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26 mai 2013 7 26 /05 /mai /2013 22:53

-          Je hais Londres.

Heureusement qu’ils étaient encore en Europe, les vols en avion ne duraient pas toute la nuit et la plupart des destinations leur permettaient de pouvoir prendre pied avant que le soleil ne se lève. Comme Ash haïssait devoir rester immobile pendant une traque, c’était Dom qui menait les recherches le jour en essayant de ne pas se faire voir par d’autres loups. Et il savait pertinemment que les loups de Londres n’étaient pas à prendre à la légère malgré la jeunesse, toute relative, de leur Alpha. Les deux frères s’étaient donc établis dans l’ancienne cour londonienne, sachant que la meute locale n’y mettrait pas les pieds et que les seuls imprudents seraient les reliquats de la Vulgate anglaise qui n’avaient pas encore trouvé de nouveaux maitres et qui se partageraient les restes avec les dents. Pour la journée, seuls des humains viendraient, des enquêteurs sans doute et Ash pourrait se nourrir sans souci. Cependant, personne n’était venu jusque-là et c’était un vampire Firenze particulièrement exécrable du fait de devoir rester éveillé que Dom avait au téléphone.

-          Ce n’est qu’une ville. Ni plus ni moins laide que les autres. De plus, je te rappelle que nous ne sommes pas vraiment dans la ville.

-          Ça ne m’empêche pas de haïr l’endroit où je me trouve. Ça donne quoi ?

-          Je viens d’arriver à Harefield. Hôpital classique. Je suis plutôt content de pouvoir passer pour un prêtre, ce sera plus facile. Je vais couper.

-          Dom… ?

-          Oui ?

-          Je… Concernant hier…

-          Non, tais-toi. Je ne t’abandonnerais jamais. Je ne parlerais plus de ça. Et je trouverais une solution.

Le silence sur la ligne fut celui de la stupeur. Jamais auparavant Domenico ne s’était permis de parler sur ce ton. Un ton résolu, péremptoire et parfaitement calme. Même quand il parlait avec des humains qu’ils savaient tout deux être bien inférieurs en terme de dominance face à un loup, Dom avait toujours l’air de quêter leur approbation, d’essayer de les convaincre en douceur alors qu’il avait largement les capacités de se faire obéir d’un mot. Malgré le froid régnant dans la cave où il était et qui lui mettait les nerfs en pelote, Ash se mit à sourire. Il était peut-être temps que son frère se fasse véritablement les crocs et arrache la peau d’humain qui contenait sa fourrure de loup.

-          D’accord, Fratello mio, je te laisse gérer tout ça.

-          Merci, Ash…

Dom coupa la communication et se dirigea directement vers l’accueil. L’infirmière de garde était petite, boulotte et malgré ses yeux magnifiques, elle semblait éteinte et fatiguée. Le loup se permit de humer un instant autour de lui pour avoir confirmation d’un doute. Oui, elle était malade. Un cancer sans doute. Malgré toutes les odeurs de maladie qui lui parvenaient, il savait que cette odeur-là venait de la pauvre secrétaire en blouse rose. Il lui adressa un sourire compatissant et lui demanda la chambre de M. Whitehall. Elle compulsa rapidement sur son ordinateur, rassurée par la mise impeccable du visiteur et par son aura de douceur. Elle lui dit d’un ton désolé que M. Whitehall était déjà sorti, accompagné par son père.

-          Oh. Mince… Je pensais pouvoir le voir avant son départ.

-          Vous saviez qu’il allait partir contre l’avis du médecin ?

-          Oui, sa mère m’a demandé de venir pour que je le convainque du contraire. Malheureusement, j’arrive trop tard.

-          A une dizaine de minutes près, c’est dommage. Mais si vous voulez, sa sœur est encore dans la chambre pour rassembler ses affaires.

Ce serait toujours ça de pris pour avoir des informations…

-          Elle est là ? Je pensais qu’elle serait en cours…

-          Elle a dû prendre sa matinée… Chambre 218.

-          Merci beaucoup, mademoiselle… Et…

Mû par une impulsion, il lui saisit les mains par-dessus l’ordinateur et les serra doucement entre les siennes avec un sourire triste.

-          Ne perdez pas la Foi. Ne perdez jamais espoir. Je prierais pour vous.

Et il partit en direction de l’escalier en veillant à effacer légèrement les souvenirs de l’infirmière. Comme il aurait voulu pouvoir la soigner, vraiment ! Mais il n’était qu’un tueur de plus. Malgré ce qu’il avait dit à son frère, sa vieillesse le taraudait toujours. L’implacable course du temps qui commençait à rendre son loup complètement fou et qui le forçait de plus en plus à ruer dans tous les sens. Au mieux de sa forme, Domenico pouvait espérer n’avoir à se transformer qu’environ toutes les semaines. Parfois moins souvent. Ce qu’il ne disait pas à Ash, c’est que ces derniers mois, il devait se transformer presque tous les jours ne serait-ce que pour respirer. Peut-être qu’il perdait réellement pied et sans meute pour le surveiller, il était une bombe à retardement. Si seulement… si seulement…

Il secoua la tête violemment en se répétant que ce n’était pas le moment pour avoir des pensées morbides. Malgré ce qu’en pensait surement Ash, ce n’était pas pour sauver sa vie qu’il menait cette traque mais bien pour celle de son ainé… Qui ne voulait pas mourir. Et qui serait sans doute la prochaine proie de leur commanditaire mystérieux s’il ne trouvait pas très vite une piste. Devant la porte, il resta quelques instants sans bouger pour connaitre la topographie des lieux et la position des autres êtres vivants à l’étage. C’était un coin de l’hôpital relativement calme mais il y avait cependant un peu trop de monde pour pouvoir se lancer dans un interrogatoire musclé. Ce qu’il détestait. Surtout sur une pauvre humaine innocente qui ne devait pas savoir que son frère trainait avec des vampires.

Humains, je vous aime… Mais je préfère mon frère.

Il toqua doucement et ouvrit le mince panneau avec son sourire bienveillant pour découvrir une petite rousse qui… pillait littéralement la chambre de tous ses draps, housses de fauteuil et serviettes. Par terre, à côté d’elle, il y avait des bombes aérosols diverses dont une seule contenait véritablement du désodorisant de marque industrielle. Dom renifla un coup pour confirmer sa première impression : la jeunette, qui ne lui arrivait même pas au torse, n’était pas une louve et pourtant ce qu’elle faisait était une façon assez classique de brouiller les pistes olfactives. Elle s’attendait à ce qu’une meute, ou au moins un loup, vienne pour renifler l’endroit.

-          Euh… Je fais le ménage. L’ancien occupant est parti.

Dom ne se départit pas de son sourire apaisant alors qu’il continuait lentement mais surement à analyser les parfums de la pièce. L’odeur classique à tout hôpital, les médicaments, les désinfectants et la maladie, bien sûr mais… La peur de cette petite humaine, la peur d’être découverte, des résidus d’odeur de loup, comme si l’un des occupants précédents de cette pièce s’était frotté à un loup-garou en pleine transformation et… Oui. Du sang de loup. Qui venait d’elle. Sang frotté maintes et maintes fois au savon et à l’eau chaude mais le meurtre ne s’efface pas en une seule douche. Peut-être n’avait-elle tué qu’une seule fois ? Au vu de son âge, qui ne devait pas excéder la vingtaine d’années, elle était assez nouvelle dans le circuit des Chasseurs d’Hommes, terme antithétique pour désigner les rares humains qui connaissaient l’existence du monde de la Nuit et loin de s’y inclure préférait en chasser les membres. C’aurait pu être un but louable. Très louable, même. La première fois que Dom avait entendu parler des Chasseurs d’Hommes, il avait même imaginé pouvoir les aider un peu dans leurs traques, leur donner des informations pour que la gangrène vampirique ne paralyse pas ce monde.  Puis, il avait assisté à une chasse, de loin, et s’était dit qu’il n’y avait aucun honneur et aucune justice à massacrer une famille entière d’humains devant le seul infortuné qui se transformait, uniquement pour que la fourrure soit complète et qu’ils puissent en tirer un bon prix. Comme ils tiraient un bon prix des crocs de vampires et de la peau de Faë… entre autres. Le surnaturel se payait cher et Dom, qui s’était cru un monstre, avait compris que l’humain pouvait être pire.

-          Je m’étonne du fait que vous, vous ne soyez pas partie… N’êtes-vous pas censée être sa sœur ?

-          Qui vous a dit ça ?

-          La réceptionniste. On croit toujours qu’elles s’en fichent… Qu’elles ne notent rien. C’est faux. Il suffit juste d’être poli et aimable. Mademoiselle… ?

La jeune fille eut un mouvement nerveux de la tête vers son sac. Sans doute y cachait-elle son arme mais elle n’eut pas le temps d’esquisser un mouvement avant de se retrouver enserrée dans une clef de bras qui l’empêchait de respirer. Dom avait cessé de sourire. L’affaire devenait diablement sérieuse tout simplement parce qu’il n’avait aucune idée de la nature de sa proie.

-          Entendons-nous bien, Jeune demoiselle. Je me fiche de savoir qui tu es réellement. Je me fiche de savoir ce que tu comptais faire dans cette chambre et même pour qui tu travailles. La seule chose qui m’intéresse, c’est savoir où se trouve Benedict Whitehall. Tu peux me répondre et m’avancer dans les recherches, ainsi je serais d’assez bonne humeur pour te laisser en vie. Tu peux te taire ou essayer de crier et je serais dans l’obligation de te rompre le cou. Cela ne change rien pour moi.

Alors qu’elle balançait des coups de pieds dans tous les sens, qu’elle lui griffait le bras quelques secondes auparavant, elle se calma un peu tout en essayant de respirer.

-          Je vais supposer que cela veut dire oui. Je t’écoute. Lui murmura-t-il avant de desserrer sa prise.

-          Je ne sais pas où il est…

Elle ne mentait pas. Mais elle ne disait pas tout, ainsi qu’on enseignait à tous ceux qui parlaient aux loups. Sans doute pensait-elle qu’il était en transit.

-          Et où l’emmène-t-on ?

-          Je sais pas…

-          Ça, c’est un mensonge. Essayes encore avant que je ne torde le coup.

-          Tanière… de Londres.

-          Pourquoi Diable des chasseurs d’Hommes amèneraient quelqu’un à la Tanière de Londres ?

Une Tanière était le repaire d’une meute. Pour sa part, il n’en avait jamais vu de prés, sans doute  parce que les Tanières étaient aussi des pièges mortels pour tous ceux qui ne faisaient pas partie de la Meute. Cela dit, et même si les loups garous d’une meute ne vivaient dans la Tanière qu’à peine une fois par semaine, c’était… le meilleur endroit pour tous les tuer et en vendre la dépouille.

-          C’est bon, je me doute de ce qu’ils vont y faire. Mais pourquoi ma proie doit y aller ?

-          C’était… l’un d’eux…

-          C’était ?

On nageait en pleine fantasmagorie, là. Comment était-il possible qu’un loup de meute se soit retrouvé seul dans un hôpital (Meilleur endroit pour éveiller les soupçons de l’humanité), retrouvé par des chasseurs d’Hommes puis suffisamment retourné pour les mener à la tanière de sa meute sans en avoir tué un seul ? Et pourquoi, au Nom du Ciel, un vampire qui était tout sauf faible les avait mis lui et son frère sur la trace d’un loup renégat ? Le savait-il, au moins ? Et si oui, quel aurait été son intérêt ?

Parmi les mille questions qui tourbillonnaient dans sa tête, Dom ne se rendait pas compte qu’il serrait le cou de la jeune fille de plus en plus, jusqu’à la rendre écarlate. Il aurait pu lui briser la nuque sans s’en rendre compte si elle n’avait pas poussé un petit gémissement étranglé et parfaitement pathétique. Le loup relâcha la pression en retenant de justesse un mot d’excuse. C’était un otage, pas une jeune fille qu’il courtisait même s’il n’avait aucune idée de comment courtiser une jeune fille… Même en se basant sur les expériences de son frère ainé, il pouvait être sûr d’une chose : Ce n’était pas comme ça.

-          Bon. Je récapitule. Toi et tes « camarades » avez trouvé un loup-garou suffisamment stupide pour se retourner contre sa meute et celui-ci amène les tiens à son ancienne tanière. J’ai raison ? Et pas de mensonge.

Elle ne dit rien. Elle tenait ses lèvres minces obstinément serrées l’une contre l’autre. Un autre loup lui aurait brisé la nuque par pure rage mais rien que son silence indiquait qu’elle en savait beaucoup plus et que Dom se trompait quelque part. Mais où ? Le loup renégat avait-il eu vraiment le choix ? Après tout, il y a pire que la mort et les chasseurs d’Hommes s’y entendaient pour faire craquer n’importe qui. Peut-être un chantage… Peut-être une drogue ? Mais s’il s’agissait d’une drogue, ça signifiait que les chasseurs d’Hommes avaient fait des percées significatives en ce sens vu que la majorité des drogues ne fonctionnaient ni sur les loups ni sur les vampires. Et pourquoi essayer de masquer la présence du renégat dans cette pièce ? Après le massacre de la Tanière de Londres, celui-ci devenait inutile et peut-être même dangereux, même s’il avait connu l’emplacement d’autres tanières. Non, la meilleure solution possible restait de le laisser à la merci d’autres loups, voire de l’utiliser comme appât avant de vendre sa fourrure un peu plus tard. En aucun cas de masquer sa présence et de faire en sorte que personne ne sache qu’il était là… Et pourquoi sa meute n’avait-il pas su qu’il était dans cet hôpital ?

-          J’ai donc tort… quelque part. Tu sais, je déteste ne pas comprendre dans quoi nous nous impliquons… Mais  sincèrement, au vu du délai qu’on nous a imposé, je vais faire l’impasse.

Il lui lâcha le cou et la retourna pour qu’ils se retrouvent face à face, les yeux dans les yeux. Dom avait toujours su qu’il était capable de faire ça : sa capacité à convaincre n’importe qui que la situation aberrante qu’ils avaient sous les yeux n’était en réalité qu’une scène banale d’une existence banale n’était que la version très atténuée de son pouvoir. Il savait qu’il n’était pas un soumis, loin de là. Alors il laissa son loup prendre de l’ampleur et plongea dans la psyché de la jeune fille, le plus violemment possible pour ne laisser que deux ordres : Tout lui raconter et tout oublier à propos du Monde de la Nuit. Il savait aussi que la jeune fille ne s'en tirerait pas sans dommages psychologiques mais après tout... On était dans un hôpital...

Au bout d'une demi-heure, il était ressorti de la clinique, un goût de cendres dans la bouche. Il sortit son téléphone.

-              Ash... C'est moi.

-              Je me doute... Il n'y a que toi pour m'appeler en journée, Petit Frère.

-              Écoute... On a un gros problème.

-              Ouais?

-              Notre cible... est un ancien loup-garou. Ou plutôt devrais-je dire, un chasseur d'Hommes, issu d'une des plus vieilles lignées de chasseur d'Hommes qui s'est fait transformer... par erreur.

-              Ça arrive. Attends... Comment ça, ancien loup-garou?

-              Laisses-moi finir. Contrairement à d'autres qui en sont morts, soit tués par leurs anciens camarades, soit par folie, ou d'autres qui ont fini par accepter l'inévitable, celui-ci a gardé un contact très étroit avec sa famille. Ils ont appelé ça l'expiation. Il s'infiltrait dans une meute de façon à tout connaître d'eux et la livrait en pâture aux chasseurs d'Hommes.

-              Une meute... entière...? Mais ça fait combien de loups, ça?

-              C'est très variable. Mais leur plus gros coup a été une meute d'une vingtaine de membres. C'était il y a une quarantaine d'années.

Le silence, à l'autre bout de la ligne, ne dura pas très longtemps. Dom entendit son frère pousser un sifflement appréciateur.

-              L'agent double idéal. Sincèrement, on aurait du y penser plutôt que de faire les tueurs à gages.

-              C'est... Sale, Ash.

-              Très. Pourquoi diable un Maître de Ville nous a demandé la tête de ce salopard? Et franchement, vu les conditions posées, c'est personnel.

-              Simple. Il y a peu de temps, la cible a croisé un vampire et, chose suffisamment rare pour être soulignée, ils se sont bien entendus. Malheureusement, pour une raison que personne n'a expliquée, le vampire l'a mordu et... a tué le loup à l'intérieur de l'humain.

-              Quoi?? C'est possible, ça?!

-              Il semblerait. Cela dit, je ne miserais pas un liard sur la fiabilité de cette technique. Mais le vampire doit être en danger... Tu connais la règle: En combat, la guerre ne se déclenche pas. Mais si l'un mange l'autre, il doit être sacrifié.

-              Et le vampire est lié à notre client... Son enfant ou son amant, je suppose. Donc, c'est une vengeance et là, pour le coup, c'est très personnel. Hum...

Le loup avisa une petite épicerie ouverte et s'arrêta pour acheter de quoi manger. Depuis son réveil, quelques heures auparavant, il n'avait pensé qu'à manger. Et Dieu savait qu'il mangeait beaucoup ces temps-ci... Mais ça laissait le temps à Ash pour réfléchir.

-              Question, petit frère. Le vampire est mort?

-              Aucune idée.

-              Dommage. Je suis sur que notre employeur aurait pu vendre cette information contre la vie de son bien. Bref... Tu sais où ils se dirigent?

-              Tanière de Londres.

-              Oh, merde.

-              Je ne sais pas combien de temps ils vont y rester. Le mieux est que je commence le repérage pendant la journée. Tu me rejoins à la nuit tombée.

-              Nom de dieu, ça fait plus de huit heures à attendre!

-              Arrête de jurer. On n’a pas le choix.

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