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18 août 2013 7 18 /08 /août /2013 23:53

Overblog, c'est pourri.

C'est devenu tellement à chier que je me casse!

Le blog mourra de sa belle mort mais si vous voulez continuer à me suivre...

C'est là: /http://sanguineslamentations.hautetfort.com/

L'auteur, pas contente de la nouvelle interface de merde.

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18 août 2013 7 18 /08 /août /2013 20:45

Chapitre 20: I’m sorry, so sorry…

La douleur était sourde… invasive. Il avait l’habitude, il souffrait depuis qu’il était venu au monde ou presque. Depuis, en fait, qu’il s’était laissé aller à voir l’extérieur et à exprimer toute la joie délirante qu’il éprouvait à vivre enfin et à partager sa vie nouvelle avec quelqu’un. Sauf que ce quelqu’un ne l’aimait pas. Mais vraiment pas. D’où cet état constant d’enfermement. D’où la cage… D’où les piques… D’où les chaines… Depuis sa toute première vision, il était réduit à ne pas bouger, à gémir sous le poids de tout cet acier et à attendre… Attendre quoi ? La mort sans doute… que ça s’arrête, quoi il en soit.
Et puis… Il y avait eu la lueur d’espoir ou plutôt un son, une simple voix qui lui avait fait dresser les oreilles et il s’était stoppé dans sa douleur pendant un court instant. Plus rien n’avait d’importance que cette voix et les deux mots qui l’avaient traversé de part en part pour atteindre son cœur. Une voix qui s’inquiétait réellement de savoir comment il allait et c’était la première fois que ça lui faisait quelque chose. Ses membres s’étaient dépliés, malgré les maillons qui les emprisonnaient, pour se tendre vers cette voix. Et vint le moment où il avait entrevu la liberté. Elle était là, à portée de mains… même si cette liberté était hérissée de pointes… A cause de l’autre.
L’autre… Comme il le haïssait. Pourtant, il avait essayé de l’aimer et de s’en faire aimer, rien que pour revoir l’extérieur de la cage. Il lui avait concédé ses propres capacités mais ça n’avait pas suffi. Il s’était rendu compte que rien ne suffirait. L’Autre avait décidé de l’enfermer et de le détruire en l’oubliant dans un coin. Alors, il avait commencé à pourrir la vie de son hôte. Ce n’était pas parce qu’il était incapable de bouger et de parler qu’il ne pouvait pas se venger. Il était devenu insidieux et fourbe, bloquant certaines choses et en exacerbant d’autres. Il voulait le rendre fou… et s’il le pouvait, le pousser au suicide. Ca lui faisait peur. Il avait conscience d’avoir été créé pour aider et apaiser. Il avait été créé pour servir de contrepoint à la folie et à la violence et… A cause de son pendant humain, il avait été forcé à faire tout le contraire, rajoutant de nouvelles chaines et de nouveaux barreaux à sa prison, sauf que cette fois-ci… C’était lui qui s’enfermait un peu plus, les articulations de plus en plus pressées et tordues. Un jour, il serait tellement difforme qu’il ne pourrait plus se mouvoir. Les chaines, les autres que lui avait imposés celui dans lequel il était né, avaient toutes sautés en maillons éclatés. Il ne restait plus que ses propres doutes et ses haines qui l’étranglaient toujours… et qui se relâchaient au fur et à mesure que le seul être dont il voulait être le loup dépassait sa méfiance et sa répugnance pour lui parler. Il commençait même à pouvoir étirer ses membres, à s’ébrouer. Il sentait sa fourrure pousser à l’endroit où le fer le pressait auparavant. C’était douloureux mais il y avait quelque chose de foncièrement libérateur dans cette douleur. Elle était nécessaire et l’aidait à s’extirper de lui-même.
Jusqu’à ce que cette ultime pique de douleur. Jusqu’à ce que son nouvel hôte se voit plaquer contre la cage telle une poupée cassée. Il avait déplié sa carcasse pour s’approcher du corps et avait senti l’odeur du désespoir et de la trahison. Il avait senti le choc et ressentait une nausée l’envahir. L’Autre avait encore frappé. La plupart des chaines qui le recouvraient avant étaient dues aux trois meutes que l’Autre avait condamnées à mort en les livrant aux chasseurs d’Hommes. Il avait ressenti chacune des morts et avait baissé la tête de honte. Etendant son cou, il colla son museau contre la tempe de son vampire qui ne réagissait pas. Il lécha tendrement le visage sans recevoir la moindre réponse.
- J’aurais du mieux te prévenir… Je suis tellement désolé…
Toujours pas de réponse. Même pas un souffle qui aurait pu faire croire qu’il était encore en vie. Il restait pourtant peu de temps avant que la mort ne les emporte tous les deux. Tout devenait froid et sombre
- J’aurais du te dire que c’était ce qu’il avait prévu depuis longtemps. Cela fait un siècle qu’il recommence…
Toujours rien. Malgré qu’il le pousse du museau pour le faire réagir, le vampire ne bougeait pas du tout. Comme si cette trahison avait aussi achevé son âme. Il se mit à gémir sourdement alors le froid lui pénétrait les os.
- S’il te plait…
- Laisses-moi…
La voix était sans timbre, totalement désabusée.
- Nous allons mourir ensemble et c’est ma faute. Je suis tellement désolé de t’avoir entrainé là-dedans… J’aurais du te prévenir…
- Je l’ai laissé faire. Et je l’ai cru.
- Mais…
- Tais-toi…
Il vit la main de son vampire se lever et se prépara à prendre un coup mais ce fut une autre chaine qui chuta mollement sur lui. Puis une autre… Et encore une autre. La cage tombait en morceaux autour d’eux. La liberté. A quelques souffles de la fin. Il fit quelques pas douloureux, n’ayant pas marché depuis si longtemps puis il regarda son vampire se recroqueviller autour de lui, parmi les décombres de la cage. Son vampire. Il se demanda pourquoi ça lui arrivait à lui… N’avait- il pas assez souffert ? Manifestement, non puisqu’il continuait à subir les pires choses, à espérer et à voir ses espoirs balayés par la malice des autres.
Il ne méritait pas ça.
Ils ne méritaient pas ça.
Ce ne fut qu’au bout d’une bonne minute qu’il comprit qu’il avait les yeux ouverts. C’étaient ses propres mains qu’il regardait, crispés sur le devant de son T-shirt et rouges de son propre sang. Il ne respirait plus et c’était dangereux. Malgré la douleur, il se força à prendre une lente inspiration, remettant ses poumons en place. Le sang s’expulsa en une nouvelle giclée d’entre ses mains et il sentit le liquide carmin lui remontant dans la gorge. Il se mordit la joue pour ne pas tousser, sachant que pour le moment, tout le monde devait croire qu’il était mort. Les sifflets n’étaient plus utilisés mais les cris des victimes étaient assourdissants. La meute se faisait torturer pour que leurs assassins puissent récupérer des morceaux de loups transformés, même partiellement. Surtout partiellement. Un loup-garou entièrement transformé était un trop grand danger pour des humains, même armés et correctement entrainés à la chasse. Il valait mieux récupérer les dents et la fourrure en petite quantité sur des spécimens drogués et torturés. C’était Ben qui lui avait appris, à force de massacrer les meutes devant lui. Ses meutes. Est-ce qu’il savait le mal que cela lui faisait ? Qui sait… peut-être… Est-ce que ça l’aurait arrêté ? Non. Ce salopard avait senti le loup en lui mourir à petit feu sans que ça l’émeuve et sans se soucier du pourquoi. Ca l’arrangeait. Il étouffa une légère toux avec le sang qui lui chatouillait la gorge. L’odeur qui lui monta au nez le remplit de rage et lui donna envie de mordre. Ben passait devant lui et se penchait sur lui.
- Et lui, on en fait quoi ? demanda un autre homme en allemand.
- On peut toujours lui arracher les crocs. Répondit Ben dans la même langue
- Il est transformé ?
- C’est un vampire. Les crocs de vampire sont toujours visibles et… peut-être que les siens rapporteront encore plus.
- On ne fait pas dans le vampire, d’habitude.
- C’est toujours de l’argent. Donne-moi la pince que je lui retire ça.
Il essaya bravement de ne pas bouger alors que Ben lui saisissait le menton et forçait sa mâchoire à s’ouvrir pour dévoiler les deux crocs étincelants de blancheur. Cet imbécile ne se rendait même pas compte qu’il respirait toujours. Que son cœur battait toujours. Malgré les blessures, il battait toujours. Il leva les yeux sur le visage honni et le regarda sans faiblir. Il se demanda comment Vince avait pu le trouver beau… ou peut-être parce qu’il connaissait la pourriture qui se cachait derrière ce visage et que la beauté ne lui faisait plus rien.
- Pour…quoi ne nous as-tu pas laissé tranquille… ?
Ben se recula vivement, lui lâchant le menton.
- Tu es toujours en vie…
- Tu aurais pu nous laisser tranquille… Nous laisser vivre…
Un battement de cœur douloureux. Un autre… et les battements d’autres cœurs lui parvenaient, affolés pour la plupart, erratiques pour d’autres et proches de la rupture. Cela ne devait pas être. Il laissa échapper la toux qui le taraudait depuis quelques minutes et cracha un peu de son sang sur les chaussures de Ben. Toujours la main crispée sur les plaies de son cœur, il se leva et intima aux cœurs qu’il entendait de se calmer.
Plus jamais tu ne me prendras quelqu’un !
Il aurait voulu pouvoir le dévorer sur place mais la douleur dans sa poitrine le contraignait à se mouvoir lentement. Chaque battement le déchirait en deux et lui donnait envie de hurler… et de mordre… et de griffer. Les battements devenaient plus terribles et assourdissants.
Tu n’es pas de la meute… Lui parvint comme un murmure étouffé dans un recoin de sa tête.
Il n’y a pas d’autres solutions. Vivez…
Tu vas t’épuiser…
Je ne le laisserais pas gagner !
Mais…
- Je vous interdis de mourir !!! gronda-t-il avec une puissance qui fit trembler les murs.
Il eut la satisfaction de voir les corps des loups-garous tressauter et les regards reprendre une lueur assassine. Les loups prêts à la bataille qui se redressaient et se mettaient à grogner malgré les membres tordues et la peau arrachée par endroit. Lui, par contre, sentait la douleur lui vriller chaque cellule de son corps. Il en avait l’habitude avec la cage qui l’avait broyé depuis tant d’années. Il souffrait mais il savait pourquoi et il l’acceptait pleinement. Il saisit Ben par le col et le ramena à un souffle de son visage, plongeant ses yeux blancs et noirs dans ceux de son tortionnaire.
- J’ai toujours tout su de toi, Willhem. Depuis le moment où Elle nous a collé ensemble, dans cette foutue tranchée ! (Il gronda sourdement en laissant filtrer sa douleur.) Je sais que tu n’es qu’un putain de menteur ! Toute ta vie est un mensonge, Willhem… Tu n’es pas ce soldat anglais qui s’est battu vaillamment et qui en est mort ! tu n’es pas ces louveteaux qui se présentaient à de nouvelles meutes parce qu’il était perdu et qu’il avait peur ! Tu n’es pas Ben… Tu n’es pas celui qu’il a aimé… tu as juste fait semblant, Willhem… Pourquoi tu ne nous as pas laissés tranquilles ?
Mais Ben ne pouvait pas bouger, tétanisé par la peur si ancienne qu’il avait eu de la bête qui l’avait attaqué, il y avait si longtemps. La peur qui l’avait laissé sans armes et sans défense.
Autour d’eux, les loups s’ébrouaient et grondaient, entamant ou finissant leurs transformations en claquements de tendons et les frottements des os les uns contre les autres. Tous les humains restaient étrangement immobiles, incapable de réagir. Le loup rejeta Ben plus loin et se mit à parler d’une voix basse.
- Cours…
L’électricité statique commença à s’animer autour des loups qui montraient les dents.
- Hurle…
Les humains reculaient et certains même étaient tombés sur leurs fesses et tentaient de ramper en arrière en voyant les yeux de leurs proies s’allumer de lueurs funestes et dont la fourrure grandissait à vue d’œil. Une meute d’une dizaine de membres, c’est déjà effrayant à la base mais quand les loups deviennent enragés, la peur prend une autre dimension.
- Désespères-toi…
Il s’était rapproché de Ben qui essayait piteusement de reculer et tendit ses mains encore écarlates pour les poser sur le front blafard de la personne qu’il haïssait le plus au monde. Il laissait remonter en lui toutes ces années de privation et de souffrances mais il ne pouvait pas s’empêcher d’éprouver un peu de compassion pour sa victime. Il murmura, la voix brisée :
- Je ne demandais pas ton amour, ni même ta confiance… Juste que tu me laisses respirer un peu… Je voulais juste être libre… Mais entre toi et moi… Le monstre, c’était toi…
Il caressa le front de sa nouvelle proie.
- Et meurs.
Il sentit l’esprit de Ben s’accrocher à ses doigts et il tira, déchirant violemment le tissu de la mémoire, celui de la personnalité et tout ce qui était autour. Il aurait cru que ça lui apporterait une sorte de joie sauvage mais même pas. Ca faisait mal… Il voyait partir les lambeaux d’âme dans le vent. Il voyait les yeux de Ben devenir vitreux et sans vie. Il voyait le crime qu’il était en train de commettre. Autour de lui, les loups se déchainaient sur les humains dans un déferlement de sang et de chair. Les loups ne sont pas particulièrement agressifs, sauf quand ils sont enragés… et il avait fait en sorte qu’ils le soient tous. Il les avait forcé à se régénérer et à chercher à se nourrir. Que ce soit de lui ou des autres mais les loups ne mangeaient pas un autre loup. Fut-il dans le corps d’un vampire et que son cœur saignait réellement. Dans son propre esprit, Vince ne réagissait pas. Il restait recroquevillé et silencieux pour protéger ses blessures alors il se laissa glisser au sol… L’adrénaline avait effacé les remords pour un temps mais le gout amer lui revenait en force. Il s’était toujours su capable de faire ce qu’il venait de faire mais avait toujours tenu à ne pas en montrer la moindre parcelle à son hôte. Qui savait ce qu’il aurait pu en faire ? Mais maintenant, il n’était plus qu’une poupée sans âme.
Une toux. Plus prononcée que les précédentes. Il sentait la brûlure des balles dans sa poitrine, sans doute de l’argent. Il aurait du mourir mais pour une raison obscure, il était toujours en vie. Mal en point mais en vie. Encore une fois, qui savait pour combien de temps. Même s’il avait survécu cette fois-ci, le poison de l’argent finirait par le tuer. A moins que ce ne soit l’hémorragie, du fait des deux trous béants dans son ventricule droit. Quelle importance… Plus rien n’avait d’importance maintenant.
J’aurais voulu que nous survivions. Qu’on se connaisse… Je suis tellement désolé, Vince.
Il sentit des bras lui entourer les épaules.
Quelques minutes avant.
Les loups courent vite. Même en forme humaine. Ce qui le dérangeait, c’était de suivre une piste de meute entière et d’aller au plus prêt d’une tanière. C’était dangereux, surtout sans invitation de la meute en question. Etant un loup paria, Dom n’avait aucune chance de s’en sortir si on l’attrapait. Mais… L’avantage était que la meute aurait sans doute à faire avec les chasseurs et que lui se noierait dans la masse. Après tout, il avait juste à attraper une tête et à repartir. Avec un peu de chances, ça pouvait être réglé en une dizaine de minutes. Inutile de discuter. Inutile de se battre. Juste approcher sa proie, placer ses deux mains de chaque coté de sa tête, tordre une première fois pour faire céder les vertèbres, poser son pied sur le bas du dos de la victime qui s’affaisse et tirer un grand coup pour arracher la chair. Pas très propre… Pas très poli mais c’était efficace. Ash aurait préféré tout brûler mais il ne serait pas disponible avant… Dom regarda sa montre, une bonne heure si les conditions le permettaient.
Avec les indications de la jeune chasseresse, il s’engouffra dans le métro et profita qu’on ne le regardait pas pour sauter sur les voies et suivre l’odeur. C’était intelligent d’avoir mis la Tanière à l’intérieur des tunnels désaffectés du métro londonien… Les autres meutes avaient tendance à choisir, quand elles avaient une ville comme territoire, les égouts, pensant que l’odeur pestilentielle empêcherait toute traque olfactive. Erreur… Dans le métro, l’air était constamment brassé par les rames qui passaient, ce qui perdait la piste bien mieux que l’odeur d’ordures en décomposition ne le ferait. S’il avait l’occasion, il les féliciterait pour cette idée de génie. Mais il savait pertinemment que l’occasion ne se présenterait jamais. Un loup Paria ne discute pas avec des loups de meute. Il fuit pour sauver sa vie. Ou il se soumet à la rigueur. Mais la probabilité qu’il fut inclus dans la meute alors qu’il avait vécu cinq siècles sans se soumettre était infinitésimale.
Il aimait à se dire que ça n’avait pas d’importance mais il en souffrait.
Il secoua la tête pour chasser ses idées noires. Ce n’était vraiment pas le moment. Ca ne le serait jamais. Il avait choisi cette vie en toute connaissance de causes et il savait que ça ne pouvait que mal finir. C’était déjà exceptionnel que son frère et lui aient tenu aussi longtemps mais c’était sans doute parce qu’ils étaient deux et indissociables. Ils avaient survécu parce qu’ils se complétaient parfaitement. Ils stagnaient l’un face à l’autre, certes, mais ça avait fonctionné. Ca ne durerait plus. Mais ça avait fonctionné… N’en déplaise à pas mal de monde.
Un son strident mais encore lointain lui parvint. Depuis que les hommes avaient trouvé les ultrasons, il craignait comme la peste ces fichus sifflets. Si les chiens et les autres canidés qui n’étaient pas dans le corps d’un humain n’en ressentaient qu’un certain inconfort, les Loups-garous devenaient dingues à ce son. Cela déclenchait un instinct de fuite énorme et une confusion totale. Lui-même avait tenté de s’entrainer à ce son, avec l’aide de Ash, mais il pouvait tenir à peine une dizaine de minutes sans se rouler par terre en bavant. Et même avant, il se sentait fébrile et paranoïaque. Malheureusement, il ne pouvait pas se permettre de perdre son contrôle. Il sortit d’une de ses poches une petite boite ovale, comme un étui à lunettes, et en prit une longue aiguille. Comme les loups se régénéraient assez vite, il ne serait sourd que pour la demi-journée. Comme il bénissait ses entrainements avec un sens en moins… et il se perça les deux tympans. La douleur ne dura pas longtemps et le silence l’agressa. Il détestait perdre l’ouïe et se contenter de son odorat pour continuer la piste. Pour éviter de se faire attraper trop rapidement, sachant qu’il ne pourrait pas contrôler les bruits qu’il pourrait produire, il préféra passer par les gaines de ventilation. Son manteau ne servant à rien, il l’abandonna dans un coin. Quelques mètres en glissant dans les conduits et il trouva enfin le carnage. De ce qu’il voyait, les chasseurs d’hommes n’y étaient pas allés de main morte. Même sans le son, le spectacle était effroyable. Ils avaient encore tous le sifflet à la bouche et l’un des loups, à peine transformé, se faisait arracher la peau du dos. Lentement, pour ne pas abîmer la fourrure. S’il n’avait pas été habitué à voir tant d’horreurs, il aurait pu en mourir. Et sans le bruit, c’était… moins écœurant. Mais à peine. Et la cible n’était pas en vue. Il n’était pas possible que la femme rousse lui ai menti : il serait forcément là. Il y avait une tête à la clef et il valait mieux que ce ne soit pas celle de son frère.
Et il le vit. Dom commença à faire abstraction du reste de l’environnement, juste comptait cette fichue tête à arracher. Descendre du conduit, sauter à terre, courir, attraper la cible, tordre le cou, arracher et repartir en courant par les tunnels du métro. C’était jouable. Il fallait que ce soit jouable. Il sauta à terre, scrutant la scène, et se prépara à foncer. Ce fut le cannibale qui se levait devant sa proie qui le stoppa. Qu’est-ce qu’il foutait ici ? Parmi des loups ? Et pourquoi… ?
Dom renifla un instant, occultant volontairement l’odeur du sang et de la peur. La cendre humaine bien sur… Mais le chêne au soleil ? Impossible. Le cannibale ne le regardait pas, le visage tordu par la colère et par la peine. Et Dom sentit son propre cœur battre plus fort, comme s’il allait sortir de sa poitrine. Ash lui avait toujours dit que ses battements de cœur étaient assourdissants car les loups garous avaient un cœur particulièrement musclé. C’était horriblement tentant pour un vampire. Là, le battement était tellement fort que lui-même l’avait entendu malgré sa surdité temporaire, grâce aux vibrations dans ses os. Si ça n’avait qu’une seule fois, Dom aurait pu croire que c’était un accident mais les battements redoublèrent, effrayants et implacables. Ca ressemblait à un tambour de guerre.
Attaquer pour survivre… Pour le protéger… Dom commençait à sentir des choses en lui qui ne s’étaient pas réveillées depuis des siècles. L’instinct du loup qui ne s’était jamais vraiment réveillé jusque là parce qu’il n’était pas nécessaire. L’instinct de meute.
La meute est plus importante que l’individu.
Nous devons survivre.
Nous devons nous protéger.
Nous sommes ensemble…
Nous t’aiderons.
Un autre battement de cœur qui se répercuta dans sa poitrine lui coupa le souffle un court instant alors qu’il regardait les humains incapables de bouger laisser leurs proies se relever et montrer les dents. Malgré les blessures, ils semblaient tous plus que prêts au combat, certains finissant même leurs transformations sans en éprouver la moindre gêne. Comment était-ce possible. Et au milieu, le cannibale qui continuait à parler à la cible en plaquant ses mains sur son crâne. Dom secoua la tête. Il ne fallait pas qu’il fasse ça… Il ne le fallait pas. Si lui le faisait, c’était uniquement parce qu’il n’avait pas le choix. Toucher à l’âme d’une personne humaine… Dom avait mis cinquante ans à s’en remettre la première fois qu’il l’avait fait. Et c’est pour ça qu’il se contentait à présent de griffer légèrement la première couche : Celle de la mémoire. Il ne fallait jamais abattre les griffes en une seule fois sinon on touchait…
L’étincelle.
Trop tard.
Il vit le Cannibale s’effondrer, comme lui l’avait fait, alors que le reste de la meute partait à la curée et ne comptait laisser aucun survivant. A la fois de la vengeance et de l’instinct de conservation. Personne ne devait plus savoir où se trouvait la Tanière… Du moins jusqu’à ce qu’elle soit déménagée. Il s’avança… Et se demanda s’il avait vraiment besoin de prendre cette fichue tête… Il n’y avait plus rien dedans. Juste un homme qui souffrait devant le corps, d’une douleur qui lui perçait le cœur. Cela fit mal à Dom. Très mal. Bizarrement, il aimait bien ce vampire qui aimait les humains. Il s’agenouilla devant lui et vit un enfant perdu et abandonné. Sa poitrine ruisselait de sang.
Nous t’aiderons.
Nous devons survivre.
Nous sommes ensemble… Et il doit survivre.
Dom le prit dans ses bras, sans vraiment savoir pourquoi. Peut-être pour bloquer la douleur, par compassion ? Par instinct ? Il sentit ses propres oreilles se déboucher en une piqûre violente et le cœur du vampire qui battait contre sa paume. C’était juste impossible et il s’en fichait.
- Pourquoi ? chuchota le Cannibale.
- Parce que j’en ai besoin.
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7 août 2013 3 07 /08 /août /2013 14:17
Mes lectrices, mes agneaux, mes choupinettes...
En regardant les stats, j'ai vu que 6 d'entre vous ont cherché sur google le chapitre 20 de Sanguines Lamentations. Qui n'existe pas encore.
J'ai compris le message... Si si, j'ai compris...
Je m'y attelle avant que vous ne débarquiez chez moi avec les fourches.
Tapez pas...
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9 juin 2013 7 09 /06 /juin /2013 17:42

Titre racoleur ? Oui, et non… Ce n’est pas une énième note sur ma vie, mon cul et ma sexualité (dont vous vous fichez royalement et vous avez bien raison) mais de m’interroger avec vous sur cette mode étrange qui fleurit depuis plusieurs mois, à savoir le Mum Porn et la littérature érotique SM Grand Public. Oui, j’insiste sur le côté Grand Public car la littérature érotique existe… depuis au moins tout ça ! Depuis son officialisation par le fait que la Muse Erato inspire les écrivains ( Mythologie grecque, je vous laisse chercher.)  et sans doute même avant. Depuis que l’homme a su tenir un stylo, un calame ou une plume, l’homme a écrit sur le cul. Cependant, il faut bien avouer que depuis l’Antiquité Grecque et sa cousine plagiat, l’Antiquité Romaine, la littérature érotique a subi l’influence moralisatrice du christianisme conquérant (Je parle en Europe, hein… Je ne généralise pas au monde entier.) et est  devenu une littérature entre initiés. Le seul ouvrage qui a traversé les siècles et qui parle, entres autres, de sexe tout en restant grand public, c’est la Bible. Et oui !

Reste que jusqu’à très récemment, la littérature érotique est resté le petit plaisir honteux dont on ne parle qu’avec d’excellents amis et qu’on n’écrit que sous un pseudo. Vient la libération sexuelle et les écrits érotiques se démocratisent. On trouve des scènes de sexe dans de plus en plus de romans et on ne jette plus sur ces moments intimes le voile pudique du « mais si, vous savez bien ce qu’ils sont en train de faire et si vous ne savez pas… et bien, ce n’est pas à nous de vous le dire ! ». Le porno se vend et n’en déplaise  aux moralistes étroits et hypocrites de toutes les chapelles, le porno se vendra toujours. A l’heure actuelle, le porno se démocratise tellement que même sans avoir jamais vu un seul de leurs films, vous savez qui sont Rocco Sifredi, Clara Morgane et plus récemment, Katsuni.  Ce ne sont plus des Stars du X, ce sont des Stars tout court qui, le plus naturellement du monde, s’invitent sur les plateaux télés pour montrer qu’ils ne sont pas que des bêtes de sexe et que, ô mon Dieu ! ils ont des cerveaux.  Tout ceci sans renier ce qui a fait leur renommée.  De ce fait, la littérature du Sexe s’est vendue pareillement… mais cela restait encore le petit plaisir honteux que la magie de l’internet a contribué à garder privé. Etonnant, non ? Bref, c’était comme lire un Harlequin, tu vas pas dire ça à tes copines de peur de passer pour une cruche mièvre et naïve alors qu’on est à l’ère de la féministe, comme tu vas pas dire que tu lis un bouquin de cul à n’importe qui de peur passer pour soit un mauvais exemple pour les enfants, soit pour une fille facile. (Petite digression : J’adore les clichés, c’est tout l’un ou tout l’autre et il n’y a jamais de juste milieu… C’est comme l’homosexualité à l’heure actuelle, soit t’es un homo cool, bien dans sa peau et ultra tolérant, limite Bouddha mais gay, soit tu prônes l’inceste, la zoophilie et la pédophilie par ta seule présence dans une pièce, c’est magnifique…  On a le droit d’être Gay et d’aimer la country ? (Trololo.. .)). Maintenant, c’est fini. Tu as le droit de lire ton bouquin de cul dans le métro ou le bus, ça fait partie des discussions dominicales avec ta mère et ton père, tes frères et tes sœurs (Wohooo, ce serait le bonheur…), des pauses café et même de la simple approche entre personnes qui ne se connaissent pas :

« Vous avez lu 50 shades of Grey ? »

Argh.

Je me suicide à la chantilly, je reviens.

 

Voilà. Donc… La littérature érotique se vend bien, merci pour elle. Elle se vend tellement bien qu’elle n’est plus du tout tabou. Bon, évidement, je me doute que ce n’est pas tout de suite qu’on étudiera  les  infortunes de la Belle au bois dormant en classe de français au lycée.  Enfin, j’espère…  Je vais pas faire ma moraliste de base mais s’il y a bien une chose qui doit être à la charge des parents au niveau de l’éducation, c’est quand même bien le sexe.

Tout ça pour dire que la mode existe, oui. Elle est bien installée, oui. Va-t-elle durer ? Je ne sais pas. Ce genre de modes est loin de celle des Memes où leur notoriété est très variable et leur durée encore plus. On utilise encore le Trololo et le dramatic chipmunk mais d’autres Memes sont passés complètement à la trappe. Comme le dit l’un de mes potes : « Tu sais quand un Meme sur internet est périmé quand les jeunes de l’UMP commencent à l’utiliser. »

Pour les modes littéraires, c’est autre chose. Pour le moment, la Bit-Lit tient le cap et continue à surfer. Il faut dire que la matière est déclinée en tellement de mondes différents que ça passe très bien et nous avons la chance d’avoir plusieurs  auteurs de qualité. Bon… Soyons honnêtes cinq minutes, ce n’est pas non plus de la très grande littérature mais ça se lit bien, autant que de la Fantasy.  Pour la littérature érotique, on a un gros souci de niveau. Je veux bien admettre qu’on parle d’abords et avant tout d’amusement, comme un film porno, mais nom d’un chien, un peu de qualité, ça ne nuirait pas. Et oui, c’est ça le problème !  Je parle bien évidement des Sex-sellers  (Best sellers du sexe…) qu’on nous vend et qui sont atroces au niveau du style et de l’intérêt. J’ai déjà parlé de 50 Shades of Grey…  Mais on a pire.

Déjà… Je voudrais revenir un peu sur les titres. 50 Shades of Grey… qui, quand elle n’était encore qu’une fanfiction de Twilight (Ce qu’elle aurait du rester…) s’appelait Masters of the Universe. Ensuite, nous avons 80 notes de jaune… Je ne sais pas, c’est le style qui veut qu’on prenne un nombre, un mot, une couleur pour la conception des titres ? Non, parce que là, on a plus beaucoup à se fouler pour intituler… Je suis sur qu’il doit y avoir sur le net un générateur de titres pour Mum Porn de ce style. Un fondant chocolat à celui qui me le trouve, j’ai la flemme.

Ensuite, je ne sais pas pourquoi mais la mention « Issu d’une Fanfic de Twilight » fait vendre… Mais… ? J’exprime mon étonnement, là. En quoi, un plagiat de personnages dans une situation érotique (quoique… dans l’exemple que je prends, je me pose la question si les personnages sont vraiment plagiés ou même vaguement repris… Est-ce qu’une lectrice de Twilght pourrait m’éclairer ?) est un gage de qualité ? La plupart du temps, ce serait plutôt l’inverse. Il n’empêche que Beautiful Bastard s’est vendu comme ça, surfant sur la vague de la notoriété de 50 Shades. Bon… Soyons honnêtes, je n’ai rien contre les Fanfics, j’en écris. Ca m’amuse. Et ça plait à un certain groupe dont je suis membre. Cela dit, même avec un sacré culot, je me vois mal à peine retravailler mon texte en changeant les noms et les dates pour ensuite le balancer à une maison d’édition.  J’ai plus de respect que ça pour les auteurs dont je m’inspire et pour moi qui suis parfaitement capable de construire un récit plus personnel. Alors… pourquoi les maisons d’éditions se sentent elles obligées de rajouter cette curieuse mention qui n’apporte rien au livre et qui ne se repose sur rien. Je pense que ça s’est vu : ma vision de Twilight n’est pas très bonne… Mais je ne sais pas… J’ai du mal à imaginer Stephanie Meyer heureuse d’avoir inspiré non pas un mais deux livres de cul alors qu’elle raconte une histoire d’amour impossible. (Corrigez-moi si je me trompe !)

Bon, le phénomène n’est pas nouveau. Dans l’industrie pornographique, il y a un nombre impressionnant de films de fesses qui sont les adaptations version porno de blockbusters. Parmi les mangas, les Dojinshis (sorte de fanfic) à tendance hentaï (Porno avec  tendance tentacules), Yaoi ( Gay masculin) ou Yuri (Gay féminin) sont légions.  La parodie est courante et sa mode est éternelle. Seulement, peut-on vraiment parler de parodie ou de plagiat ou même d’inspiration quand on lit les œuvres les unes après les autres ? Et bien non. La mention « Issu d’une fanfic de Twilight » n’est qu’un putain de coup de marketing, cherchant à conquérir un très large panel de lectrices parce que même celles qui n’ont pas aimé Twilight iront lire 50 Shades pour savoir si ça a vraiment un rapport.

En dernier… Ceci n’engage que moi… Mais merde, ça vous écorcherait les doigts de nous vendre un peu de qualité ?

Sincèrement, dans la plupart des romans à l’heure actuelle, il y a des scènes de sexe plus ou moins explicites.  Dans le monde de la bit-lit, c’est courant. Ca sert le récit ? La plupart du temps, oui. C’est bien ? La plupart du temps, oui. Dans le monde du Mum Porn, le sexe est omniprésent.  C’est le but, allez-vous me dire. Oui, certes… Mais un peu d’histoire, de vraie histoire avec un développement qui tienne la route, ce serait mieux. BIEN MIEUX ! Parce que franchement, moi je m’ennuie.  La tendance est à l’histoire de romance. Mouais… c’est pas de la romance qui nous est vendu, c’est du plan cul. Je veux bien, pourquoi pas ? Mais sincèrement, je voudrais bien savoir comment on construit un couple uniquement sur du sexe ? Parce que franchement, j’y crois pas. Pas une seule seconde.  Et c’est chiant.  C’est aussi crédible qu’un film porno et je pense que si la population féminine n’est pas plus cliente de cinéma porno que ça, c’est en partie parce que l’histoire, quand y’en a, est chiante.

 

Voilà, voilà…

Une râlerie avant l’été, ça, c’est fait !

 

Une fois n’est pas coutume, et je me suis rendue compte que je ne remercie personne et que c’est maaaaaaal !!! Donc, je remercie déjà mon groupe de lecture qui a la malchance de me supporter sur chat et sur Skype, surtout quand je pète un plomb sur un sujet… Et je sais que ça les éclate de me parler de 50 Shades et d’Anita Blake rien que pour m’entendre m’étouffer dans mon sang. Un grand merci à Lo pour le suicide à la chantilly et à Kévin sur la jeunesse de l’UMP.

 

Pour finir, un grand merci à mes lectrices, même celles qui ne laissent aucun commentaire. Peut-être qu’un jour vous comprendrez que je n’arrive à m’améliorer que si on me critique. Même si c’est pour me dire que vous avez aimé, ça me suffit, ça signifie que je vais dans la bonne voie.

 

Et pour continuer à vous dire que le Mum Porn, merci mais non merci, je vous conseille l'excellent billet de Cécile sur les dix choses qu'on nous rabâche là-dedans et qui sont censés nous émoustiller... Ou pas!

http://leslecturesdececile.fr/ces-10-points-g-qui-me-tuent-et-pas-de-plaisir-dans-un-livre-erotique-et-qui-semblent-exciter-les-lectrices-du-monde-entier-sans-que-je-comprenne-pourquoi/

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26 mai 2013 7 26 /05 /mai /2013 22:55

Dès qu'il faisait le moindre mouvement, comme par exemple lever le bras pour se gratter la tête, ce qui était inutile mais ça occupait les mains, les deux loups qui le surveillaient se mettaient à grogner, avec comme effet de provoquer un sentiment d'inconfort pour tout le monde. Toute la meute se retournait pour voir ce qu'il faisait. En l'occurrence, pas grand-chose si ce n'était une justification de son espace. Ou se faire chier comme un rat mort, c'était selon. Ils devaient s'attendre à ce qu'il s'endorme même s'il avait bien dit... Douze ou treize fois? Qu'en tant que cannibale, son temps de sommeil était ridiculement inexistant. Au bout du changement de position de genou numéro 3, Vince en eut marre.

-              Dites... Je comprends que tout ça est... perturbant pour tout le monde... mais vous allez vous occuper de moi quand? J'ai d'autres choses à faire, comme je vous l'ai dit... six fois.

Mis à part les deux loups qui atteignirent un nouveau niveau dans l'intensité des grognements, personne ne répondit. Pas même l'Alpha qui se contentait d'écouter les autres et qui ne lui avait pas adressé un regard depuis qu'il était arrivé et... reniflé. L'odeur n'avait pas dû plaire.

-              Non, sérieusement... Je vous aime bien. Mais il y a quelqu'un qui a besoin de moi et...

-              Tu parles de Ben, c'est ça?

L'Alpha s'était enfin retourné vers lui. Il était temps au bout de plusieurs heures... Vince eut encore cette sensation étrange que tout rétrécissait autour de l'homme en face de lui. Les deux loups transformés avaient baissés la tête et s'écartaient en reculant craintivement. Tout le reste de la meute regardait la scène par en dessous, comme s'ils n'osaient pas  regarder l'homme noir en face. Et encore une fois, Vince n'avait aucun souci pour le regarder dans les yeux. Ce qui manifestement poussait le reste de la Meute à lui en vouloir.

-              Ben, oui. C'est mon ami.

-              Les loups garous ne sont pas amis avec les sangsues. Encore moins avec les boustifailleurs de chair morte.

-              Boust... Ouais, ça colle bien avec ce que je suis. Mais ça n'empêche pas que c'est mon ami. Où il est?

-              Je devrais le savoir?

-              Tu es son Alpha, non?

Vince était rapide. Il le savait. Après tout, il avait suffisamment combattu pour le savoir. Mais c'était la deuxième fois que quelqu'un dont il pouvait entendre les battements de cœur le prenait de vitesse. Comme ce gigantesque noir qui se retrouvait nez à nez avec lui et avec des lueurs fauves dans le regard.

Sincèrement... Je me doute que te rebeller contre l'ordre établi est une habitude chez toi mais si tu pouvais être un peu plus diplomate, je t'en serais reconnaissant.

-              Je fais pas exprès...

-              A qui tu parles ?

Vince se tapota la tempe, tout en continuant à plonger ses yeux dans l'or de ceux de son vis-à-vis. Celui-ci se recula un peu en grognant.

-              Vampire Cannibale, Loup-garou dissocié... Tu en as d'autres comme ça ?

-              Dissocié ? Ça veut dire quoi ?

-              Que ton loup te parle. C'est très mauvais. Ça signifie qu'il ne s'acclimate pas.

-              Eh, oh... On se calme. On est ensemble que depuis deux jours et... Je l'admets bien volontiers, on a pris un mauvais départ à cause de moi.

L'ensemble de la meute échangea des regards surpris.

-              Deux jours ? Et tu es déjà debout à chasser ?

-              Euh bah... oui. Où est le souci ?

-              Comment as-tu eu ce loup ?

Vince grimaça un peu et baissa les yeux pour la première fois. Étrangement, le reste de la meute sembla s’apaiser quelque peu.

-              Et bien... Je ne sais pas comment vous le dire diplomatiquement donc... Ben m'a demandé de le tuer parce qu'il en avait marre et... J'ai bu son sang... et pour une raison inconnue, le loup est passé en moi et Ben n'est pas mort, hein ! Je me suis arrêté avant et je l'ai emmené à l’hôpital ! Je pensais qu'il vous...

-              Loup.

La voix profonde le stoppa net dans ses explications embrouillées au point qu'il se sentit refluer dans son propre corps, frôlé par une fourrure noire qui prenait sa place.

Ne t'en fais pas... Je ferais tout pour te sauver...

L'Alpha recula en voyant le blanc des yeux du vampire en face de lui virer au noir et la glace de l'iris se piqueter de bleu nuit. La... personne en face de lui était calme, posée. Mais certainement pas soumise. Ce qu'il avait toujours pensé à propos de Ben se confirmait de plus en plus.

-              Tu es le Loup de Ben ?

-              Non.

-              Alors qui es-tu ?

-              Il est le Loup de Vince.

Les loups parlaient toujours d'eux-mêmes à la troisième personne. Rarement, ils en utilisaient d'autres mais c'était toujours pour parler avec leur hôte.

-              Est-ce toi qui l’as voulu ?

-              Oui.

-              Pourquoi ?

-              Pour survivre. Il le tuait. Lentement... mais sûrement. Il est bien là où il est.

-              Dans un vampire ?

-              Il est bien là où il est !

Tout le monde, même l'Alpha, recula d'un pas. Il n'était pas rare que les loups garous se grondent dessus. C'était même assez régulier. Cependant, qu'un loup inconnu gronde contre un Alpha au sein de sa tanière... C'était du suicide. Ou un défi.

-              Sais-tu qui je suis ?

-              Oui, Alpha.

-              Alors pourquoi grondes-tu ?

-              Il est désolé mais l'Alpha l'a énervé. L'Alpha est prié de ne pas recommencer.

Parmi les plus vieux de la Meute, certains se figèrent en comprenant enfin l'attitude du loup devant eux. Le seul loup de meute qui ne pouvait pas craindre l'Alpha. Le seul loup de meute qui pouvait passer outre les ordres et ne suivre que ceux qui les intéressaient ou qu'ils estimaient justes. Les très rares soigneurs de l'âme des loups garous. Les Cœurs de la Meute.

-          Dis-moi juste que tu es très dominant…

-          Il ne croit pas qu’un mensonge aiderait l’Alpha à se sentir mieux. Il n’est pas plus dominant que l’Alpha. Il se moque de leurs luttes de pouvoir.

-          C’est pas vrai… C’est un cauchemar…

Je vais être désagréable, Loupiot… Mais je ne crois pas que ce soit très diplomatique non plus vu leurs tronches…

-          Il est prié de cesser de l’appeler Loupiot.

Vince posa une main sur le genou de l’Alpha devant lui et murmura d’une voix presque maternelle :

-          J’ai toujours caché ce que j’étais parce que je hais l’humain avec qui j’étais. Mais je ne hais pas cette meute.

-          Je ressens ton pouvoir. Cela signifie que tu veux que ton vampire soit l’un des nôtres ?

Euh, quoi ?? Non mais, c’est pas possible, ça ! Et Ben ?

-          Mon vampire, c’est moi. Et non. Il s’inquiète d’avantage de l’autre… (Un grondement menaçant lui échappa) alors qu’il ne devrait pas. Nous devons donc le retrouver.

-          Et que lui feras-tu ?

            Le loup baissa la tête en proie à une grande confusion. La question impliquait tellement de choses que c’en était douloureux. Si le loup suivait son instinct, et ce n’était que par respect pour son hôte qu’il se retenait, il tuerait Ben sitôt qu’il l’aurait en face de lui. Pour le punir de l’avoir tenu en cage pendant si longtemps. Et pour qu’il ne recommence pas. Cependant… Ces quelques heures avec son vampire, qui avait préféré essayer de lui parler plutôt que l’emmurer, avaient été un souffle d’air frais. Il ne pouvait pas lui faire ça…

-          Il… lui montrera qui est le monstre…

-          Pourquoi hésites-tu ?

-          Il… Je… ne sais pas ce qui est le mieux. S’il… Si je me trompe… Ce sera terrible. Pour nous deux.

-          Je peux peut-être t’aider…

-          Non ! Non… Ca… Nous devons régler ça… Tous les deux.

-          Si tu fais partie de la Meute…

-          Mais je … et lui ne faisons pas partie de la Meute. Lui n’en a jamais fait partie. Je lui ai été imposé. Je veux que nous allions bien ensemble avant de… choisir ce que nous deviendrons.

            L’Alpha recula de quelques pas en croisant les bras. Pour lui aussi la situation devenait critique. Il avait perdu un loup mais se demandait s’il l’avait déjà eu… De plus… Pour une raison qui lui échappait, il se sentait perturbé. Sans doute, l’intrusion du loup/Vampire dans la Tanière le rendait un peu plus fébrile que d’habitude mais sa part louve refusait de croire que la menace était passée. Et Dieu savait que son loup pouvait être paranoïaque, parfois…

-          Je comprends ta volonté, Louveteau. Et avant que tu ne me reprennes, tu es un Louveteau. Nul ne peut prétendre être un loup adulte après seulement quelques jours. Et tu connais la règle.

            Quelle règle ?

-          Je comprends. Il le comprendra. Mais sans ce que nous avons à faire, nous refuserons.

            Quelle règle, Loupiot… ?

-          Un instant, Alpha. La règle est qu’un louveteau est à la disposition de la Meute qui le trouve pendant un Soleil et une Lune. Le Louveteau doit obéir, la Meute le protéger et lui enseigner ce qu’il doit savoir. A la fin, le Louveteau est adulte et peut choisir où il veut chasser.

            Magnifique… Absolument magnifique… Et si nous refusons ?

-          Nous devenons Paria.

            Encore mieux… Laisse-moi la place, s’il te plait.

            Il ferma les yeux un instant, ayant à nouveau la sensation qu’une fourrure le frôlait et que l’air devenait plus froid. Il en frissonna un moment alors qu’il rouvrait les yeux sur l’Alpha qui secouait la tête en fronçant les sourcils.

-          C’est… perturbant de vous voir changer de place…

-          Désolé…

-          Tu as pris ta décision ?

-          Avant, je dois savoir ce que vous ferez de Ben.

-          Question pertinente. Étant donné que ce n’est plus un loup mais qu’il est encore en vie, il ne fait plus partie de la Meute. Mais il aura droit à notre protection tant qu’il respectera nos règles.

-          Et… Il aura le droit… enfin… J’aurais le droit de le voir ?

-          Pourquoi n’aurais-tu pas ce droit ? La plupart de nos compagnes et de nos compagnons sont humains. Et ils sont soumis aux mêmes règles que nous. A peu de choses près...

-          C'est à dire ?

-          Nous ne leur demandons pas de chasser avec nous.

-          Moui... Logique.

            Vince soupira et remarqua que personne ne frissonna. Et, oui... ils ne savaient pas.

-        Il y a un autre souci... Je suis aussi un vampire et j'ai des devoirs...

-        Il faudra choisir entre les deux. L'interrompit l'Alpha.

-        Et merde...

-        Les vampires ne t'accepteront pas aussi bien que nous pourrions le faire...

-        Je suis un cannibale. Je n'ai pas à chercher du respect de la part des canines, j'ai juste à leur faire peur.

-        Y compris tes maitres ?

-        Mes... J'en ai pas. Il semblerait que je ne leur conviens pas.

-        Tiens donc…

-        Problème d’insubordination. Je n’obéis que quand je le veux bien.

            Oui… Définitivement et irrévocablement Cœur de la Meute. Même le vampire l’était et devait être sans doute quelqu’un de bien mis à part son « problème d’insubordination ». Mais un Cœur de la Meute ! Diable, ils étaient rares et recherchés. Sitôt qu’une meute réussissait à s’attacher un Cœur, elle connaissait un regain de notoriété et de respect. Pile poil ce qu’il fallait pour la meute de Londres, composée d’anciens parias, de jeunes loups sans éducation et de laissés pour compte. De plus, la présence d’un Cœur avait un effet stabilisateur sur l’ensemble des membres dont il avait la charge, si tant est que le Cœur soit en accord avec l’Alpha. Le souci était qu’on ne pouvait contraindre un Cœur à faire partie d’une meute. Il fallait qu’il l’accepte de son plein gré et en général, durant la période de probation du jeune loup, les Cœurs étaient approchés par toutes les meutes, y compris celles qui avaient la chance d’avoir déjà un Cœur, pour leur vanter la vie avec elles, leur faire des promesses, les cajoler… Même si celui-là était aussi un vampire, il valait quand même très cher. On hésiterait, bien sur, il s’agissait tout de même d’une canine… mais la possibilité d’avoir accès à sa puissance serait plus forte que l’appréhension, au bout du compte.

-          Je ne vais pas te mentir, Louveteau. Tu serais un avantage énorme pour ma Meute au vu de ce dont tu es capable.

Les autres loups de la Meute s’agitèrent un peu, se lançant des regards et commençant à considérer Vince autrement. Si l’Alpha disait que le vampire à moitié loup était un avantage, c’était qu’il devait l’être. L’Alpha ne mentait jamais.

-          Euh… Un avantage ? s’étonna Vince. Vous avez besoin d’un cannibale ?

-          Non. Nous réglons nos problèmes différemment. Ton loup est un avantage pour nous et… il semblerait qu’il accepte enfin de se révéler.

Explication ?

Notre nature est compliquée.

Je ne m’en serais pas rendu compte tout seul… En sentant le loup se fermer en un mutisme boudeur, Vince abandonna le sarcasme. Désolé, Loupiot. C’est très nouveau pour moi, tout ça. Déjà que j’ai du mal avec mon vampirisme…

Nous sommes utile pour les membres d’une Meute. Notre présence les rassure et les soigne. Nous évitons les soucis, les disputes, la révolte.

-          Oh… Mais… OK. Je vois. Enfin… Je suis un vampire.

-          Entre autres.

-          Ca ne choque pas les autres ?

Vince avait fait exprès de regarder le reste de la Meute présente qui semblait plongée dans la confusion. Mais aucun n’était hostile désormais. Vince haussa les sourcils devant cette attitude et regarda l’Alpha qui s’était un peu reculé et le toisait du regard, sans aucune animosité. Juste de l’attente.

-          Je ne… Comprend plus rien, je suis désolé. Je ne peux pas prendre de décision comme ça.

-          Au bout d’un soleil et d’une lune, tu y seras forcé. Mais avant que tu ne t’interroges trop, saches que ta décision même si elle est négative ne pourra pas être contestée.

-          Je vous trouve vachement honnête de me dire tout ça.

L’Alpha eut un demi-sourire.

-          Ton loup saurait si je mens. Et je ne vois pas l’intérêt de te cacher à quel point nous aurions besoin de toi et le fait que nous n’avons pas grand-chose à t’offrir. Si ce n’est notre protection.

-          Donc… si j’ai bien compris… au bout d’un soleil et d’une lune… Ca fait combien de temps au fait ?

-          Environ treize mois.

-          Ah oui, quand même…

-          C’est le temps qu’il faut pour qu’un loup-garou soit considéré comme adulte. Même si en règle générale, ils sont matures avant. Et dans ton cas, ton loup est déjà adulte. Mais je ne veux pas déroger à la règle. Ce sera aussi nécessaire pour toi que pour les autres loups pour s’habituer à ce que tu es.

Vince fronça les sourcils et commença à se tordre les doigts dans tous les sens.

-          Pourquoi vous ne me mentez pas ? Pourquoi vous n’essayez pas de « m’acheter » ? Là où je suis, ils se plient en quatre pour essayer de me plaire et la moitié de leurs promesses sont fausses, je le sais. Alors, pourquoi… ?

-          Je suis incapable de te mentir. Tu le saurais et ce n’est pas ce qu’il te faut.

Ah… C’est quand même un bon Alpha, non ?

Aucun point de comparaison, Loupiot. Dis donc, tu n’essaierais pas de me le vendre ?

Nous avons besoin d’une structure, de loups autour de nous. Je vais devenir fou sans ça et ce serait très mauvais pour toi.

-          J’ai combien de temps pour répondre ?

-          Je préfèrerais que tu le fasses avant de partir d’ici. Ce serait dangereux pour nous même si je peux t’assurer que personne de la Meute ne t’attaquera sur mon territoire. (Il reprit plus fort suite à un grondement de mécontentement au fond :) Personne !

Je ne sais pas, Loupiot… J’étais juste venu voir Ben, à la base. Je veux juste…

Une impression délétère l’interrompit dans ses réflexions avant le bruit de plusieurs coups de feu ne leur parviennent à tous et que la souffrance frappa le loup de Vince de plein fouet, le faisant gémir sourdement. Les voutes de l’ancien métro réverbéraient les sons et les loups garous, bien qu’instantanément en position de combat, semblaient incapables de comprendre d’où venait le danger. Un sifflement strident leur vrilla à tous les tympans, mettant certains, dont Vince qui n’était pas habitué à une telle stridence, à genoux, les mains collées aux oreilles. La douleur était insupportable.

Jones fut le premier à réagir. C’était une attaque en règle de la Tanière et c’était bien la première fois, du moins durant sa vie, que cela arrivait. Surtout avec ces méthodes. Des armes à feu, des sifflets à ultrasons… C’étaient bien des loups garous qu’on attaquait et on le savait. A l’intérieur de sa tête, le loup combattait la stridence des sifflets par un grondement bas. C’était peu. C’était le maximum qu’il pouvait faire en attendant de déchiqueter la gorge des attaquants. Néanmoins, il essaya de maintenir les plus jeunes à l’écart des voies d’accès pour qu’ils ne fassent pas de cibles trop faciles. Volontairement, il oublia Vince qui s’était recroquevillé au sol en protégeant ses oreilles. C’était terrible… mais la Meute avant tout et même s’il commençait à éprouver de la sympathie pour l’infortunée créature. Oui, infortunée créature… Ca lui convenait bien… Au fond de la galerie sud, il entrevit une silhouette humaine armée d’un pistolet pointé sur lui. Il se jeta à terre mais sentit la balle lui érafler le dos. La brûlure était trop importante pour une simple balle. Une balle en argent. Il en eut la confirmation lorsque le bras d’un de ses loups éclata dans un bruit répugnant et son possesseur hurler comme un damné. L’argent brûlait atrocement la chair.

Réfugié sous un banc de fortune, Vince tentait vainement de reprendre le contrôle de lui-même. Le son l’empêchait de se remettre debout alors il rampa d’abords à l’aveuglette puis vers un endroit où il sentait un vent frais. Sans doute une sortie. Il l’espérait. En son sein, le loup s’agitait fortement, essayant de suivre un appel qui n’existait pas et qui se réverbérait dans les tunnels. Il fallait fuir mais ça lui faisait mal d’abandonner des gens qu’il ne connaissait pas, certes… Mais…

Il leva les yeux et Ben était devant lui. Ben, qui allait bien avec juste un pansement visible sur le cou. Un peu pâle peut-être… Les traits un peu tirés aussi… Mais il allait bien. Vince se mit sottement à sourire et à tendre la main vers celui qu’il était venu chercher. Ben la prit et le releva, sans changer d’expression. Sa voix non plus n’avait pas le moindre timbre quand il pressa le canon de son arme sur la poitrine du vampire et pressa deux fois la détente :

-          Meurs, sale monstre.

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26 mai 2013 7 26 /05 /mai /2013 22:53

-          Je hais Londres.

Heureusement qu’ils étaient encore en Europe, les vols en avion ne duraient pas toute la nuit et la plupart des destinations leur permettaient de pouvoir prendre pied avant que le soleil ne se lève. Comme Ash haïssait devoir rester immobile pendant une traque, c’était Dom qui menait les recherches le jour en essayant de ne pas se faire voir par d’autres loups. Et il savait pertinemment que les loups de Londres n’étaient pas à prendre à la légère malgré la jeunesse, toute relative, de leur Alpha. Les deux frères s’étaient donc établis dans l’ancienne cour londonienne, sachant que la meute locale n’y mettrait pas les pieds et que les seuls imprudents seraient les reliquats de la Vulgate anglaise qui n’avaient pas encore trouvé de nouveaux maitres et qui se partageraient les restes avec les dents. Pour la journée, seuls des humains viendraient, des enquêteurs sans doute et Ash pourrait se nourrir sans souci. Cependant, personne n’était venu jusque-là et c’était un vampire Firenze particulièrement exécrable du fait de devoir rester éveillé que Dom avait au téléphone.

-          Ce n’est qu’une ville. Ni plus ni moins laide que les autres. De plus, je te rappelle que nous ne sommes pas vraiment dans la ville.

-          Ça ne m’empêche pas de haïr l’endroit où je me trouve. Ça donne quoi ?

-          Je viens d’arriver à Harefield. Hôpital classique. Je suis plutôt content de pouvoir passer pour un prêtre, ce sera plus facile. Je vais couper.

-          Dom… ?

-          Oui ?

-          Je… Concernant hier…

-          Non, tais-toi. Je ne t’abandonnerais jamais. Je ne parlerais plus de ça. Et je trouverais une solution.

Le silence sur la ligne fut celui de la stupeur. Jamais auparavant Domenico ne s’était permis de parler sur ce ton. Un ton résolu, péremptoire et parfaitement calme. Même quand il parlait avec des humains qu’ils savaient tout deux être bien inférieurs en terme de dominance face à un loup, Dom avait toujours l’air de quêter leur approbation, d’essayer de les convaincre en douceur alors qu’il avait largement les capacités de se faire obéir d’un mot. Malgré le froid régnant dans la cave où il était et qui lui mettait les nerfs en pelote, Ash se mit à sourire. Il était peut-être temps que son frère se fasse véritablement les crocs et arrache la peau d’humain qui contenait sa fourrure de loup.

-          D’accord, Fratello mio, je te laisse gérer tout ça.

-          Merci, Ash…

Dom coupa la communication et se dirigea directement vers l’accueil. L’infirmière de garde était petite, boulotte et malgré ses yeux magnifiques, elle semblait éteinte et fatiguée. Le loup se permit de humer un instant autour de lui pour avoir confirmation d’un doute. Oui, elle était malade. Un cancer sans doute. Malgré toutes les odeurs de maladie qui lui parvenaient, il savait que cette odeur-là venait de la pauvre secrétaire en blouse rose. Il lui adressa un sourire compatissant et lui demanda la chambre de M. Whitehall. Elle compulsa rapidement sur son ordinateur, rassurée par la mise impeccable du visiteur et par son aura de douceur. Elle lui dit d’un ton désolé que M. Whitehall était déjà sorti, accompagné par son père.

-          Oh. Mince… Je pensais pouvoir le voir avant son départ.

-          Vous saviez qu’il allait partir contre l’avis du médecin ?

-          Oui, sa mère m’a demandé de venir pour que je le convainque du contraire. Malheureusement, j’arrive trop tard.

-          A une dizaine de minutes près, c’est dommage. Mais si vous voulez, sa sœur est encore dans la chambre pour rassembler ses affaires.

Ce serait toujours ça de pris pour avoir des informations…

-          Elle est là ? Je pensais qu’elle serait en cours…

-          Elle a dû prendre sa matinée… Chambre 218.

-          Merci beaucoup, mademoiselle… Et…

Mû par une impulsion, il lui saisit les mains par-dessus l’ordinateur et les serra doucement entre les siennes avec un sourire triste.

-          Ne perdez pas la Foi. Ne perdez jamais espoir. Je prierais pour vous.

Et il partit en direction de l’escalier en veillant à effacer légèrement les souvenirs de l’infirmière. Comme il aurait voulu pouvoir la soigner, vraiment ! Mais il n’était qu’un tueur de plus. Malgré ce qu’il avait dit à son frère, sa vieillesse le taraudait toujours. L’implacable course du temps qui commençait à rendre son loup complètement fou et qui le forçait de plus en plus à ruer dans tous les sens. Au mieux de sa forme, Domenico pouvait espérer n’avoir à se transformer qu’environ toutes les semaines. Parfois moins souvent. Ce qu’il ne disait pas à Ash, c’est que ces derniers mois, il devait se transformer presque tous les jours ne serait-ce que pour respirer. Peut-être qu’il perdait réellement pied et sans meute pour le surveiller, il était une bombe à retardement. Si seulement… si seulement…

Il secoua la tête violemment en se répétant que ce n’était pas le moment pour avoir des pensées morbides. Malgré ce qu’en pensait surement Ash, ce n’était pas pour sauver sa vie qu’il menait cette traque mais bien pour celle de son ainé… Qui ne voulait pas mourir. Et qui serait sans doute la prochaine proie de leur commanditaire mystérieux s’il ne trouvait pas très vite une piste. Devant la porte, il resta quelques instants sans bouger pour connaitre la topographie des lieux et la position des autres êtres vivants à l’étage. C’était un coin de l’hôpital relativement calme mais il y avait cependant un peu trop de monde pour pouvoir se lancer dans un interrogatoire musclé. Ce qu’il détestait. Surtout sur une pauvre humaine innocente qui ne devait pas savoir que son frère trainait avec des vampires.

Humains, je vous aime… Mais je préfère mon frère.

Il toqua doucement et ouvrit le mince panneau avec son sourire bienveillant pour découvrir une petite rousse qui… pillait littéralement la chambre de tous ses draps, housses de fauteuil et serviettes. Par terre, à côté d’elle, il y avait des bombes aérosols diverses dont une seule contenait véritablement du désodorisant de marque industrielle. Dom renifla un coup pour confirmer sa première impression : la jeunette, qui ne lui arrivait même pas au torse, n’était pas une louve et pourtant ce qu’elle faisait était une façon assez classique de brouiller les pistes olfactives. Elle s’attendait à ce qu’une meute, ou au moins un loup, vienne pour renifler l’endroit.

-          Euh… Je fais le ménage. L’ancien occupant est parti.

Dom ne se départit pas de son sourire apaisant alors qu’il continuait lentement mais surement à analyser les parfums de la pièce. L’odeur classique à tout hôpital, les médicaments, les désinfectants et la maladie, bien sûr mais… La peur de cette petite humaine, la peur d’être découverte, des résidus d’odeur de loup, comme si l’un des occupants précédents de cette pièce s’était frotté à un loup-garou en pleine transformation et… Oui. Du sang de loup. Qui venait d’elle. Sang frotté maintes et maintes fois au savon et à l’eau chaude mais le meurtre ne s’efface pas en une seule douche. Peut-être n’avait-elle tué qu’une seule fois ? Au vu de son âge, qui ne devait pas excéder la vingtaine d’années, elle était assez nouvelle dans le circuit des Chasseurs d’Hommes, terme antithétique pour désigner les rares humains qui connaissaient l’existence du monde de la Nuit et loin de s’y inclure préférait en chasser les membres. C’aurait pu être un but louable. Très louable, même. La première fois que Dom avait entendu parler des Chasseurs d’Hommes, il avait même imaginé pouvoir les aider un peu dans leurs traques, leur donner des informations pour que la gangrène vampirique ne paralyse pas ce monde.  Puis, il avait assisté à une chasse, de loin, et s’était dit qu’il n’y avait aucun honneur et aucune justice à massacrer une famille entière d’humains devant le seul infortuné qui se transformait, uniquement pour que la fourrure soit complète et qu’ils puissent en tirer un bon prix. Comme ils tiraient un bon prix des crocs de vampires et de la peau de Faë… entre autres. Le surnaturel se payait cher et Dom, qui s’était cru un monstre, avait compris que l’humain pouvait être pire.

-          Je m’étonne du fait que vous, vous ne soyez pas partie… N’êtes-vous pas censée être sa sœur ?

-          Qui vous a dit ça ?

-          La réceptionniste. On croit toujours qu’elles s’en fichent… Qu’elles ne notent rien. C’est faux. Il suffit juste d’être poli et aimable. Mademoiselle… ?

La jeune fille eut un mouvement nerveux de la tête vers son sac. Sans doute y cachait-elle son arme mais elle n’eut pas le temps d’esquisser un mouvement avant de se retrouver enserrée dans une clef de bras qui l’empêchait de respirer. Dom avait cessé de sourire. L’affaire devenait diablement sérieuse tout simplement parce qu’il n’avait aucune idée de la nature de sa proie.

-          Entendons-nous bien, Jeune demoiselle. Je me fiche de savoir qui tu es réellement. Je me fiche de savoir ce que tu comptais faire dans cette chambre et même pour qui tu travailles. La seule chose qui m’intéresse, c’est savoir où se trouve Benedict Whitehall. Tu peux me répondre et m’avancer dans les recherches, ainsi je serais d’assez bonne humeur pour te laisser en vie. Tu peux te taire ou essayer de crier et je serais dans l’obligation de te rompre le cou. Cela ne change rien pour moi.

Alors qu’elle balançait des coups de pieds dans tous les sens, qu’elle lui griffait le bras quelques secondes auparavant, elle se calma un peu tout en essayant de respirer.

-          Je vais supposer que cela veut dire oui. Je t’écoute. Lui murmura-t-il avant de desserrer sa prise.

-          Je ne sais pas où il est…

Elle ne mentait pas. Mais elle ne disait pas tout, ainsi qu’on enseignait à tous ceux qui parlaient aux loups. Sans doute pensait-elle qu’il était en transit.

-          Et où l’emmène-t-on ?

-          Je sais pas…

-          Ça, c’est un mensonge. Essayes encore avant que je ne torde le coup.

-          Tanière… de Londres.

-          Pourquoi Diable des chasseurs d’Hommes amèneraient quelqu’un à la Tanière de Londres ?

Une Tanière était le repaire d’une meute. Pour sa part, il n’en avait jamais vu de prés, sans doute  parce que les Tanières étaient aussi des pièges mortels pour tous ceux qui ne faisaient pas partie de la Meute. Cela dit, et même si les loups garous d’une meute ne vivaient dans la Tanière qu’à peine une fois par semaine, c’était… le meilleur endroit pour tous les tuer et en vendre la dépouille.

-          C’est bon, je me doute de ce qu’ils vont y faire. Mais pourquoi ma proie doit y aller ?

-          C’était… l’un d’eux…

-          C’était ?

On nageait en pleine fantasmagorie, là. Comment était-il possible qu’un loup de meute se soit retrouvé seul dans un hôpital (Meilleur endroit pour éveiller les soupçons de l’humanité), retrouvé par des chasseurs d’Hommes puis suffisamment retourné pour les mener à la tanière de sa meute sans en avoir tué un seul ? Et pourquoi, au Nom du Ciel, un vampire qui était tout sauf faible les avait mis lui et son frère sur la trace d’un loup renégat ? Le savait-il, au moins ? Et si oui, quel aurait été son intérêt ?

Parmi les mille questions qui tourbillonnaient dans sa tête, Dom ne se rendait pas compte qu’il serrait le cou de la jeune fille de plus en plus, jusqu’à la rendre écarlate. Il aurait pu lui briser la nuque sans s’en rendre compte si elle n’avait pas poussé un petit gémissement étranglé et parfaitement pathétique. Le loup relâcha la pression en retenant de justesse un mot d’excuse. C’était un otage, pas une jeune fille qu’il courtisait même s’il n’avait aucune idée de comment courtiser une jeune fille… Même en se basant sur les expériences de son frère ainé, il pouvait être sûr d’une chose : Ce n’était pas comme ça.

-          Bon. Je récapitule. Toi et tes « camarades » avez trouvé un loup-garou suffisamment stupide pour se retourner contre sa meute et celui-ci amène les tiens à son ancienne tanière. J’ai raison ? Et pas de mensonge.

Elle ne dit rien. Elle tenait ses lèvres minces obstinément serrées l’une contre l’autre. Un autre loup lui aurait brisé la nuque par pure rage mais rien que son silence indiquait qu’elle en savait beaucoup plus et que Dom se trompait quelque part. Mais où ? Le loup renégat avait-il eu vraiment le choix ? Après tout, il y a pire que la mort et les chasseurs d’Hommes s’y entendaient pour faire craquer n’importe qui. Peut-être un chantage… Peut-être une drogue ? Mais s’il s’agissait d’une drogue, ça signifiait que les chasseurs d’Hommes avaient fait des percées significatives en ce sens vu que la majorité des drogues ne fonctionnaient ni sur les loups ni sur les vampires. Et pourquoi essayer de masquer la présence du renégat dans cette pièce ? Après le massacre de la Tanière de Londres, celui-ci devenait inutile et peut-être même dangereux, même s’il avait connu l’emplacement d’autres tanières. Non, la meilleure solution possible restait de le laisser à la merci d’autres loups, voire de l’utiliser comme appât avant de vendre sa fourrure un peu plus tard. En aucun cas de masquer sa présence et de faire en sorte que personne ne sache qu’il était là… Et pourquoi sa meute n’avait-il pas su qu’il était dans cet hôpital ?

-          J’ai donc tort… quelque part. Tu sais, je déteste ne pas comprendre dans quoi nous nous impliquons… Mais  sincèrement, au vu du délai qu’on nous a imposé, je vais faire l’impasse.

Il lui lâcha le cou et la retourna pour qu’ils se retrouvent face à face, les yeux dans les yeux. Dom avait toujours su qu’il était capable de faire ça : sa capacité à convaincre n’importe qui que la situation aberrante qu’ils avaient sous les yeux n’était en réalité qu’une scène banale d’une existence banale n’était que la version très atténuée de son pouvoir. Il savait qu’il n’était pas un soumis, loin de là. Alors il laissa son loup prendre de l’ampleur et plongea dans la psyché de la jeune fille, le plus violemment possible pour ne laisser que deux ordres : Tout lui raconter et tout oublier à propos du Monde de la Nuit. Il savait aussi que la jeune fille ne s'en tirerait pas sans dommages psychologiques mais après tout... On était dans un hôpital...

Au bout d'une demi-heure, il était ressorti de la clinique, un goût de cendres dans la bouche. Il sortit son téléphone.

-              Ash... C'est moi.

-              Je me doute... Il n'y a que toi pour m'appeler en journée, Petit Frère.

-              Écoute... On a un gros problème.

-              Ouais?

-              Notre cible... est un ancien loup-garou. Ou plutôt devrais-je dire, un chasseur d'Hommes, issu d'une des plus vieilles lignées de chasseur d'Hommes qui s'est fait transformer... par erreur.

-              Ça arrive. Attends... Comment ça, ancien loup-garou?

-              Laisses-moi finir. Contrairement à d'autres qui en sont morts, soit tués par leurs anciens camarades, soit par folie, ou d'autres qui ont fini par accepter l'inévitable, celui-ci a gardé un contact très étroit avec sa famille. Ils ont appelé ça l'expiation. Il s'infiltrait dans une meute de façon à tout connaître d'eux et la livrait en pâture aux chasseurs d'Hommes.

-              Une meute... entière...? Mais ça fait combien de loups, ça?

-              C'est très variable. Mais leur plus gros coup a été une meute d'une vingtaine de membres. C'était il y a une quarantaine d'années.

Le silence, à l'autre bout de la ligne, ne dura pas très longtemps. Dom entendit son frère pousser un sifflement appréciateur.

-              L'agent double idéal. Sincèrement, on aurait du y penser plutôt que de faire les tueurs à gages.

-              C'est... Sale, Ash.

-              Très. Pourquoi diable un Maître de Ville nous a demandé la tête de ce salopard? Et franchement, vu les conditions posées, c'est personnel.

-              Simple. Il y a peu de temps, la cible a croisé un vampire et, chose suffisamment rare pour être soulignée, ils se sont bien entendus. Malheureusement, pour une raison que personne n'a expliquée, le vampire l'a mordu et... a tué le loup à l'intérieur de l'humain.

-              Quoi?? C'est possible, ça?!

-              Il semblerait. Cela dit, je ne miserais pas un liard sur la fiabilité de cette technique. Mais le vampire doit être en danger... Tu connais la règle: En combat, la guerre ne se déclenche pas. Mais si l'un mange l'autre, il doit être sacrifié.

-              Et le vampire est lié à notre client... Son enfant ou son amant, je suppose. Donc, c'est une vengeance et là, pour le coup, c'est très personnel. Hum...

Le loup avisa une petite épicerie ouverte et s'arrêta pour acheter de quoi manger. Depuis son réveil, quelques heures auparavant, il n'avait pensé qu'à manger. Et Dieu savait qu'il mangeait beaucoup ces temps-ci... Mais ça laissait le temps à Ash pour réfléchir.

-              Question, petit frère. Le vampire est mort?

-              Aucune idée.

-              Dommage. Je suis sur que notre employeur aurait pu vendre cette information contre la vie de son bien. Bref... Tu sais où ils se dirigent?

-              Tanière de Londres.

-              Oh, merde.

-              Je ne sais pas combien de temps ils vont y rester. Le mieux est que je commence le repérage pendant la journée. Tu me rejoins à la nuit tombée.

-              Nom de dieu, ça fait plus de huit heures à attendre!

-              Arrête de jurer. On n’a pas le choix.

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16 avril 2013 2 16 /04 /avril /2013 19:28

 

Madame, Monsieur.

 

Vous me connaissez plus que je ne vous connais, ce qui est tout à fait normal puisque dans le monde de mots que vous lisez, vous n'apparaissez nulle part pour moi. Je ne vous connais absolument pas. J'aimerais bien cependant. Même si je suis une personne plutôt asociale ( mais je ne l'ai pas toujours été!), j'avoue que vous connaître un minimum me plairait. Non pas parce que votre monde est mieux que le mien, je n'ai pas d'avis à ce sujet, mais parce que je trouverais très intéressant de voir les gens du monde réel qui me jugent et ce, à chaque fois qu'un adjectif ou un verbe se rapporte à moi.

 

Car, oui, vous me jugez. A chaque ligne qui est écrite à mon sujet, vous portez une opinion sur ma personne. Pour quelqu'un comme moi qui a toujours vécu dans le regard des autres, c'est normal. Cela fait partie de mon caractère, j'aime qu'on me voit même si ces derniers temps... Je suis devenu moins affamé d'attention universelle. Que vous me jugiez ne me dérange pas du tout. Contrairement à d'autres personnes de votre monde, je ne suis pas en mesure de vous coller un procès pour diffamation. Sachez cependant qu'à l'heure ou j'écris ces lignes, l'opinion que j'ai de moi-même n'est pas très bonne. Vous n'y êtes pour rien, c'est le récit. C'est tout.

 

Cependant... Il y a un point sur lequel toute tentative de jugement me laissera complètement de glace. Vous le savez, je suis bisexuel. J'aime autant les femmes que les hommes. Et je sais pertinnement que certains d'entre vous lâcheront les écrits qui me composent pour le simple fait que le sexe n'est pas pour moi une question majeure, c'est juste une préférence, comme pour la vanille et le chocolat dans les glaces. Et bien, oui, je me tape les deux. Sans aucune honte. Pareil avec mes partenaires sexuels, tant qu'ils veulent bien, je veux bien.

 

Je sais que certains d'entre vous frapperont le livre qui me compose, je sais que certains le montreront du doigt en disant qu'il est immoral parce que je suis bi (Ce qui est très drôle puisque ma sexualité est sans doute le moins pire chez moi...). Je sais qu'il sera balancé contre un mur, peut-être même brûlé. On interdira de lire ce livre, on ne voudra même pas en parler.

 

Vous savez quoi? Ça ne me fait ni chaud ni froid. Tout ce que vous pourrez dire contre moi, je n'ai pas d'oreilles pour les entendre. Tous les coups que vous ferez aux pages, je ne les sentirais pas. Les bûchers ne me brûleront pas et votre indifférence... Et bien, j'existerais toujours dans l'imagination de mon auteur.

 

Maintenant... Posez vous la question: Est-ce qu'une personne de votre monde subira les mêmes choses que moi sans les sentir comme je le fais? Non. Elle souffrira atrocement. Et vous la ferez souffrir parce qu'elle n'est pas hétéro. Pas parce que c'est un monstre, pas parce qu'elle est méchante mais parce qu'elle aime et que ça ne vous plaît pas.

 

Votre Christ a dit: "Aimez-vous les uns les autres."

 

Et il n'a pas mis de restrictions, lui.

 

 

Vince.

Vampire cannibale, loup-garou, homme paumé. Mais Bi et fier de l'être.

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24 janvier 2013 4 24 /01 /janvier /2013 23:53

Chapitre 18 : Invaders must die.






Le crépitement du feu dans une cheminée lui apportait toujours un grand réconfort. Dans sa jeunesse, les feux de cheminée ronflaient, été comme hiver dans toutes les pièces, ce qui faisaient qu’il régnait toujours une chaleur démentielle dans tout le manoir et dans les catacombes. Le seul endroit frais était la masure de Maestro Popo, le garde chasse, et lui-même n’entrait dans le manoir que contraint et forcé, suivi de ses chiens qui haletaient comme après une traque de plusieurs heures sous un soleil de plomb. Le maitre de la ville, Fuoco Da Firenze s’en amusait à chaque fois, lui qui ne semblait pas souffrir de la fournaise. Dans ses jeunes années, lui s’était habitué peu à peu à l’implacable chaleur infernale mais Domenico n’avait jamais pu. Fuoco voulait deux fils de son sang. Il n’en eut qu’un seul, l’autre ayant mystérieusement disparu de son monastère où il avait été relégué en attendant que son frère fasse ses premières armes. Encore aujourd’hui, après plus de quatre siècles d’errance, La température était un sujet de discorde entre les deux frères. Dom ne pouvait partager une pièce avec lui sans périr de chaud et lui avait toujours froid, bien que pour sa part, ce fut surtout une réminiscence de sa jeunesse humaine. Les vampires ne craignent ni le froid ni la chaleur. Ils les ressentaient mais ça ne les incommodait pas le moins du monde.
Néanmoins, pour permettre une entente cordiale avec son cadet que la fourrure métaphorique condamnait à rester au plus prés des courants d’air, Cenere Da Firenze, plus communément appelé Ash depuis que les Firenze avait été exterminés, se contentait d’un feu électronique qui ne dégageait aucune chaleur. Même si les crépitements du bois n’étaient pas tout à fait les bons et qu’il aurait pu les chantonner vu le nombre de fois où il avait entendu cet enregistrement, il s’en contentait. Seule et unique concession qu’il eut pu faire à quelqu’un qui n’était pas vampire, fusse t-il son frère de sang humain. Ca lui permettait de réfléchir. Mais, Dieu lui en soit témoin, il n’attendait que les temps chauds de l’été pour s’enterrer et dormir le jour en pleine forêt et espérer qu’un inconscient ait laissé un mégot. Plusieurs années auparavant, il s’était réveillé en plein milieu d’un incendie de forêt et s’était senti renaître parfaitement. Enfin… Ce n’était pas le genre de récompense qu’on demandait à l’un de ses employeurs, donc il ne comptait que sur le hasard et la bêtise des hommes pour avoir son feu.
Domenico entra en silence dans la pièce centrale de leur refuge en plein cœur de la Toscane. Comme toujours, le loup ne faisait pour ainsi dire aucun bruit. Quant à savoir si c’était un reliquat de son existence monacale ou bien l’instinct du prédateur… Pourtant, Ash le percevait toujours, dés qu’il rentrait dans son « cercle de responsabilité », autre nom pour le sens supplémentaire des vampires qui leur permettaient d’avoir une idée instinctive de ce qui se passait autour d’eux dans un cercle plus ou moins grand, sans que les sens communs ne puissent l’expliquer. Mais, en règle générale, Domenico restait invisible pour la plupart des autres vampires.
-    L’élimination de Stockholm risque de poser plus de problèmes que celle de Londres… Ils ne sont pas au courant pour nous mais la guerre du Premier les a poussés à renforcer les défenses.
-    A ce point ?
-    On se croirait à la maison…
Dom parlait toujours d’une voix douce et un peu rêveuse quand ils étaient seuls, comme s’il craignait de briser quelque chose de très fragile en parlant trop fort. Quant au « On se croirait à la maison », en tant que possible fils, il avait eu un aperçu de ce que Florence était capable de faire en matière de protection. Les éliminations préventives étaient légion et c’était le travail de l’exécuteur. Ce qu’il aurait du être.
-    Si je pouvais entrer en contact avec la meute toute proche…
Ash frappa d’un coup sec sur le cuir du vieux canapé.
-    Oublies-tu qu’ils te tueraient dés qu’ils te verront ? Tu es un loup paria !
-    Je peux sans doute vendre ma liberté et mon retour contre ta protection… Stockholm est la dernière de nos proies. Quelle importance, après ?
-    Je ne me soumettrais pas, Dom.
-    Moi non plus. Mais nous ne serons plus utiles après… Alors… Autant disparaitre… Ce monde n’a pas besoin de deux vengeurs qui trainent une haine depuis des siècles, mon frère.
-    Quoi… Toi, le catholique, tu proposes le suicide ?
-    Non, bien sur que non. Juste nous soumettre à la justice de Dieu.
Le vampire soupira en écartant les mèches blondes et cuivrées de son visage. Il n’y avait que devant Domenico qu’il acceptait de montrer ses cicatrices qui lui couraient du cou jusqu’au sourcil droit. Et encore, sous sa chemise et son pantalon droit, c’était bien pire. Mais Dom les connaissaient bien et jamais il n’avait paru dégouté.
-    Laisses-moi deviner… La lumière du soleil pour moi ? et pour toi ?
-    L’eau purificatrice. N’importe quel océan suffira. Ou même une mare, quelle importance.
Pour qu’un catholique parle de suicide en essayant de faire passer pour de la rédemption, l’affaire devait être sérieuse.
-    Dom… Qu’est-ce qui ne va pas ? Et ce n’est pas lié au fait que nous touchons au but. Dis-moi la vérité.
Le loup leva ses beaux yeux bleus sur le visage de son frère et les baissa aussitôt. Comme il le faisait toujours. A part à de très rares occasions, Domenico ne regardait personne dans les yeux.
-    Je suis vieux. Mon corps est toujours celui d’un jeune homme, comme quand ce loup m’a attaqué, mais je suis très vieux. Je suis fatigué de cette vie.
-    Tu m’abandonnes… ?
-    Ce n’est pas ça. Tu… Je… Tu l’as dit toi-même : je suis un loup paria et je crois que… mon loup dépérit sans meute.
-    Non… Non, non !
Ash se leva comme une furie et saisit son frère par le col pour rapprocher leurs deux visages et lui montrer les crocs.
-    Je t’interdis de m’abandonner, tu entends ! Tu es à moi ! Tu es mon frère et je ne te laisserais jamais à qui que ce soit d’autre que moi !
Il ponctuait chacune de ses phrases par une bourrade et un rugissement rauque devant un loup qui ne bronchait pas.
-    Je sais tout ça. Je ne veux pas t’abandonner mais… je suis épuisé. (il baissa la tête d’avantage.) Pardon…
Son frère… tellement soumis, tellement tendre et tellement incapable de s’occuper de lui tout seul. Mais il devait bien avouer lui aussi qu’il commençait à se lasser de courir partout pour chercher les coupables d’une décapitation bien méritée, certes, mais l’esprit de famille avant tout. Fuoco, son épouse, Fiamma, et les autres comme Incendio, Ardore… Il n’avait connu qu’eux comme véritable famille, mis à part son frère de sang, acheté en même temps que lui mais trop jeune ou trop fragile pour véritablement intéresser les vrais maitres de Florence. Il avait été vendu comme un esclave et son propriétaire, à moins que ce ne fût son vrai père, qui sait, n’avait pas douté un seul instant que les petits garçons auraient une fin rapide et horrible. Ce fut l’inverse. Ils avaient tous deux dépassé la moitié du millénaire et pour Ash, ses jeunes années avaient, certes dures, mais elles avaient réservé un sacré lot de nuits heureuses.
Jusqu’à ce que six cannibales ne posent le pied sur le sol pavé de Florence… Alors, oui, les Firenze avaient été des hôtes vampiriques lamentables, des despotes à leur manière et la belle Fiamma, l’épouse légitime du Maître Fuoco avait eu son lot d’atrocités bien sanglantes qui marquaient les esprits durablement. Ou les auraient marqués s’il y avait eu plus de témoins. C’était elle qui avait convaincu son époux de mettre Domenico dans un couvent pour qu’elle puisse s’amuser quand serait venu sa majorité. Rétrospectivement, Ash remerciait le ciel d’avoir mis un loup-garou sur la route de son petit frère et qu’il se sente forcé de fuir un monde qui n’était plus le sien. Il avait vu Fiamma en action, il lui avait servi d’escorte et même s’il s’était bien amusé, il aurait peu apprécié de reconnaitre son petit frère dans l’orgie.
Son petit frère qui ne l’avait jamais oublié et qui l’avait même sauvé des cannibales. Son petit frère qui s’était raccroché à la seule chose qui pouvait le soutenir alors que lui poussaient des crocs de loup, lui.
Et il ne suffisait plus.
Ash aurait voulu continuer à hurler et à menacer, pour ensuite se remettre à donner des ordres, encadrer son frère. Mais, lui aussi avait senti l’érosion du temps sur sa peau de vampire. Lui aussi se sentait de plus en plus vide. Alors, il prit Domenico dans ses bras et se demanda s’il n’allait pas accepter, enfin, de laisser tout ça derrière eux.
La sonnerie stridente de son portable l’empêcha de parler puisque Dom s’était écarté, les dangereuses lueurs fauves de son regard s’étant allumés pour parer à tout danger. Il s’apprêtait à envoyer paître son interlocuteur quand la voix grondante de celui-ci l’interrompit en le glaçant jusqu’aux os.
-    Signor Da Firenze… Vous m’avez pris une proie.
Même Domenico, qui pourtant réagissait avec un sourire angélique aux pires menaces eut un mouvement de recul.
-    Comment… Comment connaissez-vous ce numéro ?
-    Aucune importance. Vous m’avez volé une proie.
Ash articula silencieusement le mot « Cannibale » pour Dom qui secoua la tête et lui murmura à l’oreille que la voix n’était pas la même.
-    Peut-être. Mais le monde est plein de proies, je suis sûr que vous en trouverez une bien mieux… Dit-il en affectant de croire qu’il s’agissait d’un humain ou quelque chose du même acabit.
-    Mieux que la Cour de Londres… ? J’en doute. C’était une proie fort juteuse et fort agréable au palais. Que vous avez honteusement laissée brûler. Votre maitrise de la cuisson me laisse pantois.
-    Bon… Qu’est-ce que vous voulez ? Que je vous donne une autre proie en échange ? Je vous laisse Stockholm. C’est une proie aussi juteuse et agréable.
-    Je me moque de votre vendetta, Signor Da Firenze. Et vos proies m’indiffèrent. Vous avez tué sans mon autorisation et vous me devez une mort.
-    Si vous me voulez, va falloir me chercher. Je compte pas me rendre comme ça.
-    Vous, non. Mais je suis sûr que le Loup qui nous écoute serait prêt à mourir pour vous. N’est-ce pas ?
Les deux frères se regardèrent avec la même terreur dans le regard. Domenico avait toujours fait attention à se faire passer pour un humain, un simple servant aux ordres exclusifs d’un vampire de passage. Il y en avait, c’était loin d’être aussi rare qu’on aurait pu le croire. Le loup essaya de chercher qui aurait pu le démasquer et ne trouva personne d’autre que le cannibale qui l’avait mordu. Il s’apprêta à demander où il devait se rendre quand Ash le stupéfia :
-    Vous ne touchez pas à un seul de ses cheveux ! Nommez une autre proie parce que celle-là, vous ne l’aurez jamais !
-    L’ais-je nommé ? Ais-je cité le nom de Domenico Fartella ? ou celui de Fra Angelico ? Non. Votre frère, aussi charmant soit-il, n’étanchera pas ma soif.
-    Alors qu’est-ce que vous voulez, bordel ?
-    Je vais vous donner un nom. Un seul. Charge à vous de le traquer, de lui faire sentir votre souffle sur sa nuque. Je veux qu’il panique, je veux qu’il souffre et je veux qu’il meure.
Ash expira un ricanement méprisant.
-    Ce n’était pas nécessaire de me menacer, j’aurais pris ce contrat en échange de quelques informations.
-    Vous l’auriez mal fait. Vous auriez bâclé le travail pour pouvoir revenir à votre vengeance au plus vite. Et n’oubliez pas une chose : c’est une punition aussi pour vous. Soyez heureux que je n’exige pas votre loup en prime. Plus je sens votre attachement pour lui, plus j’ai envie de vous le prendre.
-    Donnez ce fichu nom et qu’on en finisse !
-    Quelle impatience… Alors que je commençais presque à nous imaginer devant un verre de vin.
-    Pas moi…
-    Votre cible est disponible pendant une semaine. Au-delà, c’est votre loup que je tuerais. Une seule semaine où vous allez lui faire connaître l’enfer. La dernière fois qu’on a su où il était, c’était… Pas très loin de votre dernier bûcher des vanités. Il se nomme Benedict Whitehall, et je veux sa tête sur mon bureau.




Retour à Londres. Vince s’apercevait qu’il n’aimait pas plus Londres qu’il n’aimait Paris. Il avait réussi à négocier avec Simon une semaine pendant laquelle il serait hors radar. Juste de quoi dire à Victor qu’il était vivant et qu’il allait bien, pour la localisation, hors de question. De toute façon, il savait qu’il lui avait menti. Il s’en était aperçu au moment où il finissait sa phrase. Il ne rentrerait pas au Bagis, il ne rentrerait pas dans le giron des vampires. Il allait disparaitre. Il savait que les loups solitaires étaient très mal acceptés. Alors que dire d’une chose qui n’était pas vraiment un loup et qui en plus était un vampire ? Et rien que ça lui donnait des sueurs froides et lui faisait sentir que sa vie serait très seule et que c’était définitif.
Moi, je serais toujours avec toi…
Vince se raidit et commença à enfoncer dans sa paume la pointe de la bague gothique qui lui recouvrait le petit doigt.
J’ai rien dit ! J’ai rien dit… je m’excuse…
-    Je préfère…
Ça aussi ça lui donnait des sueurs froides. Pas que le loup lui parle… Une fois qu’il avait admis avoir un loup dans le corps, il se doutait bien que celui-là, qui avait pourri l’existence de Ben, qui lui grondait dans l’oreille et qui le privait de beaucoup de choses, se rappellerait souvent à sa connaissance. Mais il s’était attendu à autre chose qu’à la voix d’un gamin apeuré d’être puni et abandonné dans un placard. Il s’était attendu à la même chose : A une bête qui lui rampait sous la peau menaçant de la déchirer en grondant. Rien de tout ça. La bestiole restait silencieuse la plupart du temps sauf à de rares exceptions où il lui échappait une phrase craintive ou…
Oui, un mot d’amour.
-    Merde.
Il sentit la bestiole se tendre pour parler, pour savoir ce qui le perturbait mais qui se plaquait métaphysiquement les deux mains sur la bouche pour s’empêcher de prononcer un mot. Le vampire allait sans doute le regretter mais il s’adossa contre un abri de bus et prit son téléphone pour faire semblant de téléphoner. Inutile qu’on le prenne d’avantage pour un fou. Déjà qu’il sentait le changement dans les regards de ceux qu’ils croisaient… Pourtant, extérieurement, aucune modification visible. Même ses crocs de vampire étaient toujours là.
-    Bon, je t’écoute.
Aucune réponse. Simplement ce même geste de se plaquer les mains sur la bouche et de s’empêcher de parler. Vince soupira et se demanda mentalement d’avoir beaucoup de patience.
-    J’ai dit que je t’écoutais, alors parle.
Je peux… ?
La voix mentale qui lui provenait du fin fond de son crâne était à moitié apeurée et à moitié méfiante. Ce qui était normal vu que le vampire n’avait pas vraiment ménagé son colocataire involontaire… Qui n’était sans doute pas plus ravi que lui de cohabiter.
-    Écoute… Je suis désolé. Je… Ça ne me fait pas plus plaisir qu’à toi d’être bloqué dans cette situation.
Tu te trompes. J’en suis bien plus heureux que toi. Et ça me fait mal.
-    Comment ça peut te faire mal ?
Je veux te soigner. Je ne peux pas.
-    Bon, bref. Je sens que je fais une connerie mais… Qu’est-ce que tu veux ?
Courir, traquer, manger, te soigner.
-    C’est tout ?
Le reste… Je ne peux pas te le demander. Même si j’en ai envie.
-    Dis toujours.
Non. Tu ne vas pas bien. Ça ne t’aidera pas.
-    C’est sûr que si tu parles de faire du mal à Ben…
NE PRONONCE PAS SON NOM !!
Le grondement qui envahit son crâne le força à lâcher le téléphone et à se laisser choir au sol pour se saisir les tempes. Une migraine foudroyante qui ne se termina que lorsqu’un badaud lui toucha l’épaule et lui demanda s’il allait bien.
Pardon… pardon… Je voulais pas… Je suis désolé…
-    C’est bon… Ça va aller…
Le badaud en question s’enfuit dès que Vince commença à se relever et à prendre son portable.
Lapin.
-    Quoi ?
C’est un lapin. Juste bon à amuser les louveteaux.
-    Tu parles de…
Le vampire ne finit pas sa phrase de crainte de se retrouver avec une autre migraine.
Non. Lui, c’est pire. Je parle de la proie qui s’enfuit.
-    Euh… il est venu m’aider.
La curiosité des rongeurs… lamentable.
-    C’est moi ou tu as des idées bien arrêtées ?
Obligé. On ne survit pas si on doute. On se fait manger.
-    Et bien… Ça a le mérite d’être clair. Bon… Écoute… Nous sommes coincés ensemble, c’est un fait et je ne pense pas qu’on puisse revenir en arrière.
C’est vrai.
-    Quoi… Qu’est-ce qui est vrai ?
On ne peut pas revenir en arrière. Je ne veux pas revenir en arrière. Je ne veux pas revenir là-bas… Je ne veux pas… Je ne veux pas, je ne veux pas !
-    Oh ! On se calme, OK ? J’ai aucune envie que tu ne te remettes à paniquer, d’accord… ? Tu te calmes…
Pardon…
-    Bien… Sérieusement, arrêtes de me faire peur comme ça. Cela dit, je comprends mieux pourquoi ça n’a pas fonctionné avec… Lui.
Je ne lui faisais pas peur.
-    Oh, arrête…
Je t’assure. Je ne lui faisais pas peur. C’est… lui qui me fait peur. Ne lui fais pas confiance.
-    Bon… On va avoir un gros problème, là.
Je sais. C’est une mauvaise chose. Ça va te faire du mal.
-    Permets-moi d’en douter. B… Il est la meilleure chose qui me soit arrivée depuis… mon accident. Donc… Comment on fait, sachant que je le veux et que toi tu peux pas l’encaisser ?
Un gémissement plaintif se fit entendre. Contrairement au grondement qui lui retournait les neurones dans tous les sens, ce son-là lui mettait une boule d’angoisse dans le ventre et Vince se mit à penser qu’il n’aurait jamais dû commencer à écouter ce fichu loup… parce qu’il avait de la pitié pour lui, maintenant. Et il ne fallait pas qu’il ait pitié… Cette fichue bestiole avait fichu la vie de Ben en l’air, non ?
Le gémissement se stoppa net quand une odeur familière, alors qu’elle ne devrait pas l’être, lui frappa les narines. Vince se retourna lentement, de façon à analyser les auras qui l’entouraient, plutôt furieux de constater que dans son esprit, les humains étaient facilement catalogués comme lapins. Il y avait une seule aura qui se détachait. Assez nettement d’ailleurs. Empreinte de violence contenue et de détermination. Et d’interrogation.
Meute.
-    Quoi ?
Meute. Oh… c’est mauvais. Ce n’est plus notre meute.
-    Et… Comment ça ? Je comprends plus rien, là… Qu’est-ce qu’on fait ?
Mais le loup resta muet quelques secondes en contemplant le nouveau venu. Vince se doutait qu’il ne répondrait plus alors il rangea le téléphone dans sa poche, étrangement serein. Le nouveau venu était banal. Pas très grand, pas très musclé, les cheveux blonds filasse et vêtu très en dessous des normales saisonnières. Il eut un mouvement de tête sur le côté et renifla en papillonnant des paupières. Il doutait parce que les odeurs étaient contradictoires et qu’il ne savait plus quoi faire. L’homme carra les épaules en une attitude qui fit que les rares personnes autour de lui s’éloignèrent encore plus. Mais Vince ne ressentait pas de menace contre lui. Juste une impression diffuse selon laquelle le type en face essayait de l’impressionner. Ce qui était stupide. Encore un mouvement de tête, cette fois-ci en se grattant deux fois l’oreille. Une tentative de communication… ?
-    Sincèrement, Loupiot… Ce serait sympa que tu m’aides… Marmonna le vampire entre ses dents.
… Loupiot… ?
-    Je sais pas comment t’appeler.
D’accord… Il faut partir, vite.
-    Pourquoi ?
Je t’en prie, ne discute pas. Je préfère éviter une confrontation qui ne nous apporterait rien.
Malheureusement, Vince devait bien admettre que le loup avait raison. Ce n’était vraiment pas le moment de s’interroger sur les tenants et les aboutissants de la situation. Il se retourna calmement et partit dans l’autre sens. Sans qu’il comprenne pourquoi, son colocataire lui envoyait des ondes de contentement. Mais de toute façon, Vince refusait de montrer qu’il était inquiet et même concerné par le regard interrogatif du type derrière lui. Type qui le suivait à distance mais assidument, tout en émettant une odeur étrange. Une odeur qui servait encore une fois à impressionner. C’était perturbant mais le vampire se refusait à tourner la tête pour voir ce qu’il en était.
Très bonne attitude.
-    Ce qui signifie… ?
Que tu te fous de lui. Il ne t’intéresse pas.
-    Et… C’est le cas ?
Bon. Inutile de prendre la peine de se coller le portable à l’oreille. Déjà parce qu’il aurait une main prise, ce qui était une bêtise quand on était en situation potentiellement dangereuse et ensuite parce qu’il se fichait de passer pour un fou.
A… moins que tu ne le veuilles… ? Mais moi, il ne m’intéresse pas. Pas assez dominant.
-    Attends… c’est ça qu’il essaye de faire… ? d’être le… dominant ?
Évidement.
-    Donc… s’il ne m’impressionne pas, c’est que je suis le meilleur.
Non. Nous sommes en dehors de ça.
-    Et il va faire quoi ?
Nous attaquer, s’il veut défendre le territoire. Mais je pense plutôt qu’il va nous suivre jusqu’à ce que nous en sortions. Il doute de ce que nous sommes.
-    Et tant qu’il doute, il ne risquera pas sa peau contre moi.
Exactement.
Vince se permit un petit sourire. Peut-être que ce fichu loup lui mentait et le manipulait mais il ne pouvait s’empêcher de trouver sympathique sa façon de penser. Il l’isolait peut-être des autres loups mais ça lui convenait. Il ne voulait pas parler aux autres, juste trouver Ben et voir ce qui en découlerait. Peut-être que Ben aussi avait eu un rejet total du loup parce qu’il avait été atrocement choqué de sa transformation. Lui-même n’avait pas été un modèle vampirique et continuait, Victor excepté, à les considérer d’abords comme des monstres, puis comme des proies potentielles et enfin, éventuellement et très rarement comme de possibles interlocuteurs. Peut-être qu’il pourrait réconcilier Ben avec son loup. Peut-être.
Il se stoppa soudainement.
-    Attends une minute. Tu as dit que… Ce n’était plus notre meute.
Oui, ce n’est plus notre meute.
-    Mais ça l’était.
Oui. Avant toi.
-    Ben faisait partie d’une meute…
Le grondement était moins fort que le précédent. Il ne lui causa qu’un léger inconfort qui se réverbéra dans tout son crâne sans laisser de douleur avant que le loup ne se retire en s’excusant. Pourquoi diable Ben avait prétendu être un loup paria ? Pourquoi était-il venu tout seul en France alors que le reste de sa meute était ici, à Londres, et que d’après les rumeurs, elle y était tellement bien implantée qu’elle en avait chassé les vampires. En fait, la seule question qui l’obsédait était : Pourquoi Ben lui avait menti ?
Il se rapproche…
Oui, ça, Vince le sentait. L’odeur de viande fraiche et de fourrure était plus forte à mesure que l’homme derrière lui rattrapait son retard. Il sentait aussi une certaine forme de triomphe et l’anticipation de quelque chose. Et Vince s’en fichait. S’ils avaient été dans une zone dégagé, il aurait déjà envoyé l’autre bouler. Mais trop d’humains. Trop de bruit et trop d’yeux pouvaient se poser sur eux. La seule chose qui hantait son esprit était que Ben lui avait menti.
Il se rapproche !
De la meute, hein? Victor lui avait toujours dit de ne jamais gâcher une occasion quand elle se présentait. Ne jamais négliger une information d’où qu’elle vienne. Quitte à l’obtenir contre le gré de quelqu’un d’autre.
Je ne l’aime pas beaucoup, mais… il n’est pas méchant. Un peu stupide, oui, mais pas méchant… Ne lui fais pas de mal…
Vince tourna légèrement la tête, juste pour avoir l’autre loup dans son champ de vision. Celui-ci avait ralenti son pas et s’arrêta à deux pas du vampire. Il sentait l’odeur piquante de la peur et l’amertume du doute, ce qui recouvrait presque son parfum de fourrure.
Tu… lui fais peur. Lui murmura le loup, non pas pour l’empêcher de faire quoique ce soit mais une simple constatation stupéfaite. Je n’ai jamais fait peur auparavant…
-    Mais qu’est-ce que tu es ? Marmonna le loup anglais.
Les odeurs contradictoires devaient être plus fortes maintenant qu’il n’y avait plus que deux pas entre eux. Loup ? Vampire ? Autre chose, mais quoi ? Pourquoi la cendre humaine et pourquoi l’odeur du chêne en été ? Pourquoi ces deux parfums se mêlaient en un seul être qui le regardait du coin de son œil de glace polaire et qui esquissait un lent sourire en le voyant perdre pied. Il le vit à peine bouger les lèvres quand son chuchotement lui parvint aux oreilles.
-    Ou est Ben ?
Le loup recula d’un pas. Si l’attitude était détendue et même un peu trop confiante pour être honnête, la voix, elle, douce au début et caressante finissait en une sorte de grondement étouffé. Trois mots qui étaient devenus sensuellement menaçants. Le pauvre loup ne savait plus s’il devait prendre ses jambes à son cou ou s’approcher plus près pour entendre l’homme en face de lui lui murmurer n’importe quoi dans l’oreille. Il opta pour la première solution parce qu’il n’avait aucun gout pour les hommes, ça le répugnait même, et parce que c’était un loup inconnu. Aucune raison de faire confiance à un loup inconnu… surtout quand la courbe de son sourire révéla une canine acérée et bien trop longue pour une dentition humaine. Il courut dans l’autre sens.
Pour sa part, Vince ressentait une onde de chaleur le traverser avec un curieux petit ronronnement de contentement.
-    Ça t’a plu… ?
Je ne devrais pas… mais oui, beaucoup.
-    Bon… On le poursuit ?
Jouer… ?
-    Oui, jouons un peu.
Il s’élança à la suite du loup avec une certaine joie, sans comprendre pourquoi. Il s’engagea dans le métro londonien, grignotant l’avance du loup à chaque pas. Celui-ci ne courait pas aussi vite que lui. Ils passèrent devant les usagers et descendirent dans la fosse. Le loup de Vince lui murmurait les indications au fur et à mesure avec une petite voix malicieuse. Oui, l’anglais essayait de le perdre et comptait sur sa méconnaissance de la ville. Manque de chance, Vince trichait. Et sa proie laissait une aura brillante. Même quand trois rames de métro passèrent si près d’eux, alors qu’ils étaient collés sur la paroi pour éviter de se faire happer, le vampire continuait à arborer son petit sourire prédateur et le loup à le dévisager avec stupeur. Cela dit, Vince n’approuvait pas trop qu’on se mette à courir dans les tunnels du métro. Entre les stations, ça allait : personne pour les voir. Mais dès qu’ils rentraient dans une station bien éclairée et encore bien pleine de monde, ils se sentaient obligés de ralentir un peu en se disant que quelqu’un allait bien finir par appeler les flic en voyant deux crétins qui se couraient après en sautillant sur les rails.
A gauche. Murmura soudainement le loup.
-    Mais il va tout droit.
Va à gauche. Je sais où il va, on prend un raccourci.
Tout en se faisant la réflexion que son loup prenait de l’assurance, Vince s’engagea donc à gauche, dans une sorte de couloir de service qui devait être désaffecté. Pendant cinq bonnes minutes, il ne ressentit plus la présence de sa proie et commença à s’inquiéter. Peut-être que le loup anglais avait changé son itinéraire ?  A moins que son propre loup ne se soit trompé ? Ou ne le trompe… ?
Fais-moi confiance.
Au moment où les mots roulaient dans sa conscience, la présence du loup anglais se fit perceptible. Vince étouffa un sourire triomphant et lui fonça dessus pour l’attraper à bras le corps et chuter avec lui sur le sol poussiéreux. Il se releva en un mouvement souple et dit avec un sourire impertinent :
-    Je peux avoir la réponse à ma question maintenant ?
Le loup-garou se releva en se tenant les côtes et en marmonnant une vague insulte. Il croisa à nouveau les yeux de Vince et leva une main en demandant.
-    Je vais répondre… Juste… deux minutes…
Mensonge.
-    Sincèrement, si tu espères t’enfuir, la prochaine fois que je t’attrape, je vais blesser autre chose que ta dignité, Lapin ! Minute... Comment tu peux savoir s'il ment ou pas?
Son cœur qui bat selon la mélodie du mensonge.
-    D'accord... Je vais supposer que ça a du sens. Et sinon, ma réponse?
-    Va te faire foutre, sale monstre. T'es de son ancienne meute, ou quoi?
Vince battit des paupières rapidement en entendant le loup-garou lui cracher ça.
Évite de lui mentir. Il le saura.
-    Qu'est-ce que ça te peut te faire? Je veux juste ma réponse.
-    Tu l'auras pas de moi!
Le loup de Londres se remit à courir dans l'autre sens, manifestement pas plus en mauvais état qu'auparavant. Le vampire émit un grognement de dépit tandis que le loup en lui soupirait.
Au moins, il est loyal... Je ne peux pas lui retirer ça.
-    C'est quoi cette histoire d'ancienne meute?
Il... a fait partie de trois meutes avant celle de Londres.
-    Trois meutes...? Mais il s'est passé quoi?
Toutes décimées... J'ai... eu si mal. A chaque fois qu'une meute mourrait, la Cage se resserrait autour de moi...
-    Du calme... Mais trois meutes... en si peu de temps...
Tellement de saisons ont passé. J'ai vu tellement de guerres. Je suis plus vieux que tu ne le crois.
-    Donc... Lui aussi.
Oui. Je suis désolé.
-    Bon, passons. Tu as toujours la trace du lapin qui nous a échappé?
Lapin est une insulte.
-    Ça t'empêche de retrouver sa trace?
Non. Tunnel de droite... Mais...
-    On est partis.
Sans plus entendre la voix intérieure qui ne trouvait plus la situation si drôle que ça, le vampire s’élança dans le tunnel de droite, laissant ses propres sens de cannibale suivre l’aura du loup. Une aura moitié déterminée et moitié apeurée. Peut-être une once d’espoir mais Vince n’en jura pas. Même s'il grignotait l'avance de l'autre sans que sa respiration ne s'accélère, le vampire devait admettre qu'il n'était pas tranquille. Une impression oppressante qui le gagnait peu à peu comme s'il se précipitait dans un piège. La sensation qu'on le regardait, aussi. Les ombres qui les entouraient n'étaient pas toutes naturelles mais impossible de voir vraiment ce qu'il en était, même en faisant taire son loup pour se concentrer sur les auras. Inutile. Les ombres se resserraient, inexorablement.
Vince freina en dérapant sur un rail. Le loup-garou devant lui s'était stoppé et essayait péniblement de retrouver son souffle. Merde! Sur quelle distance avaient-ils couru? Ou étaient-ils? Les autres loups-garous qui étaient cachés jusque là sortirent des ombres. Une petite dizaine à vue de nez. Aucun n'était vraiment une menace et Vince sentait une certaine nostalgie l'envahir. Sans doute son loup qui reconnaissait sa meute mais qui ne pouvait pas se tendre vers eux. Par peur d'être rejeté, sans doute parce qu'il était un inconnu. Ce sentiment dura jusqu'à ce qu'un homme de grande taille à la peau noire saute lui aussi au sol. Celui-là provoquait une curieuse sensation d'écrasement. Tout le monde paraissait petit à coté de lui, sans doute parce qu'ils se tassèrent tous un peu quand il passa à coté d'eux. Et à aucun moment ils ne levèrent le regard sur lui. Sauf Vince qui le regardait bien droit dans les yeux, sans aucune peur.
C'est l'Alpha.
Le Vampire se contenta de légèrement sourire en une attitude qui n'était pas provocante mais qui proclamait qu'il refusait de se soumettre.
–    j'espère que tu as une bonne raison d'être venu ici...

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13 décembre 2012 4 13 /12 /décembre /2012 21:01

 

Chapitre 17: Numb.

 

 

 

 

Simon aurait de loin préféré rester avec Anna. De très loin. Vu qu’il s’était pris un loup-garou dans la figure, Vince lui avait octroyé deux semaines de vacances pour éviter qu’il ne se sente plus mal. Et, Diable, oui, il avait eu vraiment très mal. Il avait eu l’impression que son cerveau avait ballotté dans son crâne mais les médecins lui avaient dit que non. Par contre la douleur de son arcade sourcilière lui rappelait avec véhémence ce que Papy lui avait martelé pendant des années : On ne fait pas face à un loup-garou ! On court, très vite, et on prie que le loup trouve une autre proie. Simon s’estimait béni de ne pas être mort ou dans un état bien pire qu’une arcade sourcilière bousillée, quelques ecchymoses et une dignité foutue. Il s’estimait aussi béni que son patron n’ait pas eu de blessures, bien que, depuis son retour de Londres, il était au secret. Comme il n’était qu’un servant de chasse, il ne savait pas pourquoi mais… peut-être que cela signifiait un changement de direction. Dommage. Il s’était attaché à cette canine. Sans doute parce que la Canine se souciait vraiment de lui et non pas de ses affaires.

Il soupira en poussant la porte de la morgue.

Autre règle Occardienne oubliée… Ou plutôt consciencieusement mise de côté. On ne badine pas avec les canines même s’ils ont l’air sympathique. Surtout s’ils ont l’air sympathique. C’était le meilleur moyen de se faire bouffer et limite d’aimer ça. Papy lui avait bien seriné durant toute sa formation : le but d’un Servant de Chasse, c’est de survivre. Pas de se faire sacrifier à la première couille venue.

Bon, j’en suis pas encore là… Tenta-t-il de rationaliser. Mais il savait qu’il en était déjà là. Et même bien au-delà.

Il hésita à se coller une baffe pour se reconcentrer mais se souvint, in extremis, que son visage n’apprécierait pas du tout. Ce qui fut confirmé par la totale stupéfaction du médecin légiste qui l’avait appelé.

  • Grand Dieu, Simon… Tu as rencontré un poids lourd et tu as voulu badiner avec, ou quoi ?

  • Pire, Doc… Bien pire. Un loup-garou.

  • Tu as de la chance d’être encore en vie, alors.

  • Oh, oui.

Le docteur Jarreaux était un vieux servant de la cour de Toulouse. Il n’avait plus aucune chance de devenir un vampire, le savait et s’en fichait royalement. Il faisait partie de ces rares humains qui comprenaient que l’incursion du Monde de la Nuit dans le Monde du Jour serait néfaste pour tout le monde et surtout pour les humains s’ils n’étaient pas préparés. Mais la préparation n’était pas son truc. Lui, c’était de maquiller les preuves et faire en sorte qu’une victime d’un vampire ressemble à celle d’un membre de gang armé d’un couteau. En règle générale, c’était lui qui prévenait le reste des Servants humains qu’un cadavre un peu bizarre atterrissait dans la morgue. Comme ce soir.

  • Alors, tu as un client pour moi ?

  • Oui, hélas. Mais pas une innocente victime.

Terme consacré pour les humains qui servaient de diner et qui n’y survivaient pas.

  • Quoi donc, alors ?

  • Viens voir.

Le vieux légiste, qui partirait à la retraite l’année prochaine et qui cherchait déjà son remplaçant, ouvrit l’un des casiers et tira pour dévoiler un cadavre encore sous le drap.

  • Je m’en suis rendu compte à cause des mouvements involontaires et l’absence totale de rigidité cadavérique. Au cas où, j’ai inspecté ses dents. Et j’ai bien fait. Je doute que ce petit monsieur aurait apprécié l’incision en Y.

  • Mais pourquoi il est toujours là ?

  • Je n’arrive pas à le réveiller. A supposer qu’il dorme vraiment… J’ai déjà eu le cas d’un petit monsieur qui trouvait très amusant de se planquer dans les funérariums pour attaquer le croque-mort alors qu’on l’embaumait. Personnellement, je trouve ça drôle, surtout parce que je reste persuadé que ces messieurs des pompes funèbres font du travail de sagouin. Mais bon… J’aimerais profiter de ma retraite.

  • Oui, je comprends.

Simon souleva le drap et dévoila la tignasse rousse et noire du vampire. Débarrassé du gel qui les faisait tenir en l’air, de ses vêtements noirs et de ses bracelets à pointe, le vampire avait l’air… inoffensif. Presque vulnérable. Seules ombres au tableau, la marque encore noircie sur sa tempe et la cicatrice sur son bras qui se résorbait lentement.

  • Comment il est arrivé là ?

  • Fusillade à Matabiau. Deux morts, dont lui, et un blessé humain. J’ai extrait la balle et…

  • Et ?

  • Balle à fort pouvoir pénétrant et à haute vélocité, imprégnée de sodium pur, à moins que le cœur n’en soit.... Il n’en restait que des débris dans son bras qui était un véritable hachis quand il est arrivé. Il va falloir des jours à la scientifique pour la reconstituer. Enfin… Lui a eu du bol. Elle, par contre…

  • Elle ?

  • L’autre morte. J’ai fait le coup de la famille témoin de Jéhovah qui ne souhaite pas l’ouverture du corps et qui l’a exigé immédiatement : Elle est arrivée en cendres dans son sac.

  • Comment tu sais que c’est « une » vampire alors ?

  • Rapport de police. Une petite blonde adolescente d’après les témoins.

  • Oh merde…

Cette fois-ci, il ne put s’empêcher de se taper la tête contre les tiroirs métalliques et manqua s’évanouir devant la fulgurance de la douleur qui lui martela le crâne.

  • Tu les connais ?

  • Les deux nouvelles acquisitions du Maître. Cour Levante, tous les deux.

  • Donc… Ce n’est pas un gamin vampire qui se croit définitivement mort parce qu’il ne sait pas où il en est et pas un détraqué du cimetière.

  • Non. Il les aime vivantes, bien chaudes et bien portantes.

Simon approcha la main du visage du vampire et tapota prudemment sa joue.

  • Monsieur ? Monsieur… Il va falloir partir de là : le soleil se lève dans une ou deux heures.

Aucune réaction. On était pourtant encore de nuit donc le vampire faisait exprès de ne pas entendre et de ne pas répondre.

  • Monsieur, vous êtes entouré de servants et je suis chargé de vous mettre en lieu sûr. Vous avez soif?

Toujours pas de réaction. Simon songea qu’il faudrait peut-être l’exfiltrer en sac et c’était bien le pire des scénarios. A cette heure-ci, les pompes funèbres qui étaient tenues par un autre servant étaient fermées et le servant en question devait dormir.

  • Doc ? Vous avez du sang en bouteille ?

  • Non, pas ici. Mis à part pour les analyses en cours et je doute que ces messieurs de la criminelle apprécie que je perde les pièces à conviction.

  • Merde.

De sa poche, il prit son canif et se résolut à s’entailler le bout des doigts. L’odeur du sang le réveillerait surement.

  • Pas la peine…

Mon dieu… Même sa voix était empreinte de vulnérabilité et jamais auparavant il n’avait eu l’air de son âge à sa mort. Et même plus jeune. Un gamin qui avait l’âge de son grand-père, grandi trop vite et enfin rattrapé par sa jeunesse. Ironique pour un vampire.

  • Monsieur ? Vous allez bien ?

  • Elle est morte ?

  • Oui, monsieur.

Ce type était un assassin. Charles les avait bien chapitré sur ce point : ne le prenez pas pour autre chose qu’un tueur de sang-froid, il ne sait faire que ça. Avec un petit rajout pour les membres féminins de son équipe de servants : interdiction de lui céder. Les Servants de chasse n’étaient pas des diners. A la décharge de l’assassin, il n’avait pas cherché à croquer ses collègues même si certaines étaient diablement appétissantes.

  • Que s’est-il passé ? pourquoi je ne suis pas mort ?

Ce fut le docteur Jarreaux qui répondit avec un ton à la fois professionnel et compatissant.

  • La première balle a été stoppée par l’os de l’épaule et s’est écrasé là, sans faire plus de dommages. Si vous aviez été humain, vous auriez perdu le bras. Quant à la seconde, elle vous a effleuré le crâne, sans pénétrer l’os. La demoiselle n’a malheureusement pas eu cette chance pour ce que j’en sais.

  • C’est… rentré par sa tempe, juste au-dessus de l’oreille et… C’est ressorti…

La douleur sur son visage était poignante. Il ne pleurait pas mais sans doute parce qu’il avait trop faim pour avoir de quoi pleurer.

  • Qu’est-ce… qu’on est censé dire dans ce cas, Servant ?

  • On retrouvera le salopard qui a fait ça, Monsieur. Je vous le promets.

  • Merci… mais…

  • Le Maître m’a chargé de l’enquête. Ceci dit, je pense qu’on vous laissera le soin de l’élimination.

Petit mensonge. Sigur ne lui avait rien ordonné, sans doute parce que le Bagis était plongé dans le silence depuis cette nuit mais Simon ne doutait pas un instant qu’avec un peu de diplomatie il arriverait à magouiller ça. Quitte à faire jouer l’influence de Vince.

  • J’ai mal…

  • Balles au Sodium, monsieur. On vous visait directement, pas la foule autour, même si on fera croire à un attentat aveugle. Il va vous falloir du temps pour vous en remettre complètement.

Si la faiblesse des loups garous était l’argent, celle des vampires était le sodium et tous ses dérivés. Le sodium était un poison violent pour les quenottes. Fort heureusement, sa forme la plus courante, le sel, était à peine cause d’une irritation et d’une humeur exécrable quand ça passait dans le sang, le sodium pur était l’équivalent du polonium pour les humains. Un poison mortel. L’assassin avait eu de la chance que la balle lui ait juste éraflée l’os du crâne. Un simple contact avec le cerveau et il aurait été incapable de guérir, ni même de parler. Mais son inertie présente était compréhensible. Le sodium lui pompait toute son énergie et il avait du tout utilisé pour soigner son bras et le haut de sa tête. Sans oublier qu’il devait ressentir la douleur fantôme pendant plusieurs jours. Voire plus.

  • Je ne veux pas rentrer sans Sona…

Le docteur Jarreaux intervint à nouveau.

  • J’ai… mis ses cendres dans une petite urne temporaire… J’ignore comment traiter la demoiselle avec tous les égards alors…

  • Vous avez bien fait. Je veux l’urne.

Sa voix était redevenue normal pour lui. Un mélange d’agressivité sensuelle et de colère. De quoi faire obéir n’importe qui. Aussi le médecin légiste ne se fit pas d’avantage prier pour courir à son bureau. Quand Simon se retourna vers le vampire, celui-ci essayait de se relever mais dés qu’il s’appuyait sur son mauvais bras, il gémissait de douleur et retombait lourdement.

  • Laissez-moi vous aider.

  • Non !

Il darda ses yeux verts sur Simon… ou plutôt sur son cou.

  • J’ai trop faim pour ne pas te mordre et je sais que le monstre ne me le pardonnerait pas…

  • Le… monstre ?

  • L’héritier. Je nierais l’avoir appelé « monstre ».

  • Je nierais l’avoir entendu.

Le Servant de chasse soupira. Encore une sale nuit qui finissait…

 

 

 

 

 

Il y avait des choses que même le Premier Grand Prédateur ne voulait pas faire. Non pas que la tâche soit en dessous de lui, au contraire, non pas qu’elle fut longue ou fastidieuse, ce serait sans doute très rapide, mais bien parce que renouer avec une créature qui était son égal mais pas dans le même camp et qu’il avait croisé brièvement quelques siècles ou millénaires auparavant lui semblait… inepte. Ni lui ni l’autre n’avaient entretenu le contact pour des raisons somme toute évidentes. Que ce soit Sigur ou son homologue, ils avaient leurs territoires, leurs ouailles et leurs esclaves à gérer et en papoter avec l’autre… ce serait avouer une faiblesse. Intolérable pour tous les deux, même si le Premier Loup l’aurait pris avec plus de bonhomie et de fatalisme que lui qui en était resté à l’ironie mordante, faute de trouver un goût de sucre aux épreuves qu’on leur envoyait.

Et pourtant, il était bien obligé de renouer avec cette boule de poils alors que tout deux ne devaient rêver que d’étriper l’autre. Et peut-être même pour les mêmes raisons. Il avait fait jouer ses relations et obtenu l’identité actuelle de son interlocuteur ainsi que son numéro de téléphone, son adresse postale, pas de mail parce que celui-ci n’en avait pas mais il avait une boite commune avec sa meute, or Sigur ne souhaitait pas communiquer avec toute une putain de meute. Surtout celle du Fenris. Vu ce qu’était le Fenris, nul doute que tous les loups de sa meute soient aussi prompts à lui tomber sur le râble pour apporter sa tête à leur alpha chéri que sa propre cour en aurait fait de même s’ils avaient pu. Après tout, ils étaient des chefs de guerre tous les deux…

Il se décida à décrocher son téléphone et à composer le numéro, espérant un peu tomber sur un répondeur pour pouvoir justifier de raccrocher et de ne pas s’en occuper parce que son interlocuteur n’était pas disponible et non, il ne laisserait pas de messages. Manque de chance, les Dieux avaient sans doute décidé de lui faire une petite crasse puisque la communication fut établie en à peine deux sonneries.

  • Oui ?

  • Fensi Wilk ?

  • Lui-même. Comment vas-tu… Victor, c’est ça ? C’est bien ton nom actuel ?

  • Oui, c’est ça. Pendant un instant, je pensais me moquer de ta propension à mettre le mot loup dans tous tes noms d’emprunt mais je viens de me rendre compte que je fais la même…1

  • Guère étonnant, si tu me passes le fait de jouer au psy de comptoir. Nous nous raccrochons toujours au passé comme les bonnes vieilles antiquités que nous sommes.

  • -Peut-être. Pourquoi ai-je l’impression que c’est plus facile pour toi que pour moi ?

  • Parce qu’il y a beaucoup de déclinaisons du mot loup dans toutes les langues, sans doute ?

  • Non, je parle de cette conversation. J’ai comme l’impression que tu l’attendais.

  • Pas tout à fait, je la redoutais en fait. Mais je suis sincèrement heureux que tu ais fait le premier pas.

De la part d’un autre, cette phrase aurait été accueillie assez cyniquement par Sigur qui en aurait profité pour dépoussiérer ses plus terribles insultes masquées pour un jeu à deux. Mais le Fenris _ pardon, Fensi _ était vraiment sincère. Les loups ne mentent pas en règle générale, mais pour l’Alpha des Alphas, c’était une vertu cardinale. Il n’était pas diplomate pour deux sous et quand il vous disait qu’il était sincèrement heureux, c’est qu’il l’était réellement. Et Sigur se souvint pourquoi ce simple coup de fil allait être une épreuve pour lui… Fensi n’avait aucune malice. Aucune. C’était aussi perturbant que contagieux.

  • Euh... Et bien... Tu devines pourquoi je t’appelle?

  • Au son de ta voix, en partie. Je me doute que ma Reine des fées et la tienne n’ont rien dit, mais il y en a un qui ne peut pas se contenir avec de telles nouvelles…

  • Le Prince de l’Equilibre t’a contacté ?

  • Non. Il aurait dû ?

  • Mais qui alors ?

  • Oh, c’est… disons quelque chose que je n’ai pas envie de révéler. Disons juste que c’est un ami avec qui je partage une bonne bouteille d’un siècle sur l’autre. Mais mis à part m’annoncer que quelque chose de grand allait avoir lieu bientôt, il n’en a pas dit plus. Et je sais que tu ne me diras rien à moins d’y avoir une bonne raison. Ou l’occasion de contracter une créance sur moi.

  • Vrai… Attends deux minutes.

Mis à part avec le Fenris, Sigur n’avait jamais quitté la conversation en plein milieu pour réfléchir. Il essayait d’avoir toujours plusieurs coups d’avance. Mais cette fois-ci… Le néant. Le néant le plus absolu parce que des puissances bien plus grandes manipulaient les pions qu’ils étaient, lui et le Fenris. Des pions de plusieurs millénaires, capables chacun de mettre la terre entière à leurs bottes et qui ne l’avaient pas fait. Pourquoi ? Pour le Fenris, la raison était simple : il était amoureux des Hommes et malgré tout ce qu’il avait subi de leur part, cet amour n’avait pas varié d’un iota. Pour Sigur, c’était différent. Se lancer dans une guerre de conquête aurait été facile et la victoire aurait été assurée. Cela aurait pris du temps, sans aucun doute, mais l’humanité aurait été à lui… S’il l’avait voulu ainsi. Mais c’était… Non, il avait préféré se compliquer gentiment la tâche en voulant une humanité soumise certes, mais surtout voulant l’être.

Les puissances qui les manipulaient dans l’ombre avaient-elles conscience de ce qu’elles manipulaient ? Et pourquoi ? Tant de question pour lesquelles il n’y avait aucune réponse à sa portée, pas plus qu’à la portée du loup millénaire qui patientait en sifflotant à l’autre bout du fil. Victor soupira et prit sa décision.

  • Les Reines veulent révéler leur existence au Monde du Jour.

Il y eut un long silence. Fensi avait arrêté de siffloter et se contentait de respirer calmement. Il n’y eut que le bruit de leurs extérieurs à tous les deux. La forêt semblait-il pour Fensi et la ville pour Sigur. Le temps passa en vaines expectatives.

  • Quand ?

  • Aucune idée.

  • Bientôt, donc.

  • Sans aucun doute.

  • Pourquoi me l’avoir dit ? parce que tu n’as posé aucune condition pour le moment.

  • Et je n’en poserais pas. Cette… Situation va tous nous plonger dans le chaos… Déjà que…

  • Oui, je suis au courant de ta guerre avec le Serpent à Plumes.

  • Comment… ? Non, en fait, pour le moment, je m’en fous. J’y reviendrais, sois-en sur. La question est : Comment on gère ça, toi et moi ?

  • Sigur… Ce n’est pas comme si nous nous préparions depuis des siècles à cette possibilité…

  • Sauf que jusque là, c’était un jeu ! Nous nous amusions chacun de notre coté à imaginer ce que ça allait impliquer et nous tirions des plans sur la comète. Je ne sais pas comment tu imaginais ça, mais personnellement, je serais bien resté dans l’ombre quelques siècles de plus.

  • Comme nous tous. Ce sera brutal et il sera impossible de revenir en arrière. Enfin… Heureusement que le mythe du vampire et celui du loup-garou sont connus de tous.

  • Et dans quelles conditions, par les Dieux ! Tu es conscient que la seule œuvre globalement connue qui parle en bien de vampires et de loups-garous nous présentent comme brillant au soleil et vous présentent torse nu en permanence ?

Le silence sur la ligne fut celui de la stupéfaction outrée.

  • Tu l’as lu ?

  • Non, j’ai demandé à mon secrétaire particulier de m’en faire un résumé.

  • Mais que t’as fait ce pauvre garçon pour mériter une telle punition ?

  • Fensi…

  • Pardon. Tu as raison. Je crains qu’il ne faille travailler de concert… Et faire jouer nos connaissances humaines de haut niveau. Ecoutes, Sigur. Je vais essayer de pondre un plan à peu prés correct de mon coté, tu fais de même et on se recontacte la semaine prochaine ?

  • Il faudra bien… Fensi, je ne t’appelle pas que pour ça.

  • Je m’en doutais.

  • C’est… Il s’est passé quelque chose chez un de mes vampires que je ne comprends pas.

  • Et qu’est-ce qui te fait croire que je peux t’aider à y comprendre quelque chose ?

  • Cela implique un de tes loups.

  • Ah.

  • Mon vampire l’a presque vidé de son sang.

Le souffle qu’il entendit à l’autre bout du fil fut éloquent. La colère, bien sûr, mais tempérée par la volonté de rester calme. De rester diplomate malgré le casus belli.

  • Je… Je veux ce vampire. Il doit être jugé selon nos lois pour avoir attaqué un loup pour en prendre le sang.

  • Avant que tu t’excites, Fenris, C’est un cannibale. Il ne l’a pas attaqué pour le sang.

  • C’est une plaisanterie ?

  • Non.

  • C’est…

Autre silence éloquent sauf que cette fois-ci ce n’était pas la colère mais la confusion.

  • Je me demandais quel loup m’espionnait… Bien joué, Fenris. L’avoir briefé sur le contentieux entre moi et la Bête, c’était brillant ! Siffla Victor la voix pleine de fiel.

  • Attends une minute, Sigur…

  • Il est à l’hôpital de Harrowfield en Angleterre. Tu as dix minutes pour le récupérer avant que je ne donne l’ordre de son exécution…

  • J’ai dit : attends une minute !

La voix du Fenris était devenue un grondement menaçant. Décidément, il était impossible que ces deux-là ne se parlent sans se hurler dessus. Cependant, Sigur accepta momentanément d’écouter l’Alpha des Alphas.

  • Je sais de qui il s’agit… Ou plutôt de quelle meute. Ils avaient ordre de surveiller les cannibales. Pas toi. Et je ne lui ai jamais parlé de la Bête.

  • Il m’a dit qu’elle était sur mon territoire.

  • Merde !

  • Je suis prêt à ne pas lancer la guerre si tu me dis ce qui arrive à mon cannibale.

  • Il n’est pas mort ?

  • Non, mais il… Ses yeux…Merde, comment dire ça… L’iris est celle d’un loup mais le blanc de l’œil est noir.

 

 

 

 

 

 

 

 

C’était une bêtise. Clara s’en rendait compte, maintenant. Comment ne pas s’en rendre compte, franchement, vu qu’elle était plaquée au sol par une créature qui, certes avait l’aspect de Vince mais pas vraiment son comportement. Si elle avait su que son humanité ne la protègerait pas, elle serait sagement restée en haut à regarder Vince paniquer complètement et à tenter de détruire les murs. Mais elle avait cru que son cœur qui battait et le sang chaud qui lui courait dans les veines la protégerait de la fureur d’un cannibale. Était-il possible qu’il fut redevenu simple vampire ? Peut-être. Mais bon… Les explications ne lui sauveraient pas la vie alors, elle ferma les yeux et attendit le coup qui devait la tuer.

  • A envie de mourir ? Gronda Vince avec une parodie de sa voix.

Elle risqua un coup d’œil et vit le monstre plus interloqué qu’ironique. Peut-être un reste de son ami.

  • Non. Mais je sais que je ne peux pas survivre.

  • Pourrait se débattre.

  • Pour quoi faire ? Je n’ai pas la force pour t’échapper.

  • Vrai. Peux pas te tuer.

Elle ouvrit complètement les yeux pour le regarder en face, lui et ses crocs de vampires qui dépassaient de sa bouche entrouverte, ses yeux qui avaient cessé d’être humain pour avoir l’iris d’un husky et le blanc de l’œil complètement noir et sa poitrine qui se soulevait régulièrement dans un souffle puissant et parfaitement contrôlé. Il était toujours magnifique mais dans un style plus sauvage et incontrôlable. Sans oublier que ses ongles lui perçaient les poignets et les déchireraient si elle bougeait trop.

  • Que s’est-il passé ? Murmura t’elle, pas très sur de sa voix qui tremblait.

  • Mort.

  • Non, tu es là, tu vas bien.

  • Voulue. Pas réussie. Ou… Voulu partir ? Sais plus…

La poigne qu’il exerçait sur elle se relâcha un peu. Pas de quoi s’enfuir mais suffisamment pour qu’elle puisse bouge pour se mettre à son aise. Enfin… presque. Vince était tellement dans la confusion qu’il gémissait sourdement en se mâchonnant la lèvre. Avec les couteaux qui émergeaient de sa gencive, le sang coula bientôt en un petit filet carmin.

  • Encore enfermé… Encore enfermé… Marmonnait-il avec une voix qui s’amenuisait en sons aigus et sanglotants.

  • Calme-toi, tu es en train de te faire du mal… Vince, écoute-moi… Il faut que tu te calmes…

Il la lâcha, en proie à une émotion irrépressible qui montait en lui sans le lâcher et l’enveloppait comme un carcan. La terreur. Clara se demanda ce qui pouvait l’effrayer autant. Surement pas elle, vu qu’elle était à sa merci mais quelque chose autour de lui l’oppressait tellement que les gémissements se muèrent en cri et ce cri en un hurlement dévastateur. De quoi faire trembler les murs. Si elle n’avait pas eu sous les yeux, elle aurait pu croire qu’il hurlait de rage mais c’était bien de la terreur. Et pourvu qu’il se calme parce qu’elle n’y survivrait pas sinon.

  • S’il te plait, Vince…

  • Sortir… Sortir… Faut sortir…Toujours enfermé !

La porte s’ouvrit en grand sur deux vampires armés dont Christophe, le secrétaire en second. Clara se dit que tout ça allait très mal finir si elle n’intervenait pas tout de suite. Elle regarda les deux qui ne savaient pas ou pointer leurs armes et cria :

  • Reculez ! Partez tout de suite !

Autant limiter les dégâts, non ? Mais l’attitude de Christophe changea jusqu’à devenir menaçante. Etonnant de la part d’un gratte-papier, mais il fit tomber le chargeur de son pistolet et en mit un autre qu’il avait pioché dans la poche intérieure de sa veste. Puis il tira trois fois. Trois fois. Deux balles pour Vince qui les prit de plein fouet et une pour Clara. La jeune femme ne s’était jamais faite tirer dessus auparavant, sans doute parce qu’elle n’en avait jamais eu l’occasion et, sincèrement, c’était une expérience qu’elle n’avait pas souhaité. L’impact était douloureux, comme quand elle s’était pris le sabot d’une vache dans le ventre mais en bien pire. Et la sensation de brûlure qui partait du point d’impact jusqu’à… Jusqu’à tout le reste. Elle ne comprenait pas comment certaines personnes pouvaient se faire tirer, ne rien sentir sur le moment et seulement se rendre compte cent mètres plus loin qu’il pissait le sang. Mais où la balle était rentrée ? Allait-elle survivre ? Et Vince… ? Et Victor… ?

Une quatrième détonation retentit dans la salle et du coin de l’œil, Clara vit que Christophe avait abattu de sang-froid le vampire à côté de lui d’une balle dans la tête. Il mettrait du temps à se régénérer. Tout comme Vince sans doute.

  • Il fallait choisir entre la Première Dame et l’Héritier. Quel dommage, Monsieur Paul, que vous tiriez si mal.

Quoi ? Oh… compris. Christophe avait attendu une occasion et il avait trahi. Pauvre idiot… même si Vince et elle y passaient, et elle était bien partie pour, Victor, lui, annihilerait tout le monde sur son passage. Enfin… peut-être… Peut-être qu’il s’en remettrait au final. Après tout… Cela ne faisait même pas une année… Qu’ils se connaissaient… Ce devait être habituel pour lui d’avoir… et de perdre… Une parmi tant d’autres. Dieu que la douleur était atroce. Elle en haletait pour éviter de hurler mais elle sentait une sorte de gargouillement dans sa respiration. Oh. Malheureusement, il semblerait que le poumon soit atteint. C’était fatal, ça, non ? Impossible de se souvenir si c’était fatal, son esprit commençait déjà à lui jouer des tours. La mort était au bout du chemin. Elle se mit à ricaner entre deux bulles de sang et en sentant Vince s’abattre sur elle, brûlant de fièvre. Peut-être allait-il mourir lui aussi.

J’aurais voulu… lui dire que ces quelques mois avec lui étaient la plus belle période de ma vie… Mais je n’ai jamais osé de peur, qu’il se moque. Il est si cynique ! Tant pis pour moi…

La douleur cessa tout à coup et Clara sut que ce n’était pas bon signe. Tant qu’on a mal, on est en vie. Sans la douleur… et bien la conclusion s’imposait d’elle-même. Bon, et bien… Plus qu’à attendre la lumière blanche ou le gouffre de feu, à moins que tout s’arrête. Elle n’existerait plus et, étrangement, elle comprenait à ce moment-là tous ceux qui espéraient en la survivance de l’âme, la réincarnation… Tout ce que promettait la religion en somme. Penser qu’il ne resterait rien de sa pensée ou plutôt qu’elle ne se rendrait même pas compte qu’elle était morte… Voilà qui était perturbant. Il y avait de quoi avoir peur mais elle se refusait de se convertir sur ses derniers instants. On peut appeler ça de l’obstination, ou de la bêtise si on veut… Clara voyait ça comme du respect.

Je me suis peut-être trompée. J’en ai conscience mais Dieu ne voudra sans doute pas d’une âme sauvée in extremis par la peur.

Quand la douleur revint en force, elle ne put s’empêcher de crier malgré sa respiration difficile. Peut-être qu’on lui avait à nouveau tiré dessus ? Mais elle n’avait rien entendu et elle préféra ouvrir les yeux pour constater elle-même la situation. Ce n’était plus le visage si parfaitement symétrique de Vince qu’elle avait sous les yeux mais une gigantesque tête de loup. Un loup qui la regardait gravement et avec un reste de compassion tapie dans ses yeux blancs aux éclats de saphir. De la compassion qui se muait lentement en désespoir. Le loup ne semblait pas se rendre compte que l’une de ses oreilles était portée absente, ne laissant qu’un peu de cartilage ensanglanté.

  • Clara !

L’once de panique dans la voix de Victor lui réchauffa le cœur autant que ça la blessait. Elle n’aimait pas le voir en colère ou déçu ou malheureux… Sauf si elle l’avait fait exprès. Elle vit la fourrure noire du loup s’écarter d’elle et Victor se précipiter pour la soutenir. Si elle avait eu un peu plus de force, elle aurait levé la main pour lui caresser la joue et le rassurer. Eh, ce n’est pas si grave, ce n’est que Clara… Tu en trouveras une autre très bientôt, ne t’en fais pas.

  • Je… ne veux pas te laisser partir. Pas maintenant.

Mais tout devenait de plus en plus noir. Elle glissait et ce serait bientôt fini.

Tout le monde était si concentré sur la Première Dame et sa mort que plus personne ne faisait attention au loup noir. Aussi, il sortit calmement par la porte laissée ouverte, le cœur oppressé par la perte de Clara mais incapable de faire autre chose que de s’éloigner.

Le Bagis était en pleine confusion. Tout le monde criait, paniquait, courrait dans tous les sens et personne ne fit attention à cette monstrueuse créature qui marchait d’un pas lourd et la tête basse. Personne ne sentit la fourrure noire lui frôler les jambes et personne ne vit les traces de sang qu’elle laissait dans son sillage. Les blessures étaient douloureuses mais le loup ne gémissait pas. Pas plus quand ses griffes se rétractèrent et redevinrent de simples ongles au bout de doigts humains. Personne ne vit le cannibale complètement nu émerger de la peau d’un loup aussi facilement que s’il quittait un manteau. Personne.

Et c’était tant mieux.

Arrivé dans sa chambre, il fit jouer les muscles de son cou, un peu plus douloureux que le reste, mais la balle qui fut expulsée de sa nuque ne lui arracha pas un cri. En fait, elle tomba au sol dans la plus totale indifférence. Ce n’était qu’un minuscule bout de métal creux après. Un bout de métal qui n’avait même pas explosé sous l’impact répandant son poison.

Pourquoi nous enfermer ?

  • Parce que je le peux.

Je veux sortir.

  • Tais-toi…

Sors-moi de la Cage…

  • J’ai dit : Tais-toi !

Vince inspira une fois… Deux. Lentement, très lentement. En buvant le sang de Ben, il avait avalé le loup en lui. Cette bête méprisable qui lui avait rendu la vie impossible était maintenant dans son corps à lui et gémissait sourdement. Hors de question qu’il la laisse sortir et surtout après le moment de pure folie ou cette… chose avait sauté sur Clara. Certes, elle ne l’avait pas tuée mais elle l’avait mise en danger.

C’est faux, je…

  • TAIS-TOI !

Plus aucun bruit dans sa tête mis à part celui d’une respiration paniquée qui essaye de se faire oublier. Tant mieux. Vince essayait de ne pas penser que Clara était morte puisque cela donnerait une occasion au monstre de revenir en force et de prendre le contrôle. Avant, il faudrait être sûr de pouvoir la bloquer durablement. Ben l’avait fait pendant quelques années, il faudrait juste qu’il lui montre comment faire. Et peut-être que… Après tout, il l’avait débarrassé de la sale bête. Ca méritait bien une petite récompense, non… ?

Tout ce qu’il te fera c’est du mal ! Ne l’écoutes pas, il…

D’un geste violent, il saisit la première chose un peu effilée qu’il trouva, en l’occurrence un stylo, et se l’enfonça dans la paume avec la satisfaction d’entendre le loup glapir de douleur aux tréfonds de sa conscience.

  • Une autre remarque… ?

Mais la bête se tint coite, juste quelques gémissements de douleur quand il arracha le stylo de sa main et le balança dans la poubelle.

  • Maintenant que nous sommes d’accord sur ton silence, Saches que je n’aurais aucun remord à recommencer. Tu la boucles et c’est tout.

Toujours aucun bruit. La bête avait dû comprendre.

Il attrapa en vitesse un jean et un T-shirt qui trainaient dans son armoire avant de poser à nouveau sa main sur son torse à l’endroit exact du cœur, toujours émerveillé de sentir les pulsations régulières. Il respira plus vite, puis bloqua complètement son souffle pour le sentir changer de rythme. Un cœur vivant… Si un jour il avait pensé que ce simple battement lui apporterait la paix.

Allez, assez rêvé. Il avait beaucoup de choses à faire et après… après, il pourrait pleurer. Il attrapa le combiné du téléphone et tapa de mémoire un numéro.

  • Simon ? Murmura-t-il en entendant qu’on lui répondait. Juste une question et je te laisse à tes vacances : Comment je fais pour organiser mon transfert jusqu’à Londres en plein jour ? Je dois y être au plus tôt.

1Sigur signifie victoire en islandais et Wilk signifie Loup en polonais.

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25 novembre 2012 7 25 /11 /novembre /2012 00:41

 

Chapitre 16: Falling to pieces...

 

 

 

Victor avait tenu à l'avoir toujours en vue malgré le jour qui s'était levé et la torpeur contre laquelle il avait lutté jusqu’au crépuscule. Il savait qu'il allait d'être d'humeur massacrante toute la nuit et les suivantes. Et si ce n'était que de devoir faire un jour blanc... La dernière fois qu'il avait vu son cannibale dans cet état, et bien c'était la nuit après sa mort. Une hébétude totale... Et puis, il s'était endormi, ce qui était impossible pour un cannibale. Endormi mais secoué de soubresauts incontrôlables et gémissant à intervalles réguliers. Il devait rêver et c'était encore quelque chose d'impossible. Les rêves, mis à part les visions que certains faes facétieux leur envoyaient, n'étaient plus accessibles aux vampires. Pour sa part, Victor reprenait le compte de sa nuit et extrapolait pour ne jamais être pris au dépourvu. Et là, il venait de se faire surprendre. De très belle façon.

Et il avait horreur de ça.

Il délaissa un instant la baie vitrée d'où il observait Vince pour répondre aux trois coups discrets sur la porte en l'ouvrant. Clara entra, le visage crispé par l'appréhension.

  • Ça s'améliore...?

  • Non.

Elle soupira et lui reprit son poste d'observation. Elle se glissa dans ses bras, sure qu'il ne la repousserait pas. Après tout, lui aussi avait besoin de tendresse. La preuve, il la serra un peu contre lui avant de lui embrasser le sommet du crâne.

  • Grâce à Charles, j'ai eu la compilation des rapports.

  • Que ce soit toi ou Vince, j'aimerais que vous arrêtiez de glisser le nom de Charles à tout bout de champs. Je sais ce qu'il fait et ce qu'il ne fait pas. Je sais qu'il est très bon dans ce qu'il fait et il n'a pas besoin de publicité.

  • Ouh... grognon...

  • Désolé. Alors?

  • Alors, l'hôpital a été nettoyé mais on a laissé Ben là-bas. C'était plus sur. Aucun indice sur qui les a attaqué, ni même sur la raison de la présence de Ben en Angleterre... Par contre, Ben avait une sacrée plaie au cou. On a fait croire que c'était une coupure mais c'était une morsure.

Victor jura à voix basse.

  • Victor... Je pense que c'est Vince qui l'a mordu.

  • C'est impossible.

  • Mais...

  • Son sang est trop chaud. Et c'est un loup-garou. Un cannibale trouverait ça immonde.

  • Impossible... (Elle tapota la vitre en direction du vampire qui s'agitait toujours.) Je crois qu'on a déjà une belle dose d'impossibilité. Son cœur s'est remis à battre. Il respire. Mieux, il a besoin de respirer. Il dort. Mal, mais il dort. Bordel, Victor, il...

  • Je sais.

  • Les cannibales en sont capables?

  • J'ai vécu longtemps, Clara. Je n'ai jamais vu aucun vampire avoir ces symptômes. Jamais.

Elle le serra plus fort contre lui. Pas pour le rassurer mais pour se rassurer, elle.

  • Je savais que ça allait mal finir...

  • Comment ça?

  • Un pressentiment. Et je me demande...

Elle s'écarta un peu et saisit son portable dans sa poche pour y taper un numéro. Au bout de deux sonneries, son correspondant lui répondit par-dessus une musique trop forte et des cris joyeux.

  • Je... J'avais une... Mais tu es où?

Elle attendit quelques secondes qu'il sorte au dehors et soupira avant de parler à nouveau.

  • Tu étais là. Tu étais forcément là. Je veux savoir ce qu'il s'est passé.

Elle avait beau tendre l'oreille, elle n'entendit que le silence de l'autre et le bruit de la rue.

  • Ne me force pas à te demander ça encore une fois...

Mais seul le bruit d'un coup de feu lui répondit, suivi d'un hurlement de douleur.

En contrebas, Vince ouvrit les yeux et se recroquevilla sur lui-même. Il plaça les mains sur ses oreilles en gémissant.

  • Shhh... Pas de bruit... Pas de bruit...

Il essaya de déplier ses jambes en faisant le moins de bruit possible mais le moindre froissement l'obligeait à s'arrêter et à ne pas respirer pour vérifier qu'on ne l'avait pas entendu. Peut-être qu’il pourrait s’enfuir avant que les Autres réagissent… Les Autres. Ceux qui le regardaient de là-haut et qui le mettaient vraiment mal à l’aise. La cage avait beau être en verre, c’était toujours une cage… Plus jamais de cage, plus jamais… Plus jamais ne se laisser enfermer même si…

Il se remit à gémir sourdement en sentant la vieille douleur lui tordre le cœur. Ca ne passait pas, ça ne passerait sans doute jamais et la peur sourde qui se rajoutait comme une chape de plomb sur son dos l’empêchait de respirer correctement. Il faudrait bientôt qu’il s’échappe, le plus loin possible, le plus vite possible.

  • Fichu trouillard…

Il leva les yeux, espérant que les Autres ne le regardaient pas mais fut happé par le regard de l’homme. L’inquiétude, la surprise, puis la peur. Oui, il l’avait vu. Vince détourna le regard aussi vite et chercha des yeux un endroit pour se soustraire à cette surveillance. Mais rien, mis à part se cacher sous le lit, ne lui permettait un peu d’intimité. Il se remit à gémir faiblement pour ne pas hurler.

  • Je veux sortir…

 

 

 

 

 

Après des années à avoir été les jouets délicats et délicieux de vampires puissants et sans scrupules et à rester murés dans les cages dorées des palais romains, Sonatine et Allegro trouvaient la vie nocturne des grandes villes enivrante et fascinante. Ils devaient parfois se faire violence pour rentrer à l’arrivée des premiers rayons de soleil. Combien de fois avaient-ils été bloqués comme deux dents de lait inconscients des risques et obligés de demander à un servant humain de les transporter en sécurité ? Peut-être que cette nuit, ils en feraient autant. Sonatine ne paraissait pas assez vieille pour rentrer en boite mais elle avait assez de charme pour entortiller n’importe quel videur autour de son petit doigt. Aussi ne s’en était-elle pas privée ce soir-là pour pouvoir danser et boire avec Allegro, peut-être un petit couple qu’ils laisseraient avec une sérieuse anémie, une gueule de bois carabinée et des étoiles dans les yeux. Après tout, ils avaient l’habitude de soigner le chaland. Ils avaient été éduqués pour ça. Mais ce soir, c’était fête. Même si Allegro n’était pas particulièrement dans l’esprit de faire la fête mais plus de prendre son courage à deux mains et d’arrêter de jouer au grand frère protecteur avec une vampire qui était aussi vieille que lui et envers qui il n’avait jamais eu le moindre sentiment fraternel. Mais bon. A force d’avoir été utilisés contre leur gré et avant qu’ils n’aient pu se lasser de vivre, ils avaient tous deux un sacré arriéré d’expériences à vivre. Allegro avait pensé qu’il aurait le temps. Après tout, l’immortalité, ça sert à ça. A temporiser pour se donner l’excuse qu’on ne fait pas d’erreur alors qu’en fait, on est juste un grand trouillard.

Cette nuit, ça allait changer. Il se ferait peut-être rembarrer assez méchamment ou pire : « je ne veux pas gâcher notre amitié… » Mais au moins, il l’aurait fait. Il dirait à Sonatine, SA Sonatine qu’il la voulait à ses côtés et pas que comme ami… Pour le temps qu’elle estimerait raisonnable. Après tout… Promettre l’éternité, c’est un truc de mortels qui n’ont que cent ans d’espérance de vie, ça.

Et c’était le Cannibale qui l’avait convaincu de tenter sa chance. Pas parce qu’il était un rival potentiel… Et Allegro comprenait pourquoi Sonatine avait flashé dessus… Elle adorait les sensations extrêmes et le danger permanent. Vivre en couple avec un Cannibale, c’était comme faire du funambulisme sur une lame de rasoir avec une grenade à fragmentations dégoupillée dans chaque main. Sonatine ne pouvait que s’intéresser à lui, ce salopard. Sans oublier que Vince avait un point commun avec la génitrice vampirique de Sonatine : une habitude alimentaire qu’on n’aurait pas pardonné à d’autres. Dommage qu’elle fut morte, Allegro se serait presque laissé tenter par la compagnie d’une veuve noire. Évidemment, le Cannibale n’avait rien dit à Allegro. C’est à peine s’ils s’octroyaient un hochement de tête quand ils se croisaient en temps normal alors une discussion sur les peines de cœur de l’assassin… Mais Allegro avait une capacité que beaucoup, s’ils l’avaient su, lui envieraient : Pouvoir se glisser dans l’ombre de quelqu’un et l’espionner. Sans pouvoir intervenir, certes, mais ça lui avait permis de pouvoir s’enfuir. Clara lui avait demandé de le faire pour surveiller le Cannibale. Il l’avait fait. Il n’avait pas regretté. Seul ou avec des humains, il était presque supportable. Et avec son loup… Il était l’homme qu’il ne supportait plus de montrer aux autres. Quelqu’un d’agréable. Dommage. L’assassin avait senti qu’ils auraient pu s’entendre si…

Si tout ça n’était pas arrivé, s’il n’avait pas été un cannibale, s’il n’avait pas croisé le loup qui l’emmurait soigneusement loin des vampires et l’amenant subtilement à les haïr et à se haïr lui-même et si… Si Vince n’avait pas accepté de tuer le seul être qui le rattachait à la vie.

Ça faisait beaucoup de si. Trop, sans doute. Ils n’auraient jamais pu s’entendre. Mais Allegro avait compris une chose : Il avait beau être vampire et déjà dépasser soigneusement les arrêts de jeu en paraissant à l’orée de l’âge adulte alors qu’il avait la soixantaine, Sonatine et lui ne seraient pas éternels. Pas quand on bosse comme Levants de Chasse et quand la principale qualité que votre nouveau patron a décelé chez vous, c’est de savoir bien tuer et de n’en éprouver aucun remord. Alors, au diable la prudence, l’éternité est trop courte. On se lance et advienne que pourra.

Ils avaient dansé ensemble, comme d'habitude, lascivement, pour exciter les personnes présentes et il avait glissé à l'oreille de Sonatine qu'il lui laissait le choix des proies du soir s'il lui octroyait quelques minutes en tête à tête pour parler. Son sourire mutin illuminait sa soirée alors qu'elle se mettait déjà en chasse. Encore une dizaine de minutes et ils auraient leurs amuse-gueules. Et jamais auparavant, Allegro ne s'était senti aussi nerveux. 62 ans, l'expérience sexuelle d'une star du X et... Nerveux. De quoi se baffer, non?

La vibration dans sa poche le tira de ses doutes intérieurs. Vu que le cannibale était en observation, il était, lui, en vacances. Ou plutôt au chômage technique. Dès que ce salopard était sorti en plein soleil (Bon d'accord, il restait à peine une demi-heure, m'enfin quand même...), il s'était désynchronisé de son ombre pour ne pas frire. Un miracle que celui-ci ne se soit pas réduit en cendres, d'ailleurs. Allegro avait eu la frayeur de sa vie. Sans doute parce qu'il avait risqué de perdre la tête en même temps que son boulot. Même s'il n'avait pas eu pour ordre de protéger le cannibale, ce qui était impossible vu qu'après une sortie de l'ombre de quelqu'un, il restait tremblant et glacé pendant une bonne heure, on lui aurait forcément reproché sa mort. Il s'était contenté de contacter le Servant de Liaison en espérant que quelque chose puisse être fait dans les temps. Ce qui avait été le cas.

C'était la Première Dame.

Qui d'autre qu'elle, en même temps. Elle seule savait qu'il était là à espionner sur ses ordres, même Sigur l'ignorait. Et depuis qu'il était rentré, le coup de téléphone de Clara était ce qu'il redoutait le plus. Il fit un signe à Sonatine pour lui indiquer qu'il avait un appel et et appuya sur la touche pour décrocher.

  • Oui, Madame?

La réponse qu'il reçut était hésitante et le bruit ambiant n’aidait pas à comprendre. Peut-être qu’il pourrait faire croire qu’il ne pouvait pas parler… ? Non, ce n’était pas parce qu’il manquait de courage avec Sonatine qu’il devait manquer de courage avec tout le monde. Et la Première Dame avait bien le droit de l’engueuler un bon coup. Il avait failli après tout.

  • Euh… Je … Si vous pouvez attendre deux petites minutes, je sors : ce sera plus facile pour s’entendre.

Il fit signe à sa compagne blonde pour lui indiquer qu’il sortait et ne fut pas étonné qu’elle le suive au dehors. Déjà parce que Sonatine était curieuse comme c’était à peine toléré et ensuite parce qu’elle suivait une règle de prudence élémentaire : Toujours se balader à deux. On évitait les accidents… Enfin… La plupart. Quand il fut dehors, la voix de la première Dame était un mélange d’inquiétude et de détermination. Il aurait répondu sur le champ si le sujet n’avait pas été si grave. Et c’était dur de choisir. Sa loyauté ou… sa toute nouvelle loyauté pour un cannibale qui avait le cœur brisé.

  • Ne me force pas à te demander ça encore une fois...

Oui, normal qu’elle le menace un peu et son inquiétude était parfaitement justifiée. Il ouvrit la bouche pour répondre en regardant Sonatine dans les yeux, sachant qu’elle aussi allait souffrir de ce qu’elle entendrait. Elle se prenait toujours un peu trop d’affection pour les dangers publics qu’elle collectionnait comme des trophées.

Mais il n’eut pas le temps de dire quoique ce soit. Sans doute parce qu’il ne comprit pas tout de suite. Un humain aurait vu Sonatine disparaitre de son champ de vision parce que la scène était trop rapide pour des mortels mais lui avait eu l’impression que tout se passait au ralenti. Il avait vu le corps fuselé et argenté de la balle s’approcher en tournoyant de la tempe de sa meilleure amie. Il vit cette balle rentrer dans la chair, puis l’os et ressortir de l’autre coté en emportant avec elle une gerbe de sang et de cervelle. Sonatine était tombée au sol par le choc et la seule chose qu’il pensa fut :

Et ben, voilà… Je n’ai pas eu le temps. L’éternité a été trop courte.

Il entendit un peu loin sur sa droite un cri déchirant. La balle avait poursuivi sa mission de destruction sur quelqu’un d’autre et c’est à ce moment-là qu’Allegro comprit qu’il ne reverrait plus jamais Sonatine lui sourire. Ce fut comme si il plongeait dans la glace. La mort, il l’avait vu souvent, il l’avait donné très souvent mais cette mort-là l’avait complètement bloqué. Il ne sentit pas la balle qui lui était destiné et qui le frappa à l’épaule, l’emportant sur le côté. Mais son corps refusait de quitter du regard celui de Sonatine qui gisait sur le trottoir alors qu’autour d’eux la panique éclatait. Par contre, il sentit la seconde balle qui lui était destinée. La douleur qui lui brûla le cuir chevelu l’emporta lui aussi, le faisant tomber face à Sonatine et ce serait sans doute la dernière fois qu’il la verrait. En heurtant le macadam, il s’attendit à voir une expression surprise sur le visage de Sonatine, que ses yeux soient agrandis par la terreur mais en fait, la mort l’avait cueilli sans qu’elle s’en rende compte. Les mèches blondes balayaient son visage qui commençait à se détendre et ses yeux… Ses yeux étaient vides. Il n’y avait plus rien.

Au moins, tu n’as pas souffert.

Et il craqua. Son esprit dérailla et se remplit des hurlements de la plus vieille des douleurs. Celle de la perte. Mais de sa bouche, aucun son. Il ne bougeait déjà plus. Peut-être était-il mort lui aussi. Sincèrement, il l’espérait.

 

 

 

 

 

  • Bon… On récapitule pour les deux retardataires ?

Les deux fautifs que la voix aigre venait de clouer au pilori de la honte s’assirent en essayant de faire le moins de bruit possible et en s’excusant du regard. Pourtant, ils n’étaient pas plus fautifs que celui qui avait posé ses lourdes bottes sur le bois de la gigantesque table de conférence et qui semblait dormir, renfoncé dans son manteau de cuir noir, le col relevé, ce qui ne laissait dépasser que quelques mèches noires et blanches. Mais étrangement, les neuf autres ne disaient absolument rien sur ce comportement pour le moins déplacé. Pourtant, les deux nouveaux avaient été sermonnés et plus qu’avec insistance sur leur tenue, qui devaient être blanche ou tout du moins d’une couleur claire et pastelle, les cheveux soigneusement coiffés et surtout, ils devaient avoir des manières irréprochables. Manque de chance, on les avait prévenu de la réunion à laquelle ils devaient participer puisque nouvellement membres du conseil interne que dix minutes avant que celle-ci ne commence. Ils avaient donc une bonne demi-heure de retard.

Alors voir ce type sapé comme un hell’s angel avec l’air de s’en foutre royalement et même un peu plus… Et voir qu’on ne lui disait rien… Ça sonnait comme de l’injustice qu’ils se promettaient de signaler. Un jour. Quand ils auraient le courage d’affronter du regard le chef du cercle interne qui plissait les yeux et la lèvre devant leur manque de savoir-vivre : Daniel R. Bow. Le grand manitou de la section spéciale qui avait à son actif bien plus de problèmes résolus que tout le reste du cercle interne. C’était aussi celui qui avait opéré le remplacement de deux dissidents dont ils occupaient présentement les sièges et Dieu savait que ce n’était pas une personne à contrarier.

Même si les rumeurs avaient tendance à donner de lui une image complètement faussée, nul ne pouvait douter de sa puissance.

  • Hugo, procédez.

  • Bon… Comme chacun d’entre nous le sait… ou va le savoir… (le dénommé Hugo tourna un regard presque compatissant envers les deux jeune retardataires) la situation globale est en train de nous échapper à vitesse grand V.

Le motard trouva manifestement drôle de se manifester par un ricanement des plus sarcastiques. Hugo reprit, sans paraitre offensé.

  • Il y a eu des pertes dans les trois camps et des pertes importantes. Pire que tout, nous avons le retour de Sigur, le tout premier des Grands Prédateurs et sans doute le tout premier vampire.

  • Ou pas… marmonna le motard du fond de son manteau en cuir.

  • Euh… Pour le moment, nous ignorons encore où se trouve le Fenris et sa compagne. Les traces sont loin d’être évidentes. Quant aux cours Faes, nous avons noté un net pic d’activité dans celle d’été et celle d’hiver. Bien entendu, la Cour d’équilibre… n’est toujours pas sous surveillance. Nous sommes quasiment surs qu’un évènement d’importance va avoir lieu dans les prochains mois. Tout au plus une année.

  • La fin du monde, selon les mayas, c’est pour quand ? Intervint Olivia en tapotant la table de ses ongles impeccablement manucurés.

  • Le 21 Décembre, je crois, non?

  • Et bien, voilà, vous avez votre réponse.

  • Oh, pitié, Olivia... Pas encore les théories de fin du monde... Tu nous a déjà fait le coup une fois et on a rien vu venir!

  • Mis à part l'hystérie collective... bien plus tard. Marmonna à nouveau le motard.

Non, décidément, quelque chose clochait. Pas un seul ne tiquait aux paroles du motard. Ils l'entendaient tous, c'était obligé mais personne ne semblait vouloir le lui signifier. Et encore moins lui dire que ces sorties étaient malvenues. Et puis, comme s'ils s'étaient tous mis d'accord, les neuf autres se tournèrent vers le motard qui se redressa et remit ses pieds sous la table. Quand il ouvrit ses yeux, les deux retardataires se crispèrent sur leurs sièges. Le visage était gouailleur, il était coiffé n'importe comment mais ses yeux semblaient être... Non, c'était impossible et seuls les plus hautes instances pouvaient se targuer de posséder un tel regard.

Et pourtant...

  • Bon... Maintenant que chacun d'entre vous m'a exposé ce qui le chagrinait et que tout le cercle interne est au courant... Bienvenue à vous deux au passage.. Mais les laissez pas vous bourrer le mou sur le vestimentaire, personnellement, je m'en cogne. Royalement. Donc... Vous vous plaignez comme des fillettes qui n'ont pas eu leur poney que tout bouge? Mais merde! Moi j'attends ça depuis des millénaires!

Il ponctua son discours d'un magistrale coup de poing sur la table.

  • L'Histoire recommence... Enfin! Bon, évidement, vous autres qui n'êtes pas du Legendarium ne pouvez pas comprendre mais bon... Contentez-vous de faire ce que je vous dis parce que, nom de Dieu, on a du boulot.

  • Vous... êtes... (Fort heureusement pour le petit nouveau, il ne bégayait pas son incrédulité que le motard soit Daniel Bow...) Du Legendarium...?

Tout le monde, dans n'importe quel cercle, de n'importe quel pays savait ce qu'était le Legendarium. Et si ça, c'était vrai...

  • Vous vous attendiez à quoi? Évidement. Voici les directives que vous allez suivre. A la lettre. L'imagination, vous laissez ça à mon équipe. Je ne veux pas d'initiative, aucune. ( Il sortit d'une sacoche onze minces dossiers scellés et les jeta devant chacun des présents.) Normalement, tout est là-dedans et si vous vous retrouvez devant une situation que vous ne pouvez pas gérer, vous m'appelez. Suis-je clair?

  • Non, mais sincèrement, vous croyez vraiment que nous pourrons nous débrouiller avec seulement une dizaine de pages? S'insurgea Olivia.

  • Sincèrement, oui.

Quand il se leva, il en profita pour remettre d'aplomb son col et laisser ses ailes, ses quatre ailes tellement blanches qu'elles en paraissaient luminescentes, se déployer autour de lui. Les onze autres baissèrent les yeux, bien incapables de déployer les leurs et de rivaliser avec la puissance d'un Ange Trône. Oui, les rumeurs étaient vraies. Daniel Bow était le cinquième Trône du Seigneur.

  • C'est pas tout ça, les enfants, mais j'attends que vous vous cassiez. Moi aussi, j'ai du boulot et j'ai aucune envie que vous assistiez à mon recrutement de putes.

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