de ses nouvelles amies avec un zeste d’humour : « ces gens-là ne sont pas comme nous. »

Rétrospectivement, il peut paraitre étonnant que Clara se soit déjà fait des connaissances. Elle qui, aux Etats-Unis en tout cas, ne sortait que dans des endroits où son costume ne serait pas extravagant et qui par voie de conséquence restait soit entourée de punk rockers, soit de bikers, s’était découverte une passion pour ces petits troquets de la Ville Rose où certes, elle ne passait pas inaperçue, mais où personne ne semblait lui en vouloir. Et on y trouvait de tout. Enfin… presque. C’est par un hasard complet qu’elle avait rencontré ce petit groupe de françaises qui l’avaient incluse sans y penser. Du fait de Victor, Clara était riche, mais elle ne le montrait pas, réservant toujours sur sa rente hebdomadaire de quoi fuir. Oh, elle se doutait que Victor fut au courant de ses économies et même qu’il ne la laisserait pas partir, mais cet acharnement de fourmi la rassurait un peu dans cette relation étrange entre Pygmalion et Galatée. A moins qu’elle ne fut moitié Pygmalion moitié Galatée vu comment elle s’acharnait à transformer Vince. Bref. Elle passait donc pour une étudiante étrangère en arts et lettres qui pour payer ses études était jeune fille au pair. Ce qui expliquait ses moments de liberté et ses impossibilités à savoir de quoi la semaine serait faite puisqu’elle était soumise au bon vouloir du Maître.

Elles se retrouvaient donc presque tous les soirs dans un bar au nom très improbable, La couleur de la culotte, pour papoter à perdre haleine de tout de rien, pour fustiger les réformes du gouvernement français ou pour faire les adolescentes pré pubères devant un bellâtre. Rôle qu’elles adoraient jouer et qui provoquait des fous rires en cascade, surtout grâce à Veronica, leur ainée, qui aurait pu devenir comique tant ses exagérations de voix et de comportements étaient tordantes. Tout cela pour le seul bénéfice d’une demi-douzaine de cinglées de tous horizons. Car aucune ne ressemblait aux autres. Toutes différentes et toutes unies. Clara aurait tué pour avoir eu plus tôt un tel cercle.

Ce qui la comblait parfaitement d’avoir trouvé ces amies puisque Victor devenait insaisissable en dehors de l’Hôtel de Pierre et que Vince n’avait ni le droit ni l’envie de sortir. Et ça, c’était bien dommage. Bien sur, elle comprenait que la raison secondaire de Victor était avérée. Il était trop inexpérimenté et trop esclave de ses pulsions naissantes pour le laisser déambuler parmi les humains. Pas tout de suite en tout cas. Mais la raison primaire, non dite, était que Victor refusait de lui donner la moindre liberté tant qu’il n’aurait pas imprimé sa marque sur le jeune homme. Une assurance que personne n’oserait le lui contester. Clara comprenait aussi, mais, vu le passif de Vince, lui imposer chaines et bracelets de fer était la pire à chose, fussent ses chaines ne pas être réelles. Clara songea à en parler à Victor. Il s’y prenait mal.

Pour le moment, elle se pomponnait pour une séance shopping avec Solange, la benjamine du groupe. Celle-ci n’avait que 19 ans et entamait ses études avec une grande confiance. Il faut dire que Solange prenait tout ce qui passait avec bonne humeur. C’en était presque dérangeant. Mais Clara savait que cette bonne humeur était un bouclier au moins aussi efficace que ses anneaux. Le jour ou Solange cesserait d’afficher un bon sourire, le monde s’écroulerait. C’était reposant de sortir avec ce genre de filles et Clara se sentait mieux. La transplantation n’avait pas été bonne pour elle. Loin de là. Ces vampires français pensaient différemment. Ce qui était la marque de Toulouse en matière de jeunesse humaine leur était totalement étranger. Ils étaient à la pointe de l’efficacité, mais leurs plaisirs et leurs peines… ils ne les partageaient pas. Du moins, pas avec elle. Mais elle n’était que le bibelot ou le chien de manchon de Victor, pas plus. Les autres la traitaient avec un soin infini pour ne pas déplaire à Celui Qui Doit Être Obéi, mais ils ne faisaient rien pour masquer le mépris qu’ils avaient pour elle.

Un jour, quand ça lui prendrait, elle leur ferait ravaler tout ça pour prendre sa place. Mais pour le moment, elle n’était pas d’humeur. Et surtout elle ne mesurait pas encore sa force. Nul doute que Vince l’aiderait mais pour le moment, il fallait déjà que le Tigre en cage se sente à l’aise dans sa fourrure. Ce qui était loin d’être le cas. En parlant de ça, elle devait absolument trouver un tatoueur avant que Victor ne le fasse. Vince devait porter une marque personnelle et ce avant que Victor n’ai la même idée. Elle en parlerait à Solange.

Victor avait tenu à lui payer une voiture mais elle n’avait pas voulu de la monstrueuse berline, elle ne lui correspondait pas. Elle avait préféré une petite voiture qui se faufilait partout et qui ne l’écrasait pas elle et sa petite taille. De plus, les rues françaises étant ce qu’elles sont, méritant la charmante litote de Pittoresques (Pour ne pas dire étroites…), une berline américaine serait très malvenue. De plus, elle n’aurait pas collée avec l’image de la jeune fille au pair. Et puis, cette petite voiture était déjà son territoire à elle. Le seul que Victor lui ait permis, même consciemment. Elle avait rendez-vous à la bibliothèque universitaire du Mirail et s’y rendit donc avec l’autoradio qui hurlait un best-of des Sex Pistols. Il ne lui manquait qu’un café, mais elle arriverait bien à trainer Solange dans un Starbuck.

Ce fut un choc de voir Solange. Même si elle souriait, une splendide tâche bleue tirant sur la couleur d’une queue de paon ornait son œil et elle était suivie par un jeune homme qui avait l’air tout sauf aimable. Malgré les soldes imminentes, Clara ne voulut pas avoir les explications dans la voiture. Le sourire de Solange se fit plus mélancolique quand elle vit l’air horrifié de son ami, mais elle n’eut pas le temps d’en placer une puisque son suiveur peu aimable la prit de vitesse.

-          Son ex l’a battu.

Clara posa les yeux sur lui. N’eut été l’envie d’en mettre une à toute personne qui passait à coté de lui qui brillait dans ses yeux, il aurait pu avoir sa place dans un quatre-heures, surtout qu’il avait un petit accent britannique du plus bel effet.

-          Et vous êtes ?

-          Mon voisin de la cité U… répondit Solange avant que le dit voisin ne réponde une insulte comme la torsion de sa bouche semblait l’indiquer. C’est Ben. Il m’a… Il nous a entendus hier, et c’est lui qui a viré Pierre de mon studio.

-          Et ben là, d’un coup, vous m’êtes vachement plus sympathique…

-          C’est pas réciproque.

Fugacement, Clara se dit que si Victor n’avait pas « calmé » Vince de manière aussi brutale, il aurait pu ressembler à ça. C’en était inquiétant.

-          Ben, s’il te plait… (Solange prit le bras de Clara et l’entraina plus loin) Ne t’en fais pas, Ben est comme ça avec tout le monde… Il fait mine de n’aimer personne et de passer pour un ermite, mais il a bon cœur.

-          Mais… Qu’est-ce qu’il vient faire avec nous ?

-          Me protéger je suppose… Il a peur que Pierre ne vienne se venger sur moi… mais après la raclée qu’il s’est prise hier, je pense plutôt qu’il n’approchera plus la cité U avant la fin de mes études… ou de celles de Ben.

N’eut été sa propre situation, Clara aurait bien trainée Solange jusque chez elle pour qu’elle n’en sorte plus… Mais la présence de la quinzaine de vampires chaque nuit risquait de devenir encore pire qu’un ex jaloux et violent. Elle risqua un regard vers le dénommé Ben. Outre le fait qu’il semblait accueillir ce regard avec un mépris violent, elle put remarquer que Ben restait aux aguets. Tout le temps. Le moindre bruit, le moindre éclair de lumière était repéré, analysé et pris en compte. Elle ignorait comment Solange faisait pour vivre à coté d’un tel obsédé du contrôle, mais elle, elle ne pourrait pas.

La prédiction se réalisa dés la montée dans la voiture. Clara s’excusait du foutoir et lui répliquait :

-          De toute façon, les bonnes femmes sont pas fichues de ranger…

-          Ben !

A croire qu’il aimait se faire rabrouer. Tout le trajet fut ponctué de remarques sexistes bien grasses, au point qu’elles n’en semblaient pas réelles. Plutôt que de s’énerver, Clara préférait répliquer avec des remarques bien senties, même si elle savait que la situation pouvait dégénérer à n’importe quel moment. Ben était violent. Pire que ça, il semblait doué pour le combat. Par Solange, elle savait que Pierre était fan de boxe et pratiquait à la Fac. Mais Ben n’avait pas la moindre marque, ni même une gêne qui eut indiqué un hématome sous les vêtements ou pire une côte cassée. Elle répliquait donc en dépit du bon sens qui aurait voulu qu’elle la ferme. A coté de ça, Solange, elle, le grondait gentiment, sans paraitre voir l’aura de danger de son voisin de chambrée. Mais peut-être qu’à force de côtoyer des prédateurs à visage humain, Clara avait développé une sorte de sixième sens pour repérer les plus cachés, ceux qui vivaient encore et ceux qui finissaient soit en psychiatrie, soit en prison.

La fin de l’après-midi se passa donc dans un curieux mélange de tensions et de froufrous. Mais pas une fois les deux femmes n’intimèrent à l’asocial d’aller voir ailleurs si elles y étaient. Et curieusement, aucun autre homme ne les aborda.

Clara était en train d’attendre avec son sac rempli à ras bord de fringues pour homme (il fallait rhabiller Vince de toute façon…) que Solange ait fini d’essayer les trois robes qui lui avaient tapé dans l’œil. Ben, lui, s’occupait en regardant distraitement les gadgets que les magasins mettaient toujours aux caisses. Quand il lui parla, il avait abandonné sa voix de macho pour une voix légèrement plus rêveuse. Presque normale, en fait.

-          Je ne sors pas avec Solange et je ne le cherche pas non plus.

-          Je sais.

-          Comment ça ?

-          Tu te comportes comme un grand frère, pas comme un amant jaloux.

-          Ah, merde…

Il semblait ennuyé par cette erreur. Curieux.

-          Si ça peut te rassurer, peu de monde voit la différence.

-          Merci.

-          Ca fait un peu grand frère corse. Tu as des origines ?

La petite plaisanterie n’eut même l’heur de lui tirer un sourire. Il continuait à s’amuser avec une lampe laser monté sur porte-clefs. Ce qui ne l’empêchait pas de continuer la conversation.

-          Ton copain doit être heureux si tu lui achètes ses nippes.

-          C’est pas pour mon… petit copain.

Ce qui était vrai. Elle se demanda soudainement jusqu’à quel point elle pouvait dire la vérité, mais le reste coulait tout seul, comme si elle avait besoin de se confier. Chose des plus étonnantes vu qu’elle en était réduite au secret et que son confident était un homme des plus mal embouchés.

-          C’est pour un ami qui se remet doucement d’une passe difficile. Mon homme, lui n’a besoin de personne pour s’habiller. Je crois même que je l’insulterais en lui offrant des vêtements.

-          Qu’est-ce qui lui est arrivé ?

Il parlait de Vince. Il avait évacué l’homme en titre avec une facilité déconcertante.

-          Quelque chose… Désolée, Ben. Mais ce n’est pas le genre d’expérience qu’on apprend au premier venu.

-          Non, mais je comprends.

Et on ne pouvait que le croire. Clara qui lisait dans les expressions faciales comme dans un livre ouvert se surprit à le trouver compatissant et… Grand Dieu, oui, parfaitement au courant. Depuis qu’elle avait connu Victor et Vince, Clara avait pris l’habitude de ne plus s’étonner de rien. Sa vie était devenue un tel tourbillon de nouveautés et de croyances, pourtant bien ancrés, balayées d’un revers de la main. Vince était une exception parce qu’elle n’arrivait pas totalement à le sonder, bien qu’elle fut parfaitement au courant. Mais son entrée dans le monde de la Nuit avait sans doute altéré son humanité au point qu’il ne pouvait plus se tenir sur les standards humains.

Elle s’aperçut qu’elle n’avait pas dit un mot depuis cinq minutes.

-          Et bien… Ben, tu peux te vanter de me l’avoir fait fermé pendant un laps de temps assez long… du moins pour une femme.

Son premier sourire depuis le début de la soirée.

-          Arrête… Jouer les femmes soumises, ça te va pas.

-          Je sais. Merci de t’en être rendu compte.

-          De rien… Et… Désolé pour la séance de muflerie.

-          C’est quoi ton excuse ? Tu cherches la femme qui pourra te supporter malgré tout ça ?

-          Non, même pas. C’est ma manière de me protéger.

Avant qu’elle ait pu ouvrir la bouche, Ben reprit :

-          Ton ami qui manque de vêtements doit en être au même point. Ou pas loin. Cela dit, il ne sera peut-être pas un connard misogyne, mais… il va avoir une belle carapace.

-          Comment tu peux savoir ce qu’il traverse ?

Ben posa sur elle son regard, qu’elle avait cru noisette au début avant qu’elle ne se décide à ne pas le regarder de toute la séance de shopping tellement il était imbuvable. Mais la couleur était plus celle du caramel en train de fondre au fond d’une casserole.

-          Parce que t’attires les gueules cassées, chérie. Avec toi, soit le type est un parangon d’égocentrisme, soit il en a tellement bavé que ce sera un miracle s’il vit à nouveau comme une personne normale.

 

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